Sur les traces de Marco Polo, un X en Mongolie
Tout a commencé quand j’avais huit-neuf ans. J’étais alors en mesure de réaliser que mes parents étaient de grands voyageurs, en tout cas en avance sur leur temps, voyageant dans des avions à hélices, puis dans les premiers Boeing à réaction vers les quelque 80 destinations sur les cinq continents qu’ils connaissent aujourd’hui. Je leur ai emboîté le pas.
Voyant les diapositives de voyage de mes parents et entendant leurs récits d’aventures, je n’ai pu qu’être marqué par cette expérience fascinante et j’y ai, bien entendu, forgé mon envie de sortir des sentiers battus.
Grand voyageur
Mon diplôme de l’X en poche, j’ai rejoint une société de construction qui m’a envoyé très rapidement à l’étranger déjà lointain pour moi : l’Algérie ! Se sont ensuite enchaînés des séjours professionnels d’en général deux ans et demi chacun : au Yémen, au Vénézuéla, puis en France qui était devenue pour moi un pays quelque peu étranger, puis aux États-Unis (très souvent en déplacement professionnel vers le Mexique, le Brésil et l’Argentine) et au Vietnam.
Retour en France pour cause de crise asiatique. Huit ans de conseil en investissement et gestionnaire d’actifs pour un fonds d’investissement américain, et – mal jaune oblige – un grand désir de Chine. La Chine continentale bien sûr, avec Pékin comme terrain d’atterrissage obligé, car ni Singapour, ni Hong Kong, ni même Shanghai ne pouvaient satisfaire mon envie d’aller en profondeur dans l’empire du Milieu… Douze ans passés en Chine, à la parcourir de long en large sans pour autant toucher aux interdits du Tibet, du Xinjiang, ni même de la Mongolie-Intérieure !
Je découvre la Mongolie
Par son histoire ancienne, la Mongolie (officiellement la république de Mongolie) est un concentré de Tibet et de Xinjiang. La Grande Mongolie contrôlée par le khan de Karakorum englobait, outre l’actuelle Mongolie, celle dite aujourd’hui « Mongolie-Intérieure » (et actuellement province chinoise). Son territoire était tombé sous contrôle de la dynastie Qing (les Mandchous étaient des tribus du Nord, en fait « cousins » des Mongols). Mais à sa chute en 1911, la Mongolie déclara son indépendance, d’abord contestée par le nouveau régime chinois de Sun Yat-sen, puis ratifiée en 1921 alors que la Russie soviétique commençait à étendre sa zone d’influence. Ce n’est que sous Mao qu’en raison d’accords obscurs avec Staline (certains disent en échange de la technologie de la bombe A), la Chine accepta que le territoire de l’actuelle république de Mongolie passe sous contrôle russe et devienne effectivement ce tampon avec la Chine tant souhaité pour des raisons stratégiques.
Oui, d’accord, mais pourquoi un polytechnicien va-t-il s’installer en… Mongolie ?
“À deux heures du matin,
42 degrés en dessous de zéro ! ”
Une terre d’opportunités immenses
La réponse réside dans le fait que, à part une aventure amoureuse liée depuis Pékin avec une ravissante Mongole qui m’avait incité à visiter son pays, la Mongolie d’aujourd’hui recèle des opportunités d’investissement sans précédent. Et c’est bien avec des yeux d’investisseur opportuniste (disons plus prosaïquement de venture capitalist) que j’ai vu la Mongolie, où je suis arrivé pour la première fois en février 2011. À deux heures du matin, par 42 degrés en dessous de zéro et, en guise de comité d’accueil, un indice de particules 2,5 µ de 900 ou 1 000…
Phénomène essentiellement nocturne, car il s’agit bien pour ces foyers mongols, qui vivent pour moitié dans des yourtes de feutre en lisière de la ville, de se chauffer coûte que coûte de 18 heures à 7 heures du matin avec ce que l’on trouve : principalement du lignite bon marché et de mauvaise qualité, polluant à souhait, mais aussi des cartons, des plastiques, des pneus, du polystyrène…
Même si j’étais déjà habitué à Pékin à des journées où l’indice de pollution dépasse d’un coefficient trois ou quatre les indices d’alerte de l’organisation mondiale de la santé, là, la nuit, on était à un coefficient dix ou douze fois supérieur !
Était-ce suffisant pour me précipiter dans la première agence de voyages et acheter mon billet retour ? Bien sûr que non, car la journée recèle d’incroyables opportunités d’investissement sous un ciel bleu, non pas azur mais marine.
Quelles sont donc ces opportunités ?
