Sur la technologie

Dossier : Le Sursaut, 2e partieMagazine N°621 Janvier 2007
Par Claude LAIGLE (53)

Le monde a radi­ca­le­ment chan­gé depuis trente ans. Mais je pense qu’il y a une faille dans l’a­na­lyse qu’en pré­sentent Michel Cam­des­sus et les coéqui­piers qu’il s’est choi­sis. Compte tenu de leurs res­pon­sa­bi­li­tés exer­cées durant la période, leur rap­port ne peut pas être neutre et a quelques allures de plai­doyer pro domo. Il n’est pas vrai que la mon­dia­li­sa­tion, c’est-à-dire aus­si « l’in­ten­si­té crois­sante de la concur­rence sur les mar­chés mon­diaux », soit une fata­li­té, comme l’a remar­qua­ble­ment mon­tré notre cama­rade Jean-Pierre Gérard (60) dans un article « La mon­dia­li­sa­tion, un choix dan­ge­reux ? » paru dans un cer­tain numé­ro de La Jaune et la Rouge que j’ai oublié, mais qui est consul­table sur http://perso.orange.fr/gircom/T43128.html

Je ne sau­rais trop féli­ci­ter et remer­cier mon cher cama­rade de casert Hubert Lévy-Lam­bert d’a­voir pris l’i­ni­tia­tive de faire se pen­cher la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne sur une ques­tion ô com­bien capi­tale (Quel sur­saut pour notre pays ?) et de me per­mettre ain­si de m’ex­pri­mer sur ce sujet dans le numé­ro spé­cial de La Jaune et la Rouge. Ma contri­bu­tion consis­te­ra à intro­duire le texte ci-après

Mon par­cours ini­tial sur le tas à la Sereb, à la Sagem, à deux reprises au CNES, m’a fait connaître sur le fond le pro­ces­sus de R & D et m’in­ter­ro­ger : com­ment mettre plei­ne­ment ce for­mi­dable outil au ser­vice de tous les hommes alors que le mar­ché n’y suf­fit pas ?

Nous vivons un bou­le­ver­se­ment sans pré­cé­dent his­to­rique. Le risque serait de nous enfon­cer davan­tage dans l’im­passe sociale et éco­lo­gique où l’é­vo­lu­tion nous pré­ci­pite, au lieu d’en sor­tir vers l’ère nou­velle, scien­ti­fique, qui n’est pas loin devant nous mais à côté de nous.

La ques­tion que se pose X‑Sursaut réha­bi­lite de fait le volon­ta­risme poli­tique. Il me semble que dans ce sens le groupe ne doit pas hési­ter à aller plus avant.

La technologie : une » ressource » inépuisable et sous-exploitée

La res­source tech­no­lo­gique est exploi­tée spon­ta­né­ment dans la sphère de l’i­ni­tia­tive pri­vée par la machine éco­no­mique mon­dia­li­sée de plus en plus en mesure de le faire, par­tout où existent des mar­chés suf­fi­sants à court ou moyen terme. Par contre cette res­source dans le temps inépui­sable est lais­sée en jachère face aux gigan­tesques besoins non satis­faits consi­dé­rés comme essen­tiels, alors que, pour rendre ces besoins sol­vables dans la durée, on peut pen­ser qu’elle pour­rait être exploi­tée plei­ne­ment dans tous ses avan­tages à l’i­ni­tia­tive de la volon­té col­lec­tive et dans des cas de plus en plus fré­quents. À condi­tion évi­dem­ment de les cher­cher pour les trouver.

L’hu­ma­ni­té a accu­mu­lé des connais­sances qui lui donnent un pou­voir abso­lu­ment consi­dé­rable sur la matière. Après avoir pu se doter des moyens sur­abon­dants d’un sui­cide col­lec­tif, elle a même su et pu conqué­rir la Lune. Il y a long­temps déjà. Pour­tant les besoins essen­tiels du plus grand nombre sont encore loin d’être satis­faits. Bien pis : les dis­pa­ri­tés s’ac­croissent, les ten­sions, la misère, la faim, la vio­lence s’é­tendent dans le monde ! Com­ment sor­tir d’une situa­tion aus­si absurde et désespérante ?

