Sophie GERMAIN : une polytechnicienne avant l’heure
À l’heure où l’École polytechnique s’ouvre et s’internationalise, on peut rêver d’une École qui reconnaîtrait la contribution des femmes aux sciences en nommant l’un de ses nombreux bâtiments d’après une femme scientifique comme Sophie Germain.
L’histoire de Sophie Germain passionnée de mathématiques, qui s’est substituée à un élève démissionnaire pour suivre les cours de l’École et qui a été finalement admise à l’Académie des Sciences est bien connue. Les auteures demandent une reconnaissance officielle pour elle et plus généralement pour la contribution des femmes aux sciences.
Nous sommes en 1789. Pendant les turbulences de la Révolution, Sophie Germain a treize ans. Elle trouve refuge dans la riche bibliothèque de son père, où elle se découvre une passion pour les mathématiques.
Elle se met à étudier tout ce qui lui tombe sous la main avec une telle ardeur que sa famille essaie de l’en dissuader en lui retirant le feu et la lumière : à quoi bon des études si approfondies, scientifiques qui plus est, pour une personne de son sexe ?
“À quoi bon des études scientifiques si approfondies pour une personne de son sexe ?”
Cependant, ces obstacles ne font qu’accroître son obstination. Elle se lève ainsi souvent la nuit pour étudier dans le froid en s’enveloppant de couvertures. Fort heureusement, sa famille se laisse plier par sa volonté et donne libre cours à sa passion solitaire.
Après avoir réussi à comprendre le calcul différentiel, se dresse devant elle un nouvel obstacle : les livres d’Euler et Newton sont écrits en latin. Qu’à cela ne tienne ! Elle apprend le latin seule, toujours sans aide.
La « première » polytechnicienne
Nous sommes en 1794. Sophie Germain a dix-huit ans et veut profiter de l’enseignement des professeurs de l’École polytechnique nouvellement créée, enseignement réservé aux hommes jusqu’en 1972.
Elle réussit à contourner là encore cette difficulté de taille en prenant l’identité d’un élève de l’École, Antoine Auguste Le Blanc, qui avait abandonné l’École tant elle était froide et mal éclairée en cet hiver 1794, et se procure les leçons de différents professeurs, puis envoie à Lagrange ses commentaires sur ses cours par écrit, comme cela était de coutume à l’époque.
Lagrange s’étonne de la qualité de ses observations, demande à rencontrer ce Le Blanc et découvre qu’il s’agit… d’une femme. Dès lors, il devient son soutien. Quelques années après, Sophie Germain connaît, échange de vive voix ou correspond avec la majorité des mathématiciens de son époque (Legendre, Gauss, Fourier, Cauchy…).
Elle étudie ainsi, dès leur publication, la Théorie des nombres de Legendre en 1798 et les Disquisitiones arithmeticae de Gauss publiées en latin en 1801.
Les travaux de Sophie Germain
Sophie Germain se passionne d’abord pour le grand théorème de Fermat (« il n’existe pas de nombres entiers non nuls x, y et z tels que xn + yn = zn, pour n > 2 »), qui ne sera démontré qu’en 1995 par Andrew Wiles.
Elle contribue au sujet grâce au théorème « de Sophie Germain » et aux nombres premiers de Sophie Germain (« un nombre premier est dit de Sophie Germain si son double plus un est aussi premier »), qui vérifient un cas particulier du grand théorème de Fermat.
Puis, Napoléon ayant choisi l’analyse des figures de Chladni comme sujet du concours de l’Académie des sciences, Sophie Germain s’intéressera à ces figures, obtenues par ce physicien allemand en observant les figures de ventres et de nœuds dessinées par de la poudre sur une plaque métallique mise en vibration par un archet.
Avec trois mémoires soumis à l’Académie des sciences, elle proposera une théorie mathématique sur la description des surfaces déformées et l’élasticité des corps, description pour laquelle de nombreux éléments mathématiques n’arriveront qu’à la fin du XIXe siècle.
Grâce au troisième mémoire, elle sera en 1816 la première femme à remporter un prix de l’Académie des sciences et à obtenir le droit d’assister à ses séances sur son seul mérite.