Elles sont à 360 degrés. Le pays est un ancien satellite de l’URSS, officiellement le deuxième pays communiste de la terre, et quand les Russes sont partis ou plutôt en ont été chassés en 1991, il s’est effondré dans le chaos : plus de gestion, plus de financement, plus rien sur les étals non plus, rien. Mais les steppes herbeuses, sur lesquelles les hordes mongoles s’entretuaient avant de se réunir sous la domination de Gengis Khan, recèlent d’immenses trésors minéraux, d’ailleurs en grande partie découverts par les Russes avant leur départ précipité de 1991.
Et là, on atteint des extrêmes quantitatifs en termes de réserves. Tout comme le pays peut être considéré comme le pays des extrêmes, en températures d’abord (de 30 degrés en été à moins 45 degrés en général en hiver), en paysages, des glaciers éternels de la chaîne de l’Altaï au désert de Gobi, et bien sûr de sa population, des peuplades kazakhes et musulmanes de l’Ouest aux éleveurs de rennes du Nord à la frontière russe, et bien sûr en passant par ces nouveaux riches d’Oulan-Bator qui s’habillent à Oxford Street ou rue du Faubourg Saint-Honoré et roulent en Bentley ou Ferrari. Ainsi va le monde en voie de développement !
Marco Polo en Mongolie
Marco Polo passa dix-sept ans de sa vie au service du grand Kubilaï Khan qui était déjà l’empereur de Chine (dynastie Yuan), partageant son temps entre Khanbalik (la ville du khan, actuellement Pékin) et Karakorum, l’ancienne capitale des Mongols rasée plus tard par les Qing, mais où l’on admirait l’excellence d’un orfèvre français hors pair : Guillaume Bouchier, qui y avait édifié une fontaine qui versait des branches d’un arbre aux feuilles d’argent les boissons tant attendues par les voyageurs lointains venus rendre allégeance au grand khan en échange de sa protection.
Des minerais à profusion
L’opportunité numéro un y est de très loin dans l’activité minière pour l’exploitation et la transformation des ressources minérales du pays. Elles sont… énormes ! La Mongolie possède des réserves de charbon, de cuivre, de fer, de molybdène, d’or, de bauxite, d’uranium, pour ne citer qu’eux, qui se classent parmi les premières mondiales. Et elle commence depuis peu leur exploitation via des investissements locaux encore relativement modestes et via des investissements étrangers massifs, tels ceux de Rio Tinto ou de Chinalco et autres sociétés chinoises ayant compris les bénéfices au bout du parcours du combattant administratif que ces investissements importants imposent nécessairement. Corruption y comprise.
La corruption est le cancer d’une société et c’est bien le cas en Mongolie. Le pays est de fait contrôlé par deux partis politiques qui s’échangent le pouvoir à coups de millions de dollars dépensés dans des campagnes politiques populistes de plus en plus extravagantes, et chaque parti est contrôlé par une dizaine de familles influentes, qui toutes ont un pied ferme dans une demi-douzaine d’industries clés du pays. Autant dire que la démocratie proclamée haut et fort par le pouvoir, et hardiment soutenue par les États-Unis vu la position stratégique de cette enclave démocratique dans une région de régimes totalitaires, n’est qu’une illusion et que le peuple ne touche que les miettes d’un développement que les clans familiaux se partagent avidement.
“L’art contemporain mongol est appelé à prendre sa place sur
le marché mondial de l’art contemporain”
Mes projets
Alors, que fais-je en Mongolie sur les pas de Marco Polo ?
Ma réponse : des investissements. D’abord, dans l’immobilier résidentiel et commercial pour y sous-tendre ma présence et mes activités. Puis dans les énergies renouvelables où, avec un partenaire mongol, nous tentons de développer une ferme solaire de 30 MW dans le centre industriel du pays, à Darkhan non loin de la frontière russe. Le pays est inondé de soleil à l’exception des mois d’été où soleil et pluie se jalousent. C’est donc une formidable opportunité que de pouvoir développer une énergie propre dans un pays où la pollution est un fléau que même les grandes institutions financières internationales n’arrivent pas à endiguer, malgré leurs investissements en études diverses, en programmes d’échange de fourneaux domestiques peu sophistiqués par des fourneaux plus filtrants, en réseaux de distribution électrique, en habitat abordable et chauffé à l’électricité pour y reloger les populations de la périphérie.
Ferme solaire et biométhanisation
Et cette ferme solaire serait équipée de système de stockage d’électricité car, en raison de la déficience structurelle du réseau de distribution, l’électricité produite ne pourrait être parfois absorbée et donc vendue à la société d’électricité nationale ou son mandataire. Il s’agirait ici de sauter deux ou trois étapes de développement en propulsant la Mongolie vers un État où l’hydrogène deviendrait la source majeure de combustion notamment pour les réseaux de chauffage mais aussi pour le transport public. Le projet passerait donc, pour rester simple, par un investissement dans une unité d’électrolyse et dans le montage d’un financement d’une flotte locale de bus à hydrogène (piles à combustible). En attendant ce financement, lié bien sûr à la faisabilité financière du projet, une unité de biométhanisation pour produire du méthane via la combinaison de l’hydrogène produit par électrolyse et du gaz carbonique produit par la fermentation des produits organiques.
