Stratégie de développement international d’un équipement automobile
Le marché mondial de l’équipement automobile est estimé à 530 milliards d”€, dont 80 % réalisés en 1re monte, c’est-à-dire pour la fabrication des véhicules neufs. Les équipements achetés représentent en effet de l’ordre de 60 % du prix de revient d’un véhicule.
La consolidation accélérée du marché de l’automobile a réduit le nombre des constructeurs à quinze groupes seulement au niveau mondial. Rationalisant leurs processus, ils ont radicalement limité le nombre des équipementiers qui les livrent directement et exigent de leurs partenaires d’être présents à leurs côtés à travers le monde. Ces équipementiers de premier niveau ou » Tier 1 » ne sont plus que 1 500. À leur tour, ils font appel à 5 000 fournisseurs de 2e niveau ou » Tier 2 » et indirectement à 250 000 fournisseurs de 3e voire 4e niveau.
Dans le sillage de la construction automobile, l’équipement a ainsi connu une forte concentration. Parallèlement, le métier des Tier 1, qui accompagnent de près les évolutions des constructeurs, a connu des changements profonds. De fabricants de composants sur plan dessiné par le constructeur, ils sont devenus fournisseurs de solutions, assurant la conception, le développement, la production et la livraison, le cas échéant en flux synchrone, de modules et/ou de systèmes.
Par module, il faut entendre un ensemble physique livré, prêt à monter, le long de la chaîne d’assemblage du véhicule : un siège par exemple. Un système est un ensemble fonctionnel, développé en tant que tel, mais assemblé par morceaux dans le véhicule : l’autoradio par exemple avec le tuner dans le cockpit, les haut-parleurs dans les portes et la tablette arrière.
En conséquence, la recherche et développement a pris une importance capitale et peut atteindre jusqu’à 6–8 % du chiffre d’affaires. Elle exige pour son amortissement une taille critique dans chaque métier.
Les Tier 1 sont donc des sociétés internationales dont les vingt premières réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 4 milliards d”€ et ambitionnent une position de leadership mondial sur chacun de leurs métiers.
Faurecia
Faurecia, n° 15 de l’équipement automobile mondial, affiche ainsi un chiffre d’affaires de 4,8 milliards d”€ et développe des solutions pour tous les constructeurs mondiaux. À partir de 110 usines, le Groupe équipe 15 millions de véhicules avec cinq modules majeurs. Il s’agit :
- du siège, du cockpit et de la porte pour l’intérieur véhicule où la sécurité et le confort des passagers sont dominants et où l’électronique devient un moteur de l’innovation,
- de l’échappement, fonction régie par les exigences de la protection de l’environnement et notamment la réduction continue des émissions tant chimiques qu’acoustiques,
- du bloc avant qui participe au style extérieur avec le pare-chocs, la calandre et les phares et consolide la caisse avec la face avant, pièce de structure qui supporte le groupe moto-ventilateur.
Leader en Europe
Faurecia est l’un des leaders mondiaux dans cinq des modules majeurs du véhicule : sièges, cockpits, panneaux de portes, systèmes d’échappement et blocs avant.
© FAURECIA
L’internationalisation du Groupe français, aujourd’hui présent dans 26 pays, a commencé par son implantation dans les principaux pays européens ou, plus exactement, par l’expansion européenne des deux sociétés Bertrand Faure et Ecia dont la fusion a donné naissance à Faurecia en 1998.
Ce mouvement, qui a propulsé le Groupe à la position de leader européen des sièges d’automobiles et des systèmes d’échappement, a démarré dès le début des années 1970, notamment en direction de l’Allemagne et de la péninsule ibérique, soit à travers des créations ex nihilo pour accompagner les constructeurs français, soit par l’acquisition de sociétés familiales fragilisées par l’évolution du métier, mais connaissant bien les constructeurs locaux.
La présence de centres de développement à proximité des bureaux d’études des constructeurs allemands a ainsi permis d’élargir sensiblement le portefeuille clients et devenir une référence à la fois chez Volkswagen, Audi, BMW, Mercedes Benz, Opel.
Au début des années 90, la montée en puissance des transplants japonais en Europe a été l’occasion de mettre en place centres techniques et usines nouvelles en Grande-Bretagne.
