« Le succès des transitions écologiques et industrielles ne pourra être que collectif »
Depuis près de 160 ans, Solvay est à l’avant-garde de la science et de la technologie, jouant un rôle clé dans l’évolution du secteur de la chimie. Aujourd’hui, il s’agit de franchir un nouveau cap en bâtissant une industrie chimique durable, décarbonée, locale et régionale, et souveraine. Philippe Kehren (X90), CEO de Solvay, nous explique comment son entreprise appréhende et relève ces défis.
À la tête de Solvay, quelles sont les grandes lignes de votre feuille de route dans un contexte industriel qui doit faire face à la transition énergétique, environnementale et la dynamique de renaissance industrielle ?
Solvay est un groupe qui a une grande histoire de plus de 160 ans. En décembre dernier, Solvay a franchi un nouveau cap de son histoire avec la création de deux entités indépendantes cotées : SYENSQO, qui reprend les activités de chimie de spécialité, et Solvay, qui se concentre sur son cœur de métier historique, la chimie essentielle. Concrètement, la chimie de spécialité consiste à inventer de nouvelles molécules, alors que la chimie essentielle consiste, quant à elle, à produire des molécules connues sur le marché et qui sont utilisées depuis des années, voire des siècles, comme le carbonate de soude, qui est indispensable à la production du verre, le pyroxyle d’hydrogène, qui est utilisé comme désinfectant dans la fabrication du papier, la silice, qui entre dans la composition des pneus…
Dans le secteur de la chimie essentielle, l’enjeu pour Solvay est de continuer à produire ces molécules de manière compétitive et durable, tout en préservant sa position historique de leader. Pour y parvenir, Solvay mise avant tout sur l’innovation procédé, ainsi que l’optimisation de ses processus et de ses infrastructures.
En matière de transition énergétique et environnementale, quels sont vos principaux enjeux ?
Aujourd’hui, au cœur de nos préoccupations, on retrouve la transition énergétique et environnementale. L’avenir de l’industrie dépend, en effet, de notre capacité à réduire nos consommations d’énergie, de matières premières et, in fine, notre empreinte carbone et environnementale.
Pour relever cet enjeu, nous explorons plusieurs pistes. Notre premier objectif est d’accélérer notre transition énergétique en sortant des combustibles solides et du charbon qui sont fortement émetteurs de gaz à effet de serre.
Solvay s’est, d’ailleurs, engagé à sortir du charbon à l’horizon de 2030 et de le remplacer par de nouvelles sources d’énergie primaires bas carbone, compétitives et disponibles localement. Début 2024, nous avions 5 sites fonctionnant au charbon. Aujourd’hui, notre site aux États-Unis n’en utilise plus. Ce sera le tour de nos sites en Allemagne et en France en 2025. En Allemagne, nous avons ainsi substitué le charbon par du bois déchet, qui est un bois en fin de vie. En France, sur notre site de Dombasle, près de Nancy, nous allons utiliser des CSR (combustibles solides de récupération) qui sont, en fait, des déchets recyclés.
« Solvay s’est, d’ailleurs, engagé à sortir du charbon à l’horizon de 2030 et de le remplacer par de nouvelles sources d’énergie primaires bas carbone, compétitives et disponibles localement. »
Dans ce cadre, nous collaborons avec Veolia, dont un des métiers est la collecte et le recyclage de bois, de carton, de métaux et de plastiques. La fraction de déchets qui n’est pas recyclable est transformée en pellets destinés à alimenter nos chaudières. Ce cas d’usage est une illustration concrète de cette ambition d’avoir recours à des alternatives bas carbone, locales et compétitives en termes de coût. Restera ensuite à sortir du charbon pour notre site en Espagne, où nous développons un projet autour de la biomasse, et notre site en Bulgarie, où nous sommes face à un enjeu important, car nous n’avons pas forcément accès à des volumes suffisants d’énergie primaire et locale. Nous étudions donc toutes les options et n’excluons pas de nous doter de SMR (Small Modular Reactor), de petits réacteurs nucléaires modulaires, pour la production de vapeur et d’électricité pour le site.
Toujours à l’horizon 2030, nous visons une réduction de 30 % d’émission de gaz à effet de serre sur le scope 1 et 2 et de 20 % sur le scope 3, ainsi qu’une réduction de notre consommation énergétique de l’ordre de 30 %.
Quelles sont les pistes explorées pour adapter votre outil industriel et vos processus ?
Nous repensons et faisons évoluer nos procédés. Notre entreprise a toujours eu un fort ADN d’innovation. En effet, il y a 160 ans, Solvay avait été créé par Ernest Solvay qui avait alors inventé un nouveau procédé de synthèse du carbonate de soude, qui, à l’époque, avait apporté une alternative environnementale et compétitive au procédé Leblanc qui était responsable de pluies acides autour des sites de production. Aujourd’hui, nous réinventons le processus d’Ernest Solvay pour avoir un nouveau processus zéro carbone (procédé e.Solvay), qui consomme moins de ressource en énergie et en eau et qui émet moins de solides dans les effluents.