En réa­li­té le pro­blème posé est d’or­ga­ni­sa­tion : le pro­grès tech­nique n’est pas ce qu’il pour­rait être. Les élé­ments de réflexion esquis­sés ci-après insis­te­ront ain­si non pas sur les entre­prises en soi, mais sur ce qu’elles créent arti­fi­ciel­le­ment, pro­duisent et échangent, à savoir des pro­duits, pro­cé­dés et ser­vices, et prin­ci­pa­le­ment sur « l’art et la manière » dont ceux-ci sont conçus. En effet face aux besoins et contraintes (le « cahier des charges ») à satis­faire des uti­li­sa­teurs, des consom­ma­teurs, com­ment les pro­duits, les pro­cé­dés, les ser­vices sont-ils conçus ? Il s’a­git là d’une ques­tion fon­da­men­tale, qui touche au cœur même de l’é­co­no­mie et de la socié­té, mais qui para­doxa­le­ment dans nos régions est peu étu­diée et mal connue. Elle concerne avant tout en tant qu’en­ti­tés res­pon­sables, d’une part les entre­prises pro­duc­tives (à tra­vers des ser­vices d’é­tude et de recherche), et d’autre part, un milieu pro­fes­sion­nel très étroit, celui des ingé­nieurs, des ingé­nieurs d’é­tude et de conception.

De la science à la technologie : un potentiel naturellement illimité

La science, c’est l’ac­crois­se­ment de la connais­sance. La tech­no­lo­gie, c’est-à-dire les pro­duits, pro­cé­dés et ser­vices dis­po­nibles, c’est aujourd’­hui de plus en plus l’ap­pli­ca­tion de la science. De plus en plus les pro­duits, pro­cé­dés et ser­vices sont conçus à par­tir de l’ac­quis scien­ti­fique des tech­niques de base en tant que sys­tèmes com­plexes, à l’is­sue d’un pro­ces­sus d’é­tude, de déve­lop­pe­ment et éven­tuel­le­ment de recherche, que l’on peut consi­dé­rer de manière sim­pli­fiée avec, en phase finale, la réa­li­sa­tion et la mise au point (la qua­li­fi­ca­tion) de pro­to­types, et à l’o­ri­gine, des études de fai­sa­bi­li­té tech­nique. Ces méthodes per­met­tant à la tech­no­lo­gie d’in­té­grer sys­té­ma­ti­que­ment les acquis de la connais­sance ont com­men­cé à appa­raître à la fin du XIXe siècle (cf. le labo­ra­toire de Tho­mas Alva Edi­son). Elles furent défi­ni­ti­ve­ment mises au point durant la guerre « froide » avec les grands pro­grammes d’ar­me­ment amé­ri­cains des années cin­quante (Minu­te­man, Polaris…).

Aujourd’­hui à tra­vers cette acti­vi­té de « recherche-déve­lop­pe­ment » l’ap­pli­ca­tion tech­no­lo­gique des acquis de la science est deve­nue non seule­ment l’é­qui­valent d’une « res­source », exploi­table en tant que telle, mais la res­source dis­po­nible la plus grande. Et dans la guerre « civile et éco­no­mique », qui s’est déve­lop­pée depuis trente ans et ravage par sa vio­lence sour­noi­se­ment le monde en fai­sant « voler en éclats la socié­té du tra­vail et l’É­tat social » (J. Haber­mas), la capa­ci­té à exploi­ter cette res­source est deve­nue peu à peu le fac­teur essen­tiel de la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises. Ne serait-ce que pour sur­vivre, celles-ci ont dû, doivent ou devront s’or­ga­ni­ser en consé­quence (le reen­gi­nee­ring).

