Les algorithmes sont capables de déterminer la posture squelettique d’un sportif, l’orientation de son corps, les angles entre ses membres… © FAIR VISION

Sport & technologie : la révolution par l’Intelligence artificielle

Dossier : Jeux olympiques et sportMagazine N°796 Juin 2024
Par Jean-Michel FELDERHOFF (E17)

Les Amé­ri­cains ont adop­té depuis long­temps l’idée d’utiliser des don­nées pour amé­lio­rer les per­for­mances spor­tives. Les Euro­péens, quant à eux, ont long­temps pré­ser­vé une approche plus tra­di­tion­nelle, fon­dée sur l’observation, l’expérience et l’intuition. Cette résis­tance cède tou­te­fois la place à une révo­lu­tion silen­cieuse et désor­mais iné­luc­table : celle du mariage entre sport et data. Avec des résul­tats impressionnants.

Le besoin le plus important du sportif : se revoir en image pour améliorer sa performance… © FAIR VISION
Le besoin le plus impor­tant du spor­tif : se revoir en image pour amé­lio­rer
sa per­for­mance… © FAIR VISION

Pour ne pas res­ter sur la touche, les coachs, qui autre­fois se ser­vaient prin­ci­pa­le­ment d’un tableau blanc pour expli­quer les tac­tiques et les stra­té­gies, sont désor­mais inon­dés de don­nées et s’arment de moyens d’analyse et de sui­vi de plus en plus sophis­ti­qués. Ils sont assis­tés par des ana­lystes et leur rôle consiste désor­mais à par­ta­ger régu­liè­re­ment images et don­nées avec les spor­tifs, de manière col­lec­tive en équipe ou de manière indi­vi­duelle. Les vidéos, les indices de per­for­mance et leur évo­lu­tion dans le temps vont bien au-delà des mots.

Les don­nées per­mettent de faire pro­gres­ser effi­ca­ce­ment tous les acteurs sur les aspects tech­niques et tac­tiques spé­ci­fiques et, ain­si, de faire évo­luer les com­por­te­ments indi­vi­duels et col­lec­tifs. Mais d’où pro­viennent toutes ces don­nées et quelles sont les limites tech­no­lo­giques ? Qu’apporte l’intelligence arti­fi­cielle dans tout ça ? Com­ment fonc­tionne-t-elle, pour quel sport et dans quel but in fine ?


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Des accéléromètres à la vision assistée par ordinateur

Le prin­ci­pal four­nis­seur de don­nées et d’analyse spor­tive a long­temps été l’être humain, l’analyste, qui grâce à ses yeux experts quan­ti­fie la per­for­mance. Mais les humains ont des per­cep­tions et des sen­si­bi­li­tés dif­fé­rentes. Pour pro­duire des don­nées fac­tuelles dont les spor­tifs, tout comme les parieurs, voire les jour­na­listes, ont besoin, ils sont mal­heu­reu­se­ment bien moins fiables que les machines. Ain­si, la révo­lu­tion a véri­ta­ble­ment com­men­cé en bar­dant les spor­tifs de mini­­capteurs hyper­sen­sibles per­met­tant de connaître les dis­tances par­cou­rues, le nombre d’accélérations à haute inten­si­té, etc. 

Mais l’électronique embar­quée n’a pas que des avan­tages ! Si les cap­teurs por­tés par les spor­tifs se sont démo­cra­ti­sés et ont contri­bué à faire évo­luer notam­ment les méthodes d’entraînement dans le milieu pro­fes­sion­nel, ils pré­sentent de nom­breuses contraintes qui limitent leur usage aux sports indi­vi­duels et leur déploie­ment pour les spor­tifs ama­teurs : tout d’abord, ils doivent être régu­liè­re­ment rechar­gés en éner­gie et, pour être pré­cis en posi­tion­ne­ment, être connec­tés à un réseau d’antennes à déployer autour du ter­rain. Ain­si ils doivent être la plu­part du temps gérés par un tiers dont la tâche consiste, notam­ment pour les sports col­lec­tifs, à attri­buer à chaque spor­tif son cap­teur et à gérer l’attribution de la don­née à la bonne personne.

