Sur l’alimentaire souveraineté
Comme « Territoires », comme « Citoyen », « Souveraineté » fait partie de ces mots qui finissent par être usés par un emploi excessif. De connotation très positive au départ, le caractère souverain glisse vers une posture défensive quand il est substantivé et martelé, confirmée par la coloration partisane de sa traduction idéologique, le « souverainisme ».
À cet égard la question de la souveraineté alimentaire est problématique. N’en taisons pas un côté cocardier. Au pays de la gastronomie on entend rester maître de ce qu’on a dans l’assiette : on ne nous fera pas manger n’importe quoi, c’est d’abord là que réside la souveraineté et elle est individuelle, si l’on peut dire. Nos 300 fromages, notre charcuterie à l’infini, le vin de nos terroirs, etc., avec leurs variantes régionales, saisonnières ou religieuses.
“La première filière industrielle française n’est ni l’automobile, l’aéronautique ou la chimie, ni encore moins le nucléaire, c’est de loin l’agroalimentaire.”
Évacuons ce folklore même s’il participe à notre bonheur ordinaire. Parce que les biens alimentaires sont aussi des objets économiques quelconques, qui empruntent la logistique des échanges mondialisés pour optimiser l’utilité de celui qui consomme, où qu’il se trouve. Alors faut-il produire en France tout ce que l’on y ingère pour se protéger du mauvais vouloir hypothétique de ses partenaires commerciaux, même si cela frappe nos concitoyens au portefeuille ? À moins que la souveraineté voulue soit la juste protection d’un modèle agricole hexagonal devenu trop coûteux pour survivre tel quel ? De l’autre côté de la fourchette, faut-il concéder une adaptation de nos menus pour aller vers plus d’autonomie, mais surtout vers plus d’économie des ressources naturelles ?
Derrière l’objectif de bon sens qui est de produire assez pour les besoins de la population, se cache donc de la complexité et pas mal de contradictions à accepter. Je me souviens d’avoir été frappé, à la sortie d’une conférence environnementale comme il s’en faisait pendant les années Hollande, par le commentaire d’un représentant d’une association que je fréquentais alors : « La FNSEA a l’air satisfaite, c’est qu’on a dû se faire avoir ! » Autrement dit toute avancée agricole procèderait d’un recul pour l’environnement, et inversement.
Je doute qu’on soit complètement sorti de cette dichotomie frustrante, comme la querelle des bassines tend à nous le rappeler, mais c’est là que l’ingénieur entre en jeu. N’oublions pas que la première filière industrielle française n’est ni l’automobile, l’aéronautique ou la chimie, ni encore moins le nucléaire, c’est de loin l’agroalimentaire. Alors place aux inventifs, aux architectes des circuits courts, à l’économie circulaire et aux substituts naturels. Et place aux polytechniciens !
Il est peu douteux que demain et après-demain il y ait moins d’eau disponible pour l’agriculture hexagonale qu’aujourd’hui. En attendant de perdre un jour, qui sait ? le souvenir joyeux de la juteuse Doyenné du Comice, La Jaune et la Rouge de ce mois livre une belle poire pour la soif, celle de comprendre le(s) problème(s). Pour la patrie, les sens et la gloire.