La science, la connais­sance sont neutres. Leurs appli­ca­tions, la tech­no­lo­gie ne le sont pas.

Toute inno­va­tion apporte avec elle des avan­tages, des effets béné­fiques et posi­tifs (sinon, quelle rai­son d’être aurait-elle ?). On peut citer : la satis­fac­tion de besoins, l’ou­ver­ture de nou­veaux espaces de liber­té, l’aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vi­té, la créa­tion d’emplois, etc. Elle pro­duit éga­le­ment à des degrés divers des effets néga­tifs et per­vers, des incon­vé­nients : accrois­se­ment des dis­pa­ri­tés, effets de domi­na­tion, consom­ma­tion d’éner­gie et de matières pre­mières, pol­lu­tion et atteinte à l’en­vi­ron­ne­ment, rup­tures cultu­relles, dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail, dimi­nu­tion de l’emploi, etc.

C’est bien la nature de l’en­semble des pro­duits, pro­cé­dés et ser­vices dis­po­nibles dans une socié­té, en d’autres termes les effets mul­tiples de sa tech­no­lo­gie, qui condi­tionnent et façonnent en pre­mier lieu, non seule­ment sa richesse, mais aus­si son type de consom­ma­tion, son mode de vie, sa culture, le « conte­nu » de sa crois­sance, son modèle de développement.

Alors qu’au­tre­fois la tech­no­lo­gie était une don­née du hasard et de la néces­si­té, aujourd’­hui et contrai­re­ment à la pen­sée com­mune il n’en est plus de même. La tech­no­lo­gie, faible par­tie d’un champ de « fai­sable » main­te­nant immense et crois­sant sans cesse, naît avec cer­taines carac­té­ris­tiques et avec un cer­tain rythme et un cer­tain che­mi­ne­ment dans le temps, qui sont déter­mi­nés par les sys­tèmes pro­duc­tifs et éco­no­miques qui l’engendrent.

Le prin­ci­pal est celui de l’é­co­no­mie de mar­ché, l’é­co­no­mie libé­rale, effi­cace dans le court terme et pos­sé­dant une dyna­mique propre très éle­vée, mais inca­pable par nature de prendre conve­na­ble­ment en compte des consi­dé­ra­tions de long terme ou rela­tives aux caté­go­ries non mar­chandes. L’É­tat et les col­lec­ti­vi­tés publiques ont été ame­nés de ce fait à intervenir.

Le second sys­tème est ain­si celui au sens large de la volon­té col­lec­tive, qui a fait la preuve de son effi­ca­ci­té entre autres en matière de défense ou dans la conquête de la Lune, déjà citées.

La technologie déterminée par le marché

En éco­no­mie de mar­ché les entre­prises ne peuvent consa­crer sur leurs fonds propres qu’une part évi­dem­ment limi­tée de leurs acti­vi­tés à la recherche-déve­lop­pe­ment. Les taux « d’in­ten­si­té de R & D » sont typi­que­ment de l’ordre du pour cent (com­pris entre quelques dixièmes de pour cent et quelques pour cent).

Or inno­ver coûte cher, par­ti­cu­liè­re­ment en ce qui concerne la réa­li­sa­tion et la mise au point des pro­to­types. Des labo­ra­toires, des équi­pe­ments d’es­sais doivent être ins­tal­lés, des équipes plu­ri­dis­ci­pli­naires doivent être entre­te­nues. On rap­pel­le­ra ici la bou­tade : « Le meilleur moyen de se rui­ner, ce sont les ingé­nieurs ! » Les entre­prises exploitent ain­si la « res­source tech­no­lo­gique », non pas plei­ne­ment mais juste suf­fi­sam­ment pour être au moins aus­si com­pé­ti­tives que leurs concurrentes.