« Remplacer des fours à chaud par un procédé électrochimique. »
Dans cette démarche, il s’agit donc de ne plus utiliser de combustibles solides comme l’anthracite, mais aussi de remplacer des fours à chaud par un procédé électrochimique. Nous avons un pilote industriel sur notre site de Dombasle, près de Nancy. En 2025, nous devrions lancer la phase d’industrialisation de ce nouveau procédé, ce qui nous permettra ensuite de convertir progressivement l’ensemble de nos usines. Nous avons vocation à mener ce travail sur l’ensemble de nos molécules et nos processus afin de réduire de manière globale notre impact environnemental.
En parallèle, nous avons lancé deux programmes de modernisation de notre outil industriel, Star Factory et Star Operations, qui capitalisent sur les nouvelles technologies, dont le digital. En effet, la digitalisation des sites de production est un puissant levier de modernisation. Nous avons recours à l’IoT, aux capteurs et à la data pour piloter de manière plus fine des consommations, d’évaluer et de mesurer les impacts dans une logique d’optimisation, voire de réduction. La digitalisation ouvre également de nouvelles perspectives en matière de maintenance curative et préventive, qui est un enjeu financier et opérationnel pour Solvay. Grâce à ces programmes, Solvay construit aujourd’hui son outil industriel et de production du futur.
En parallèle, nous entendons beaucoup que la renaissance industrielle est en marche. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?
Solvay est une entreprise d’envergure internationale avec des implantations dans le monde entier. La pandémie, la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques, qui ont fortement perturbé les chaînes d’approvisionnement, nous poussent à repenser notre stratégie. Dans ce contexte, notre enjeu est de maintenir notre présence internationale en faisant les arbitrages les plus pertinents à l’échelle locale afin de contribuer à la trajectoire globale de décarbonation de l’industrie.
Il est essentiel de continuer à offrir à nos clients des circuits d’approvisionnement locaux tout en conservant une portée mondiale. Pour y parvenir, comme évoqué précédemment, nous nous engageons à accélérer la transition énergétique sur l’ensemble de nos sites.
En parallèle, nous explorons d’autres pistes. Solvay a un site à La Rochelle, en France, qui est le seul site en Europe à séparer et purifier toutes les terres rares. Il produit notamment des terres rares destinées à la catalyse automobile, l’électronique et un certain nombre d’applications médicales. Nous pourrions donc envisager de capitaliser sur site pour produire des aimants permanents qui sont un composant indispensable pour fabriquer les moteurs de voitures électriques, les turbines des éoliennes… Nous aurions ainsi la possibilité de développer une filière hautement stratégique en France et de garantir notre indépendance et notre souveraineté, alors que selon le Critical Raw Material Act publié par l’Union européenne et qui liste les matières premières critiques, plus de 65 % de ces matières proviennent d’un seul et même pays.
« Développer une filière hautement stratégique en France et de garantir notre indépendance et notre souveraineté. »
C’est une vision partagée par de nombreux CEO de grandes entreprises industrielles françaises et européennes. En février dernier, avec une soixantaine d’entre eux, nous nous sommes réunis à Anvers pour plaider en faveur d’un Industrial Deal inspiré du Green Deal européen auquel Solvay adhère totalement afin de s’inscrire dans une dynamique de re-développement des activités stratégiques en Europe.
En parallèle, la réussite des transitions écologiques et industrielles ne pourra être qu’un effort collectif. Nous devons collaborer étroitement avec nos clients et partenaires qui doivent partager notre engagement à privilégier un approvisionnement local, régional et bas carbone. Cela constitue une condition indispensable pour permettre aux industriels, tels que Solvay, d’investir dans des projets industriels, notamment en Europe. Dans ce contexte, le soutien des autorités nationales et européennes est également crucial. Il y a un réel travail à mener pour simplifier les démarches administratives, l’obtention des permis et des autorités, tout en assurant un soutien financier à ces initiatives.
Pour relever l’ensemble de ces défis, le capital humain est clé, comment appréhendez-vous cette dimension ?
C’est, en effet, le capital humain qui fait toute la différence ! Depuis sa création, Solvay est un pionnier en responsabilité sociale et bien-être des collaborateurs. Pour relever l’ensemble de ces défis, Solvay a mis en place des programmes visant à accompagner le développement des compétences et des carrières, en fonction des aspirations de chacun.
Aujourd’hui, pour mener l’ensemble des chantiers liés à la transition énergétique et environnementale, l’évolution de nos processus et procédés industriels, nous avons besoin d’attirer de jeunes talents. Auprès de ce public, qui est particulièrement sensible aux questions environnementales et écologiques, nous devons gagner en visibilité et démontrer que l’industrie et l’écologie sont compatibles. Solvay produit des molécules indispensables à notre économie au quotidien et doit se transformer pour offrir une proposition de valeur plus respectueuse de l’environnement. Nos collaborateurs sont au cœur de notre ambition pour une chimie durable, et nous sommes convaincus que notre succès futur dépend de notre capacité à attirer, développer et retenir des talents divers et engagés, y compris de nombreux ingénieurs !