En effet, les épouses des académiciens avaient également le droit d’assister aux séances. Par la suite, elle écrit un traité de philosophie proposant certains des premiers éléments de positivisme, développé par la suite par Auguste Comte.
Sophie Germain : un modèle pour les jeunes d’aujourd’hui
La postérité, en particulier au XIXe siècle, a fait d’elle un exemple pour les jeunes générations, un exemple de persévérance dans les études et le travail. Malgré cela, la décision de la mairie de Paris en 1882 de nommer une toute petite rue en son honneur a été précédée de nombreuses discussions houleuses.
Après une période d’oubli, la société redécouvre Sophie Germain et lui consacre, début 2016, un timbre qui illustre ses contributions en mathématiques et en physique.
Sophie Germain à l’École poytechnique ?
En 2016, l’université Paris-Diderot décide de nommer un de ses bâtiments en l’honneur de Sophie Germain.
Nous sommes en 2015. À l’École polytechnique, trois collègues décident de créer un réseau pour l’équilibre femmes-hommes à l’X (réseau « XL »). Remarquant qu’à l’École aucun équipement scientifique (amphithéâtres ou bâtiments de laboratoire) ne porte le nom d’une femme scientifique, elles conçoivent l’idée de demander que soit attribué à un nouveau bâtiment de laboratoire le nom de cette scientifique française qui a suivi les cours de l’X en cachette.
En septembre 2016, le directeur général annonce la décision de donner le nom de Sophie Germain à un tronçon de rue.
En avril 2016, les trois collègues soumettent au directeur général de l’École une lettre des trois directeurs de laboratoire de l’X concernés par le nouveau bâtiment en question, en appui à la demande de le nommer « Sophie Germain ». Cela serait un bel hommage à la persévérance, à la passion des sciences et à l’audace de Sophie Germain qui lui ont permis de faire fi des injustices de son époque et de suivre les cours de l’X.
Toutes qualités que l’X souhaite inculquer à ses élèves. En septembre 2016, le directeur général annonce la décision de donner le nom de Sophie Germain à un tronçon de rue. À peu près pendant la même période, l’université Paris-Diderot décide, elle, de nommer un de ses bâtiments en l’honneur de Sophie Germain.
We have a dream…
Nous sommes en 2018. Nous rêvons d’une société où femmes et hommes auraient les mêmes opportunités pour s’épanouir dans leur vie professionnelle et personnelle. Nous rêvons d’une société où femmes et hommes auraient le même salaire pour les mêmes compétences et le même travail fourni.
Nous rêvons d’une École polytechnique où les injustices faites aux femmes dans le domaine des sciences à travers les siècles seraient reconnues en attribuant à Sophie Germain le titre de Polytechnicienne à titre posthume.
Nous rêvons d’une École polytechnique qui reconnaîtrait la contribution des femmes aux sciences en nommant l’un de ses nombreux bâtiments du nom d’une femme scientifique comme Sophie Germain.
Références
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H. Stupuy, Œuvres philosophiques de Sophie Germain, Librairie de Firmin- Didot et Cie, Paris, 1896 (nouv. éd.).
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A. Dahan-Dalmédico, Historia Mathematica 14, 347–365 (1987).
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R. Laubenbacher, D. Pengelley, « Voici ce que j’ai trouvé®: Sophie Germain’s Grand Plan to Prove Fermat’s Last Theorem », Historia Mathematica 37, 641–692 (2010).
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J. Boucard, « Pratiques arithmétiques et pratiques mémorielles (autour) de Sophie Germain au XIXe siècle », Communication orale dans le cadre de l’atelier « Femmes et savoirs » de l’EHESS et Centre Alexandre Koyré, 19 mai 2017.
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https://lejournal.cnrs.fr/articles/sophie-germain-une-pionniere-enfin-reconnue
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Anne Boyé et Christine Charretton, Je suis… Sophie Germain, éd. Jacques André, 2017®; Anne Boyé, « Sophie Germain, une mathématicienne face aux préjugés de son temps », APMEP 523, 231–243 (2017).