Accompagner les constructeurs européens
Leur stratégie de croissance conduit les constructeurs vers les pays ayant les marchés automobiles au plus fort potentiel de développement, en particulier le Mercosur, Argentine et Brésil en tête, la Chine et l’Inde. Faurecia a lancé des projets dans tous ces pays. Au Brésil, la simultanéité des décisions d’investissements de plusieurs constructeurs a permis de concevoir des projets robustes d’implantations » greenfield « . En Chine, des joint ventures avec des partenaires » régionaux « , fabricants historiques, ont dû être mises en œuvre, avec toutes les difficultés inhérentes à la fois aux différences de culture et au partage des responsabilités entre actionnaires au sein de structures isolées.
Chacune de ces expériences a fortement marqué des équipes ayant reçu à la fois une très large délégation de responsabilité pour faire face aux contraintes locales et une marge de manœuvre quasiment nulle sur les spécifications – qualité livrée oblige.
Dans de nombreux pays (Iran, Malaisie, Taiwan, Afrique du Sud, Nigeria, Chili, Uruguay), l’accompagnement des constructeurs s’est effectué à travers un transfert de technologies d’assemblage à des industriels locaux sans implantation industrielle. Cette approche pragmatique qui s’impose lorsque la taille des débouchés locaux ne permet pas de justifier une implantation industrielle présente l’inconvénient pour le constructeur de ne pas recevoir une assurance de qualité à toute épreuve.
Challenger en Amérique du Nord
Dans les années 1990, les équipementiers américains, forts de marges acquises sur les grandes séries de véhicules Ford, General Motors et Chrysler, ont débarqué en Europe, achetant des parts de marché, souvent au prix fort. D’européen le marché des équipements devenait ainsi » global « . Du coup, pour servir Opel et Ford Europe, il fallait disposer de capacités de développement à Détroit (Michigan).
Faurecia, qui avait commencé dès 1982 à développer un réseau industriel dans l’Ontario (Canada) et au Kentucky pour fabriquer des mécanismes de siège, a réussi, en apportant des innovations technologiques, à transformer une relation de second rang en relation de premier rang avec General Motors.
Mais ce succès reste exceptionnel dans la mesure où les panels des constructeurs sont quasiment fermés. Par trois fois le Groupe avait cherché à prendre le contrôle de fournisseurs américains mais ces tentatives n’ont pu aboutir face à la surenchère des leaders locaux, soucieux de barrer la route à un nouveau venu.
Finalement, la démonstration de son avance technologique chez General Motors en Europe a été un facteur déterminant pour l’obtention d’une commande majeure, clé d’entrée pour la conquête de 10 % du marché nord-américain à l’horizon 2005.
Dans le domaine des échappements, en revanche, Faurecia a pu réaliser une acquisition importante outre-Atlantique en achetant le troisième fabricant nord-américain. Les synergies tant en termes de portefeuille clients que de portefeuille technologique rendaient l’opération attractive. Trois mois à peine après le rapprochement des activités, une commande importante (2 millions de voitures par an) pour un véhicule qui sera assemblé et commercialisé sur tous les continents venait confirmer le succès de l’approche, aucune des deux sociétés ne pouvant prétendre obtenir indépendamment une telle affaire » globale « .
En troisième position en Amérique du Nord sur ces deux activités, Faurecia dispose d’un potentiel de progression très significatif et la part de ses ventes réalisées outre-Atlantique devrait passer à 20 % dans les cinq ans à venir.
Au pays du Soleil levant
Les équipementiers japonais, et plus encore coréens, sont, sauf rares exceptions, restés dans la mouvance d’un seul constructeur et n’ont pas développé de stratégie de développement international. Les alliances tissées entre constructeurs viennent redistribuer les cartes : Ford – Mazda – peut-être Daewoo, Renault – Nissan – Samsung, DaimlerChrysler – Mitsubishi – Hyundaï, General Motors – Isuzu – Suzuki sont autant d’opportunités à saisir dans le cadre d’une stratégie de développement en Asie.
Fournisseur des transplants japonais en Europe et aux États-Unis depuis bientôt dix ans, Faurecia a acquis l’expérience des partenariats avec des équipementiers japonais et bénéficie par ailleurs de l’implantation de centres de développement à Tokyo et Nagoya. Le challenge est clair : développer au Japon et en Corée des relations de premier niveau avec les constructeurs.