« Les capteurs portés par les sportifs doivent être gérés par un tiers dont la tâche consiste à attribuer à chaque sportif son capteur et à gérer l’attribution de la donnée à la bonne personne. »

Ce tiers char­gé de la logis­tique n’existe mal­heu­reu­se­ment pas dès que le sport ne dis­pose pas d’encadrement pro­fes­sion­nel. Autre incon­vé­nient des cap­teurs, pour les sports col­lec­tifs où le bal­lon est au cœur du jeu, à quoi bon connaître les kilo­mètres par­cou­rus si on ne sait pas qui fait quoi avec la balle ? Enfin les cap­teurs ne répondent pas à un besoin essen­tiel pour le spor­tif et pour son coach, si ce n’est le besoin le plus impor­tant : celui de se revoir en image pour ana­ly­ser sa pos­ture, décor­ti­quer son pla­ce­ment, son timing, etc. ; en d’autres termes atteindre son graal, celui d’améliorer sa performance.

Ain­si, l’acquisition de don­nées grâce à la com­pu­ter vision (vision assis­tée par ordi­na­teur) s’est vite révé­lée bien plus pro­met­teuse, car non seule­ment elle répond aux défis que les cap­teurs sont inca­pables de rele­ver, mais elle pré­sente éga­le­ment un avan­tage incom­pa­rable et ines­ti­mable dans la quête de la per­for­mance : celui d’obtenir les don­nées indi­vi­duelles et col­lec­tives de son adversaire !

Comprendre les défis techniques de l’IA

La vision assis­tée par ordi­na­teur cor­res­pond au trai­te­ment numé­rique d’une ou d’une suc­ces­sion d’images, à savoir un flux vidéo. Cette tech­no­lo­gie ne cesse de faire des avan­cées spec­ta­cu­laires et les Fran­çais contri­buent lar­ge­ment à son expan­sion. De la reconnais­sance faciale à la détec­tion de cel­lules pré-can­cé­reuses, les cas d’usage sont mul­tiples et les sports dont cer­tains drainent des mil­liards d’euros, n’échappent pas bien enten­du à la règle. La com­pu­ter vision se révèle sur­puis­sante pour obte­nir des don­nées spor­tives, et aus­si pour pro­duire du conte­nu vidéo sans faire appel à un camé­ra­man. Pour bien appré­hen­der cette tech­no­lo­gie, il est impor­tant de com­prendre les défis tech­niques inhé­rents à son fonc­tion­ne­ment. Ces défis sont algo­rith­miques bien enten­du, mais éga­le­ment mathé­ma­tiques, voire optiques.

Les algorithmes sont capables de déterminer la posture squelettique d’un sportif, l’orientation de son corps, les angles entre ses membres… © FAIR VISION
Les algo­rithmes sont capables de déter­mi­ner la pos­ture sque­let­tique d’un spor­tif, l’orientation de son corps, les angles entre ses membres… © FAIR VISION

Des possibilités impressionnantes

Aujourd’hui, grâce à l’intelligence arti­fi­cielle, à l’avènement du deep lear­ning (appren­tis­sage pro­fond) et à l’entraînement des réseaux de neu­rones, les algo­rithmes qui per­mettent de détec­ter et dis­tin­guer un humain ou un objet à par­tir d’une simple image sont omni­pré­sents dans nos smart­phones. Ils sont extrê­me­ment fiables. À par­tir de la vidéo d’une com­pé­ti­tion et grâce aux mathé­ma­tiques, il est tech­ni­que­ment pos­sible d’extrapoler les coor­don­nées en X, Y et Z de dizaines de joueurs et d’un bal­lon sur un ter­rain, repère ortho­nor­mé aux dimen­sions connues. 

Reste ensuite pour les algo­rithmes à réa­li­ser des opé­ra­tions plus com­plexes, comme celles de faire le lien entre les détec­tions de l’image N et celles de l’image N +1 afin de les relier entre elles, de déter­mi­ner grâce à la cou­leur du maillot à quelle équipe tel ou tel joueur appar­tient, puis par recon­nais­sance optique des carac­tères de lire le numé­ro de maillot du joueur afin d’en retrou­ver l’identité.