De ce fait l’ac­quis de la science et de la tech­nique, aujourd’­hui déjà consi­dé­rable, est dans l’en­semble sous-exploi­té. La conscience de cette sous-exploi­ta­tion est géné­rale pour cer­tains domaines, comme l’in­for­ma­ti­sa­tion et l’au­to­ma­tion ou les bio­tech­no­lo­gies, où le sen­ti­ment des pos­si­bi­li­tés immenses d’ap­pli­ca­tion non encore mises en œuvre est lar­ge­ment répan­du. Mais la sous-uti­li­sa­tion du gise­ment accu­mu­lé du savoir et du savoir-faire, exis­tant ou poten­tiel­le­ment à venir, est pra­ti­que­ment une réa­li­té pour presque tous les sec­teurs, à des excep­tions près sur les­quelles nous revien­drons parce qu’elles sont primordiales.

Cette consta­ta­tion a ins­pi­ré l’i­dée qu’une « révo­lu­tion de l’in­tel­li­gence » est à por­tée de nous. Mais une telle révo­lu­tion n’é­mer­ge­ra pas spon­ta­né­ment. Elle devrait être organisée.

En stricte éco­no­mie de mar­ché, c’est-à-dire dans la sphère de l’i­ni­tia­tive pri­vée, l’in­no­va­tion appa­raît le plus sou­vent quand « l’é­cré­mage du mar­ché » per­met une ren­ta­bi­li­té à court terme.

Elle s’ac­com­pagne ain­si qua­si auto­ma­ti­que­ment de la créa­tion d’un nou­veau besoin non satis­fait pour le plus grand nombre, c’est-à-dire en par­ti­cu­lier d’un effet d’ac­crois­se­ment des dis­pa­ri­tés. Comme de toutes autres sortes d’ef­fets néga­tifs, qui n’ont pas de rai­son de ne pas être, sauf exis­tence de régle­men­ta­tions, inter­dic­tions et normes diverses, ins­tau­rées par la collectivité.

La tech­no­lo­gie et l’ac­tion publique (ou la démo­cra­tie) : une liai­son tumultueuse
En ce début du troi­sième mil­lé­naire l’ac­tion publique est à la fois idéo­lo­gi­que­ment dis­cré­di­tée et finan­ciè­re­ment de moins en moins pos­sible (cf. le cha­pitre sui­vant). Pour­tant la tech­no­lo­gie ne serait pas ce qu’elle est aujourd’­hui sans l’ac­tion publique. Un retour sur le pas­sé s’im­pose, sur lequel l’âge de l’au­teur de ces lignes lui per­met de por­ter témoignage.

Le pre­mier rap­pel concer­ne­ra les grands pro­grammes tech­no­lo­giques enga­gés en France du fait de la volon­té publique dans les années soixante et peu après : la force de frappe, le nucléaire civil, Concorde puis Air­bus, le plan cal­cul, le spa­tial et Ariane, le TGV, le plan Thé­ry de « rat­tra­page » du télé­phone, etc. Ces grands pro­jets ont presque tous été des réus­sites. Ils ont façon­né dans la durée la capa­ci­té tech­no­lo­gique de notre pays. Il est bien vrai que les choix sec­to­riels auraient pu être autres, mais il n’est nié par per­sonne que c’est en grande par­tie grâce à ces pro­grammes publics que notre pays tient encore sa place dans la com­pé­ti­tion inter­na­tio­nale. Dans les sec­teurs en ques­tion ils ont per­mis d’ex­ploi­ter plei­ne­ment et non pas par­tiel­le­ment ce que j’ap­pelle la « res­source tech­no­lo­gique », c’est-à-dire d’at­teindre des taux d’in­ten­si­té de R & D dépas­sant les 10 voire les 20 %. Des taux aus­si éle­vés ne peuvent être obte­nus que grâce à la volon­té publique : « La tech­no­lo­gie, c’est l’argent public », disait-on jus­te­ment. Avec au pas­sage une remarque : les sec­teurs d’ac­ti­vi­té ne se trouvent pas être « avan­cés », « de pointe » ou « à haute tech­no­lo­gie » par nature ou on ne sait par quel miracle, il appar­tient bien à la volon­té publique, si elle en a les moyens, de pou­voir faire de tout sec­teur civil (sans par­ler bien sûr de la défense) un sec­teur tech­no­lo­gi­que­ment très avancé.