L’avance technologique est un facteur clé dans la conclusion d’accords avec des industriels japonais et coréens. L’intégration de telles capacités dans un réseau global qui couvre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie sera elle aussi déterminante. Faurecia dispose de ces deux atouts et compte bien relever le challenge à court terme.
Quels impacts sur le fonctionnement interne ?
L’organisation
Stratégie : | 5 modules – 15 clients constructeurs |
Innovation : | 5 centres R&D |
Programme : |
25 centres techniques 45 programmes majeurs |
Vie série : | 110 usines |
Des processus robustes pour supporter une organisation par client. |
Les grands équipementiers tendent à structurer leur organisation en fonction de leurs marchés. L’axe majeur est celui de l’activité/ligne de produits (siège, intérieur véhicule, échappement, bloc avant dans le cas de Faurecia) décliné par client au niveau mondial (avec des équipes dédiées commerciales, techniques pour le développement des produits, et industrielles pour la livraison de modules). Cette logique organisationnelle conduit chez Faurecia une même » business unit » à disposer de bureaux d’études et d’usines dans plusieurs pays différents.
Cette organisation décentralisée fortement orientée sur le client nécessite bien entendu des fonctions transverses (industrialisation et fabrication de composants standards, recherche et marketing), mais surtout une structuration des processus (stratégie, innovation, développement, vie série) qui sous-tendent les méthodes de développement et le savoir-faire du Groupe.
La langue
50 % des effectifs de Faurecia n’étant pas de langue maternelle française, la langue officielle du Groupe est naturellement devenue l’anglais. Un effort important tant au niveau du recrutement qu’à celui de la formation a permis au cours des cinq dernières années, de généraliser l’usage de l’anglais comme langue de travail aussi bien dans les comités de direction que dans les réunions de travail. Cependant, si l’anglais permet aux experts de communiquer avec l’ensemble des clients, il est clair que dans chaque pays Faurecia est » local » et capable de défendre ses offres et recommandations dans la langue du pays.
Les systèmes d’information
La construction d’un réseau de communication international est un des facteurs clés de l’internationalisation des processus. Chez Faurecia, 8 000 personnes en réseau par la messagerie et l’intranet échangent 100 000 messages par jour ; 40 studios de visioconférence créent les conditions d’une communication en temps réel au sein des équipes.
Les outils communs de développement CAO (principalement Catia) et de gestion des bases de données techniques sont utilisés par 2 000 personnes dans le monde et constituent une base indispensable pour assurer performance et efficacité des ingénieurs dans un contexte international.
Les fonctions
Toutes les fonctions de l’entreprise sont affecctées par l’internationalisation d’un groupe. À titre d’exemple, la fonction achats a vécu chez Faurecia une évolution remarquable. D’abord pour développer un panel de fournisseurs capables d’accompagner Faurecia à l’international et de participer aux efforts de codéveloppement des solutions Faurecia. Ensuite pour garantir une compétitivité globale grâce à une véritable internationalisation des approvisionnements, incluant les pays à main-d’œuvre bon marché, et permettant l’optimisation des coûts de transport, des droits de douane, et des incitations fiscales. Aujourd’hui les pots catalytiques livrés en Chine ou en Argentine sont fabriqués en Afrique du Sud pour bénéficier de » rebates » accordés par le gouvernement aux exportateurs, » rebates » qui in fine bénéficient aux constructeurs qui importent des véhicules dans ce pays.
Les hommes
Le transfert des compétences d’un pays à l’autre et le développement d’une culture internationale font l’objet d’une attention toute particulière. Avec 240 personnes travaillant en dehors de leur pays d’origine, Faurecia a développé l’expérience de la gestion des expatriations (de collaborateurs français à l’étranger, d’Allemands en Pologne, d’Espagnols en Allemagne) et relève le challenge de développer des carrières internationales dans le Groupe où les responsabilités de management au plus haut niveau s’internationalisent progressivement.
Une histoire à suivre
Si la voiture mondiale ne semble pas être pour demain, les préférences régionales restant fortes, la globalisation de l’industrie automobile, elle, est une évidence aujourd’hui bien que toutes les conséquences n’en aient pas encore été tirées. Elles vont faire évoluer de manière très significative les équipementiers dans les cinq années en termes de taille, d’équilibre géographique, de structures internes et de culture d’entreprise.