Les don­nées phy­siques (dis­tances par­cou­rues, vitesses…) mais, mieux encore, les don­nées de jeu (pos­ses­sion de balle, nombre de passes, com­pa­ci­té des équipes, temps forts et temps faibles, sché­mas tac­tiques pré­fé­ren­tiels…) deviennent ain­si dis­po­nibles sans que l’humain n’intervienne. C’est l’IA qui réa­lise tout le tra­vail… et les algo­rithmes sont capables de bien plus, comme de déter­mi­ner auto­ma­ti­que­ment la pos­ture sque­let­tique d’un spor­tif, l’orientation de son corps, les angles entre ses membres. Les pers­pec­tives d’utilisation de toutes ces don­nées sont impres­sion­nantes et qua­si illimitées.

Avoir des images de bonne qualité

Pré­re­quis indis­pen­sable à son bon fonc­tion­ne­ment, les images trai­tées doivent être de bonne qua­li­té, car les algo­rithmes digèrent les images pixel par pixel. Les images TV répondent par­fai­te­ment à ce besoin, tou­te­fois elles pré­sentent une contrainte majeure, celle de ne mon­trer que le cœur du jeu, donc une seule par­tie des spor­tifs pré­sents sur le ter­rain. Que font ceux qui ne sont pas à l’écran ? Com­ment mesu­rer leurs don­nées autre­ment qu’en fai­sant appel à des modèles pré­dic­tifs fon­dés sur leurs coor­don­nées anté­rieures ? Par ailleurs, quid des équipes ou des sports à faible visi­bi­li­té média­tique ? Pour­quoi n’auraient-ils pas droit à leurs images et à leurs données ? 

Pour répondre à cet autre défi, des solu­tions existent et elles reposent sur une com­bi­nai­son de tech­no­lo­gies optiques et algo­rith­miques. Il convient en effet de dis­po­ser d’un sys­tème de cap­ta­tion qui filme l’intégralité du ter­rain à par­tir de plu­sieurs focales et qui recons­ti­tue numé­ri­que­ment une image en haute défi­ni­tion à par­tir de flux vidéo syn­chro­ni­sés. C’est le stit­ching, tech­nique qui consiste à col­ler deux images entre elles sans que cela soit visible à l’œil nu. La nou­velle image ain­si recons­ti­tuée est de qua­li­té telle que les algo­rithmes détectent par­fai­te­ment 100 % des acteurs en pré­sence sur le ter­rain et, par ailleurs, ils peuvent suivre le jeu et pro­duire une réa­li­sa­tion qua­si pro­fes­sion­nelle, comme si un camé­ra­man était présent.

Exploiter les possibilités

En défi­ni­tive, une fois la cap­ta­tion d’image grand angle effec­tuée, son trai­te­ment numé­rique ain­si que la trans­mis­sion des images et des don­nées maî­tri­sées, les pers­pec­tives d’exploitation sont illi­mi­tées. Cette tech­no­lo­gie est sur­puis­sante car aucun cap­teur n’est néces­saire ni sur le spor­tif, ni sur son adver­saire. Toutes les don­nées sont déjà dans l’image, et la maî­trise de l’intelligence arti­fi­cielle per­met de les extraire avec une pré­ci­sion redoutable. 

“Fournir une analyse totale en temps réel.”

Défi tech­nique sup­plé­men­taire, cette tech­no­lo­gie per­met d’extraire la don­née spor­tive non pas a pos­te­rio­ri, à par­tir d’un enre­gis­tre­ment vidéo, mais en direct, pen­dant la com­pé­ti­tion. Cela est ren­du pos­sible grâce aux nou­velles géné­ra­tions de cartes gra­phiques, tou­jours plus com­pactes et plus rapides. Elles sont capables d’ingérer et d’interpréter des mil­liers d’images à la seconde et per­mettent de four­nir ain­si une ana­lyse totale en temps réel.

Cette technologie est surpuissante car aucun capteur n’est nécessaire ni sur le sportif, ni sur son adversaire. Toutes les données sont déjà dans l’image, et la maîtrise de l’intelligence artificielle permet de les extraire à la volée avec une précision redoutable…
Cette tech­no­lo­gie est sur­puis­sante car aucun cap­teur n’est néces­saire ni sur le spor­tif, ni sur son adver­saire. Toutes les don­nées sont déjà dans l’image, et la maî­trise de l’intelligence arti­fi­cielle per­met de les extraire à la volée avec une pré­ci­sion redou­table… © FAIR VISION

Les sports tous égaux devant l’IA ?