Le second point touche au pro­blème cen­tral de la tech­no­lo­gie : ses effets néga­tifs, autre­ment dit ses défauts. Com­ment les pré­voir, les res­treindre, les évi­ter, les gérer ? Un rap­pel his­to­rique est là aus­si ins­truc­tif. Au début des années soixante-dix peu avant la fin bru­tale et inat­ten­due de la der­nière période de forte crois­sance des pays indus­tria­li­sés – les trente glo­rieuses des Fran­çais ou l’âge d’or des Anglo-Amé­ri­cains – trois types de griefs étaient émis à l’en­contre de la tech­no­lo­gie de ces pays, avec laquelle, par la force des choses, par mimé­tisme ou en igno­rant que d’autres voies sont pos­sibles, l’en­semble du monde se déve­lop­pait ou ten­tait de le faire.

Le pre­mier, sur lequel le Club de Rome son­na l’a­lerte dès 1971, était que l’ex­ten­sion de cette tech­no­lo­gie au béné­fice de tous les hommes de la pla­nète se heur­te­rait imman­qua­ble­ment aux exi­gences de pré­ser­va­tion des res­sources natu­relles et de l’en­vi­ron­ne­ment : la tech­no­lo­gie des pays indus­tria­li­sés n’est pas « uni­ver­sa­li­sable », « mon­dia­li­sable », même à terme.

Le second est que cette tech­no­lo­gie convient en outre mal à court terme aux pays en déve­lop­pe­ment. Elle est sou­vent dif­fi­ci­le­ment « trans­fé­rable ». Les pro­cé­dés indus­triels des pays indus­tria­li­sés sont avant tout conçus pour pro­duire de grandes séries, avec beau­coup de capi­tal, avec des matières éla­bo­rées et peu de main-d’œuvre mais très qua­li­fiée. Leurs biens d’é­qui­pe­ment ont des per­for­mances quan­ti­ta­tives très éle­vées, mais sont d’une main­te­nance dif­fi­cile et fort consom­ma­teurs en éner­gie. C’est tout le contraire qui est le plus sou­vent néces­saire à ces pays, qui devraient mettre en œuvre, pour se déve­lop­per mieux et plus rapi­de­ment, une autre tech­no­lo­gie, « appro­priée », « adap­tée », « sur mesure », qui n’existe pas et serait elle-même à développer.

Le troi­sième enfin est qu’au sein même des pays indus­tria­li­sés la tech­no­lo­gie exis­tante com­men­çait à être remise en ques­tion pour, outre ses atteintes à l’é­co­sphère déjà vues et dénon­cées par les éco­lo­gistes, l’am­pleur de cer­tains de ses autres effets per­vers, qu’il s’a­gisse des « alié­na­tions de la socié­té de consom­ma­tion » (plus de besoins arti­fi­ciels créés que de besoins exis­tants satis­faits), des condi­tions de tra­vail, etc., impo­sant de nou­velles tech­no­lo­gies « alter­na­tives », « douces », « soutenables ».

À l’é­poque les réac­tions et prises en compte poli­tiques furent immé­diates. Dès 1972 le Congrès amé­ri­cain pro­mul­guait le « Tech­no­lo­gy Assess­ment Act » et créait auprès de lui-même l’Of­fice of Tech­no­lo­gy Assess­ment (OTA) comme pre­mier outil démo­cra­tique d’in­for­ma­tion, de concer­ta­tion et d’ap­proche de l’é­va­lua­tion glo­bale des effets de la tech­no­lo­gie en vue d’une cer­taine maî­trise col­lec­tive de cette der­nière. La même année une Confé­rence des Nations unies adop­ta à Stock­holm une Charte de l’En­vi­ron­ne­ment en 26 points. La France s’as­so­cia au mou­ve­ment. On peut citer par exemple : en 1975 la sor­tie de l’ou­vrage La Tech­no­lo­gie incon­trô­lée de Jean-Claude Derian et André Sta­ro­po­li ; en 1978 la créa­tion de l’ONG « Inno­va­tion Tiers-monde » ; en 1983 la créa­tion de l’Of­fice par­le­men­taire d’é­va­lua­tion des choix scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques sur le modèle de l’O­TA, etc.