Ensuite, un investissement dans le commerce de l’art contemporain mongol appelé, grâce au grand talent des artistes mongols et à l’instar de l’art contemporain chinois, à prendre une place méritée sur le marché mondial de l’art contemporain.
Prochaines étapes
Les prochaines étapes sont : finalisation des dernières autorisations pour notre projet dans les énergies renouvelables et lancement du projet dont je suis actionnaire, certes minoritaire ; développement des ventes d’art contemporain mongol en Europe ; ensuite, probablement des investissements dans le domaine du tourisme lié à l’art et à la culture mongole. Car s’il y a un secteur qui croît rapidement en Mongolie, c’est bien celui du tourisme et un investissement connexe à mon activité dans l’art serait indirectement bénéfique. Sans oublier l’investissement très probable dans une galerie en Europe.
Les autres piliers de l’industrie mongole : l’élevage bien sûr et tous ses produits dérivés (viande, lait, laine, cuir). En cela compris le cachemire qui offre à la Mongolie des revenus significatifs depuis des décennies, même si ceux-ci pourraient être bien supérieurs si un peu plus de valeur était ajoutée dans le pays, au lieu que seule la matière première soit vendue à vil prix à la Chine. Tout comme les minerais d’ailleurs, pour lesquels le niveau de transformation à l’intérieur des frontières est bien insuffisant au grand bonheur de son puissant voisin du Sud. Ni fonderie, ni aciérie, ni industrie mécanique dignes de ce nom n’existent en Mongolie…
L’art contemporain mongol
Que de talent chez les artistes mongols ! L’école des miniatures d’inspiration tibétaine ou persane, l’école russe, l’école de la vie leur ont donné les moyens de réexplorer l’art religieux, la calligraphie, la peinture, la sculpture pour une expression artistique hors du commun. D’abord pour représenter Mère Nature et ses bienfaits sur l’humain, pour figurer l’extraordinaire place du cheval (et autres animaux) dans la vie des nomades, pour s’interroger sur les changements radicaux de la société mongole, pour symboliser le lien aux esprits dans une société encore teintée de chamanisme et de superstition. Aussi pour rappeler la formidable épopée conquérante de Gengis Khan, Man of the Millennium, et pour retrouver la trace de leur passé fait de légendes et de contes fantastiques.
L’exportation, clé du développement mongol
La Mongolie est vouée, qu’elle le veuille ou non, à exporter vers ses grands voisins que sont la Russie et la Chine. Car ce ne sont pas ses quelque trois millions d’habitants, dont à peine un quart peut représenter un pouvoir d’achat, qui peuvent attirer un investisseur étranger dans les produits de consommation. Même si les grandes marques de luxe sont présentes pour capitaliser sur les revenus indécents que certains particuliers ou sociétés font dans la mine, l’élevage, la construction, l’immobilier ou… la vodka !
D’autres opportunités ne manquent pas
Citons les infrastructures en général, y compris bien sûr celles de distribution électrique, d’assainissement, de traitement des déchets, de réseaux de transport, d’aérodromes proches des sites touristiques ; l’agriculture, au vu de l’immensité des steppes du pays. Les Russes ne s’y étaient pas trompés en développant des kolkhozes ici et là. Des investisseurs français y récoltent déjà le fruit de leur investissement dans le blé. Et la Chine a besoin de sécurité alimentaire. L’équation est presque parfaite, seule la courte durée de la saison à températures positives vient ternir le tableau. Enfin, l’éducation et la formation, qui permettent à un pays de se développer durablement.
Vous, de la communauté polytechnicienne, êtes les bienvenus dans ce pays fascinant et, avec mon camarade Zakariae El Marzouki (2003) d’Orano, nous nous ferons un plaisir de vous guider dans votre réflexion si vous nous faites l’honneur de votre visite.
À bientôt.
La Mongolie en quelques chiffres
Superficie proche de celles de la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne réunis.
PIB de 12 milliards de US dollars, soit environ 4 000 USD/habitant.
3 M d’habitants, 45–50 M de têtes de bétail.
Oulan-Bator 1,5 M d’habitants, Erdenet 100 000 habitants, Darkhan 85 000 habitants.
Régime parlementaire depuis 1992 avec seulement 76 députés.
Objectif national de recevoir un million de touristes en 2021.