Tous les sports ne sont pas égaux face à l’IA et un tra­vail colos­sal est encore à venir. Si le foot­ball, sport le plus popu­laire au monde, est le cas d’usage le plus répan­du, chaque sport révèle ses propres défis : par exemple, si les règles au ten­nis sont simples et la détec­tion des joueurs une opé­ra­tion assez basique, le tra­cking de la balle, objet de très petite taille dont la vitesse excède régu­liè­re­ment les 150 km/h, est un défi tech­nique qui requiert des images très nettes et l’entraînement de modèles spécifiques. 

Le rug­by, pour sa part, cumule les han­di­caps : un grand nombre de joueurs, des règles com­plexes et sur­tout des phases de regrou­pe­ment où c’est non seule­ment le bal­lon qui dis­pa­raît, mais aus­si les joueurs. Même un œil avi­sé a par­fois du mal à dis­tin­guer à qui appar­tient tel bras ou telle tête. Si c’est com­pli­qué pour un humain, ça l’est aus­si pour la machine.

« Chaque sport doit faire l’objet d’une analyse et d’une étude spécifique. »

En conclu­sion, chaque sport doit faire l’objet d’une ana­lyse et d’une étude spé­ci­fique, de créa­tion de base de don­nées d’images pour entraî­ner les algo­rithmes à détec­ter les dif­fé­rentes classes d’objet (humain, bal­lon…), à recon­naître les évé­ne­ments et autres faits de jeu. Si le che­min peut sem­bler long, notam­ment pour les sports à faible visi­bi­li­té média­tique, ce n’est qu’une ques­tion de temps et de volon­té poli­tique pour y par­ve­nir. Par ailleurs, si l’IA est très bien adap­tée au sport en com­pé­ti­tion car les règles y sont codi­fiées et les spor­tifs iden­ti­fiés par un maillot et un numé­ro unique, elle l’est beau­coup moins lors des phases d’entraînement. En effet ces der­nières sont par nature évo­lu­tives, libres dans leur orga­ni­sa­tion, que ce soit par le nombre de joueurs ou au tra­vers d’exercices spé­ci­fiques imposés. 

La plu­part du temps, les entraî­ne­ments ont lieu dans un espace de jeu évo­lu­tif. Toutes ces variables rendent l’usage de la com­pu­ter vision inuti­le­ment com­plexe. L’utilisation d’un bon dis­po­si­tif de cap­ta­tion vidéo, cou­plé le cas échéant à des cap­teurs GPS, four­ni­ra suf­fi­sam­ment d’informations pour com­bler l’entraîneur. 

Un allié, pas un remplaçant

Ain­si, même les tech­no­lo­gies les plus pro­met­teuses ont leur limite et c’est pro­ba­ble­ment tant mieux ain­si ! Rien ne pour­ra rem­pla­cer l’œil avi­sé de l’entraîneur, sa capa­ci­té à per­ce­voir des détails sub­tils, à lire et à com­prendre les émo­tions des spor­tifs, et enfin à trou­ver les mots justes pour les moti­ver et les gui­der vers la performance. 

L’IA doit res­ter une alliée, une par­te­naire qui ren­force les com­pé­tences humaines et spor­tives, mais elle ne les rem­place pas. Espé­rons que les algo­rithmes ne sau­ront jamais détec­ter l’intelligence émo­tion­nelle, la rési­lience, l’intuition et la créa­ti­vi­té des indi­vi­dus, car la magie du sport réside en grande par­tie dans l’incertitude du résul­tat final. 

C’est cette incer­ti­tude qui main­tient l’excitation des spec­ta­teurs, qui pousse les spor­tifs à se dépas­ser et qui fait que chaque com­pé­ti­tion est un spec­tacle unique. Le pro­chain grand spec­tacle sera olym­pique. Avec ou sans le sou­tien de l’Intelligence arti­fi­cielle, sou­hai­tons-leur à toutes et à tous de viser l’excellence : Citius, Altius, For­tius ! 

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