Strategic sourcing : la nouvelle compétence métier
L’environnement économique et l’intensification de la concurrence au plan mondial ont soumis les entreprises en France – comme partout en Europe – à de fortes pressions en vue de réduire leurs coûts opérationnels et d’améliorer l’efficacité de leurs processus internes. Le département informatique est très souvent une cible prioritaire pour contribuer à ces deux objectifs. Résultat, la démarche vers l’outsourcing – ou infogérance, c’est-à-dire l’externalisation des opérations informatiques par un contrat de longue durée, opération différente de l’offshore – devient de plus en plus courante. Selon les estimations de Gartner, le marché de l’outsourcing en France atteindra 4,4 milliards d’euros fin 2004. On s’attend à une croissance moyenne de 20 % par an d’ici 2008.
Cependant, malgré l’intérêt croissant pour l’outsourcing, les risques de défaillance sont importants. En effet, trop souvent, la décision d’externaliser est réactive ; on signe un contrat de longue durée pour résoudre des problèmes à court terme. Après un certain temps apparaît ainsi un décalage important entre les priorités du business et les services définis contractuellement. Même si la réduction de coût prévue est obtenue, les accords passés entre l’entreprise et le prestataire de service ne se révèlent pas suffisamment flexibles pour s’adapter aux changements. Cette situation n’est pas forcement liée à un manquement du fournisseur : l’essentiel de la responsabilité demeure celle du client qui seul peut prendre, en matière de gestion informatique, les décisions susceptibles de soutenir la stratégie de la société.
Dans ce contexte, comment mieux formaliser les contrats et bâtir des relations saines avec les fournisseurs pour augmenter les chances de réussites et retirer les vrais avantages de l’outsourcing – pas seulement une réduction de coûts mais une hausse de la qualité du service ? La mise en œuvre du » Strategic sourcing « , c’est-à-dire le développement d’une stratégie visant à optimiser le » sourcing » des opérations informatiques, est essentielle pour définir et valider une démarche d’outsourcing pertinente.
Cette notion ne se réduit ni à un problème de gestion informatique ni à une simple décision d’externaliser certaines tâches ou personnels. Il y a quatre phases dans une démarche de sourcing stratégique :
1. la définition de la stratégie sourcing ;
2. l’évaluation et la sélection des fournisseurs ;
3. la négociation des contrats ;
4. la gestion du sourcing.
La majorité des entreprises privilégie habituellement les phases 2 et 3. Toutefois les organisations les plus avancées dans le domaine du sourcing stratégique se concentrent sur les phases 1 et 4, qui permettent d’aligner continuellement la stratégie et son exécution selon les besoins du business. Le sourcing stratégique, qui doit être considéré comme une compétence clef (core competence) de toute organisation (privée ou publique), inscrit l’entreprise dans son écosystème et doit faciliter la gestion des innovations, assurer la fourniture des services et processus nécessaires à l’organisation elle-même, à ses partenaires et à ses clients ou usagers.
Le fondement du sourcing stratégique est la stratégie elle-même. Gartner définit une stratégie sourcing comme un ensemble de scénarios, plans, directives et décisions qui déterminent et intègrent d’une façon dynamique les ressources et services internes et externes requis pour atteindre les objectifs business de l’organisation. Ce concept joue sur l’idée de maximiser l’investissement dans les compétences de cœur de métier de l’entreprise tout en profitant des innovations et des économies d’échelle permises par le recours à des prestataires externes pour des opérations non stratégiques.
Une stratégie sourcing doit prendre en compte non seulement les initiatives ponctuelles (les projets), mais aussi les contrats d’outsourcing portant sur l’exploitation des services et processus en continu (l’infogérance). Tâche difficile, car la stratégie doit intégrer les effets dus aux changements de priorités business, d’organisation, et de technologie, sans oublier l’impact du développement de la stratégie sourcing elle-même. Par conséquent, il faut analyser et intégrer cinq dimensions en matière de sourcing stratégique :
- les objectifs business ;
- les compétences existantes en interne ;
- l’offre disponible sur le marché ;
- les modèles de sourcing ;
- et le mode de gouvernance.
La relation entre la stratégie business et la stratégie sourcing est cosubstantielle. Au contraire d’un lien classique de dépendance (où la stratégie sourcing serait subordonnée à la stratégie informatique, à son tour dépendante de la stratégie business), la stratégie sourcing devient la composante essentielle qui va déterminer la façon dont la stratégie business va être mise en œuvre. Ici, il est important de considérer chaque stratégie comme une réponse à une question fondamentale :
- quoi faire ? —> Stratégie business,
- qui va le faire ? —> Stratégie sourcing,
- comment le faire ? —> Stratégie informatique.
Du point de vue du sourcing stratégique, l’accent est mis plutôt sur le résultat que sur les moyens. Bien que subtile, cette différence suppose un changement radical pour la grande majorité des entreprises dès lors qu’il s’agit de traiter les exigences du business.
Le développement d’une stratégie sourcing commence avec la définition du champ d’intervention. Selon l’organisation et le type d’infrastructure informatique, c’est une partie des opérations ou l’informatique tout entière qui peut être mise en question.
En tout état de cause, de notre point de vue, le point essentiel est d’inclure les systèmes et les processus informatiques dans la stratégie.
Après avoir déterminé les limites de l’intervention, l’étape suivante est de conduire une évaluation rigoureuse du besoin que l’organisation a de changer et du niveau d’empressement que l’organisation met à changer. Cette évaluation porte sur le niveau de service rendu, le degré de compétence en gestion, la faculté de l’organisation à se transformer et la relation entre le département informatique et le reste du groupe. Le but est de déterminer si l’on fait les choses correctes et si on les fait correctement, si les objectifs à court et moyen terme sont atteints et si la vitesse de réaction est acceptable.
Pour les opérations qui sont externalisées, il faut effectuer une analyse du marché et des risques. Compte tenu de l’évolution de la concurrence sur le marché des services informatiques, il y a des risques liés non seulement à la stabilité et la longévité des sociétés de services mais aussi à la pérennité de leurs offres et de leurs business modèles.
Les deux étapes suivantes sont étroitement imbriquées : il s’agit de l’évaluation des modèles d’engagement et des scénarios possibles. Pour bien sélectionner le meilleur fournisseur, il faut déterminer le mode de service préféré (par exemple, conseil en transformation et mise en œuvre ou infogérance), la structure de l’engagement (par exemple, outsourcing global ou multisourcing), et le niveau de risque associé à chaque option.
L’étape finale consiste à prévoir les principes de gouvernance. Il s’agit de gérer correctement les niveaux de services, la relation avec les prestataires de service externes et les compétences internes en vue de répondre aux exigences business et d’adapter la configuration aux changements de l’environnement.
En somme, les changements et les investissements exigés par la mise en place du sourcing stratégique sont importants. Néanmoins, seule cette approche donne à l’organisation les possibilités réelles d’atteindre un équilibre optimal entre les compétences (internes et externes), les activités, les processus et les services en vue de réaliser ses objectifs stratégiques avec un risque minimal.