SYMPHONIES
Étymologiquement, une symphonie est une pièce d’orchestre, c’est-à-dire un morceau de musique joué par plusieurs instruments simultanément. Il y aurait beaucoup à dire sur les différences de cultures – et peut-être de valeurs sociales – qui sous-tendent les formes symphoniques dans diverses sociétés : dans la musique occidentale dite classique, du XVIIe au XXe siècle, chaque instrument joue une partie qui lui est affectée en propre, l’ensemble étant régi par des lois très strictes, notamment celles du contrepoint ; dans la musique arabe, les instruments jouent généralement à l’unisson des mélodies complexes ; dans le jazz classique (avant le freejazz), chaque instrument improvise sur une trame harmonique donnée au départ, etc. Mais dans pratiquement tous les cas, il y a dans la symphonie une notion d’ordre et de fusion de chacun dans le groupe.
Mahler, Rachmaninov
La 2e Symphonie de Mahler, avec deux voix solistes et choeurs, constitue sans doute le sommet de la complexité pour une oeuvre symphonique, que seules approcheront par la suite certaines symphonies de Chostakovitch ; et pas seulement en raison de ses 10 mouvements (5 en théorie) et de ses près de 90 minutes. Elle est composée à 34 ans par un musicien encore inconnu en tant que compositeur, nietzschéen, wagnérien, universaliste, juif pas encore converti, qui a pour profession de foi musicale que la symphonie « doit être tel le monde et contenir toute chose ». On attendait l’enregistrement en concert du Berliner Philharmoniker, dirigé par Simon Rattle, qui associe Kate Royal, soprano, Magdalena Kozena, mezzo, et le choeur de la Radio de Berlin1. Pas de surprise : des instrumentistes d’exception qui constituent aujourd’hui la meilleure formation du monde, une parfaite homogénéité de tous les pupitres, et une direction toute de clarté et de sagesse, qui contraste avec celle, fougueuse et habitée, de Bernstein, et se rapproche de l’interprétation historique de Bruno Walter (1958), qui fut l’ami de Mahler.
Rachmaninov est plus connu par ses concertos que par sa musique symphonique. Sa 2e Symphonie, composée en 1906–1907, peu après le Concerto pour piano n° 2, vaut plus que le détour pour qui aime les mélodies belles à pleurer, les harmonies romantiques, les orchestrations semblables à celles de la musique de film avec cordes soyeuses, cors profonds, bois langoureux et discrets.
D’une certaine façon du post- Tchaïkovski, ou encore un concerto où il ne manque que le piano : de la belle musique, qui ne cherche pas à épater ni à démontrer mais à vous émouvoir, et qui y parvient joliment. Antonio Pappano vient d’enregistrer cette oeuvre rare à la tête de l’Orchestre de l’Académie nationale Sainte-Cécile de Rome2 et l’on se prend à penser que les Italiens, sentimentaux ma non troppo, sont, peutêtre, mieux indiqués encore que les Russes pour interpréter la musique russe.
Chabrier, Liszt
Chabrier et Liszt sont d’abord des compositeurs de musique de piano, mais ils traitent le piano comme un orchestre : quand on écoute des pièces pour piano de Chabrier ou Liszt, on peut entendre un orchestre, ce qui ne serait pas le cas avec Chopin ou Schumann. Chabrier, ami de Verlaine et attaché au ministère de l’Intérieur, compose aussi des opérettes qui feront l’admiration de Ravel.
Trois d’entre elles ont été enregistrées par des solistes, l’Ensemble Vocal et l’Orchestre du Collegium Musicum de Strasbourg dirigé par Roger Delage : Une éducation manquée, Fisch-Ton-Kan, Vaucochard et Fils 1er3. C’est drôle, enlevé, joli, parfois grinçant : une musique légère et fine, qui ne se prend pas au sérieux.
Les Douze Études d’exécution transcendante de Liszt comptent, avec Islamey de Balakirev, parmi les pages les plus techniquement difficiles du piano. C’est l’apogée du romantisme échevelé mais qui ne peut se satisfaire que de l’absolue rigueur pianistique sous peine d’être un magma inaudible. Après Cziffra, c’est Vladimir Ovchinnikov qui s’est attaqué à ce monument de la littérature pianistique4. Avec une technique sans faille, en prenant tous les risques avec une apparente facilité, il vous emmène en un parcours hallucinant d’où vous ressortirez fourbu, groggy et transporté. Mais ce n’est certes pas de la virtuosité pure, et la dernière Étude du recueil, Chasse-neige, tout aussi orchestrale dans son esprit que les autres, est une sorte d’exaltation amère du temps qui passe. Une petite symphonie mélancolique pour un seul instrument.
1. 2 CD EMI.
2. 1 CD EMI.
3. 1 CD ARION.
4. 1 CD EMI.