Mais il était déjà trop tard. Entre-temps les chocs pétro­liers (c’est-à-dire en fait la « pre­mière crise mon­diale de l’éner­gie et de la tech­no­lo­gie ») et l’en­ga­ge­ment dans un libre-échan­gisme inté­gral, qui s’en­sui­vit, avaient radi­ca­le­ment chan­gé la face du monde et relé­gué au second plan, c’est-à-dire aux oubliettes, ces bonnes dis­po­si­tions pour­tant capi­tales pour l’a­ve­nir du genre humain. L’OTA a dis­pa­ru en 1995 dans l’in­dif­fé­rence générale.

Le concept de « déve­lop­pe­ment durable » a été vidé de sens. Le pro­to­cole de Kyo­to, pour­tant sti­pu­lant des « mesu­rettes » à la marge, est mori­bond, etc., trente ans après Stock­holm ! L’hu­ma­ni­té s’est vrai­ment accu­lée d’elle-même au catas­tro­phisme, mais, comme l’a fait obser­ver le phi­lo­sophe Jean-Pierre Dupuy, à un « catas­tro­phisme éclairé » !

Et maintenant ?

Jamais le fos­sé n’a été aus­si grand entre le monde réel, tel qu’il est et tel qu’il va on ne sait où, mené par la « main invi­sible », et le monde poten­tiel que per­met­trait la pleine exploi­ta­tion de la res­source tech­no­lo­gique par un volon­ta­risme démo­cra­tique. Jamais non plus n’ont paru mieux rem­plies, à l’ex­cep­tion d’une seule, les condi­tions pour que se réa­lise jus­te­ment cette révo­lu­tion de l’in­tel­li­gence, ce pas­sage après l’ère indus­trielle à une fan­tas­tique ère nou­velle, celle de la connais­sance, l’ère scien­ti­fique, capable, entre autres dans la durée et avec des struc­tures adap­tées, de rendre sol­vables d’im­menses besoins aujourd’­hui non satis­faits et, pour­quoi pas, d’é­ra­di­quer la pau­vre­té. En effet d’une part l’ac­quis de la science et de la tech­nique, du savoir et du savoir-faire, d’ores et déjà consi­dé­rable s’ac­croît sans cesse, tout au moins tant que la recherche fon­da­men­tale conti­nue à être finan­cée par la col­lec­ti­vi­té. D’autre part grâce à la cure per­ma­nente de concur­rence vio­lente qu’elles subissent, les entre­prises sont de plus en plus en capa­ci­té d’ex­ploi­ter cet acquis. La seule ques­tion en sus­pens est de savoir com­ment le volon­ta­risme peut retrou­ver les moyens finan­ciers de s’exercer.

Un pays en par­ti­cu­lier comme la France, seul face aux effets nocifs de ce qu’on appelle « la mon­dia­li­sa­tion libé­rale », ne peut rien. Mais au sein de l’Eu­rope dotée d’un mini­mum de pro­tec­tion doua­nière négo­ciée, assu­ré­ment oui. Les ini­tia­tives qui ont été der­niè­re­ment lan­cées, les États géné­raux de la recherche, l’ap­pel de Jean-Louis Bef­fa, le PDG du groupe Saint-Gobain, pour « un retour à une poli­tique de grands pro­grammes tech­no­lo­giques », etc., ont abou­ti à un pre­mier résul­tat. Elles doivent être poursuivies.

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