Transformer les essais cliniques à l’aide de capteurs innovants
L’utilisation de capteurs de haute précision pour améliorer la mesure de l’efficacité des traitements promet une révolution dans la recherche thérapeutique et les essais cliniques à venir. Rencontre avec Alexis Tricot (X14), ingénieur chez Sysnav, responsable de l’équipe de développement des algorithmes cliniques, pour mieux comprendre la transformation en cours du monde des essais thérapeutiques.
Qu’est-ce qu’une variable clinique ?
Une variable clinique est un marqueur utilisé dans un essai clinique pour évaluer l’efficacité d’un traitement. C’est un concept vaste qui peut aller du taux de survie à l’évolution de la glycémie ou de l’indice de masse corporelle en passant par la perte de l’usage de certaines facultés comme la marche ou la mémoire en fonction des mesures d’intérêt pour une pathologie donnée. Chez Sysnav, les variables cliniques que nous développons sont spécifiques de la qualité de vie des patients, et plus précisément de la fonction motrice.
Quels sont les bénéfices du développement de variables cliniques à partir de capteurs ?
Traditionnellement, pour mesurer la fonction motrice, les essais cliniques ont recours à des tests d’effort et des tests de marche, réalisés en clinique et en présence d’un thérapeute. Le recours à des capteurs portables pour mesurer la fonction motrice passivement et en continu présente des avantages clés. D’abord, la possibilité de réaliser les mesures depuis chez soi en portant un capteur pendant quelques semaines, offre plus de confort et élimine le besoin d’aller à l’hôpital. Ensuite, une mesure objective basée sur la vie réelle n’est pas impactée par la motivation ou la fatigue. La mesure en continu renforce la robustesse statistique en éliminant les biais instantanés et en capturant les changements plus rapidement. Cela permet une mesure plus précise et sensible qui facilite la détection précoce des changements causés par un traitement, conduisant à des essais plus courts et moins coûteux.
Comment la maladie impacte-t-elle la complexité du développement de variables cliniques et comment adaptez-vous vos variables à différentes maladies ?
Les maladies neuromusculaires ou neurodégénératives sur lesquelles nous travaillons influencent la fonction motrice de différentes manières et nous les considérons chacune comme un problème unique. Pour développer une variable, nous nous basons sur la compréhension des symptômes de chaque maladie, des limitations physiques, et des problèmes spécifiques tels que le contrôle, la coordination, l’équilibre, l’asymétrie, ou la faiblesse musculaire. Nous construisons des variables précises en fonction de ces éléments cliniques et ciblons un aspect particulier de la fonction motrice pour mesurer de manière spécifique chaque pathologie.
Par exemple, pour la myopathie de Duchenne, le symptôme le plus révélateur est l’évolution de la fonction ambulatoire : les patients sont d’abord limités dans leurs capacités à courir, puis à marcher et utilisent ensuite des trottinettes ou des fauteuils roulants pour se déplacer. Nous avons donc développé une mesure de la vitesse : le 95e centile de la vitesse de marche (SV95C). Cette variable clinique reflète mieux la situation, l’évolution des patients et la réalité clinique que les tests de marche effectués en clinique.
Quels types de comportements d’un patient ou de propriétés pouvez-vous relever à travers une variable ?
Les aspects tels que la faiblesse musculaire, qui est souvent liée à la vitesse de déplacement, peuvent être directement mesurés grâce aux variables que nous développons. Cela permet d’estimer les difficultés à atteindre une performance normale en comparant avec des données de patients sains, ou d’évaluer les capacités de marche au quotidien. Nous pouvons également mesurer des symptômes plus singuliers comme des perturbations de l’équilibre. D’autres patients présentent des altérations de la marche, telles que l’asymétrie, signe de problèmes de coordination, ou des difficultés d’équilibre entraînant des compensations et une marche atypique. Plutôt que de s’intéresser au problème en lui-même, l’analyse de la façon dont il est compensé dans les déformations permet de mieux comprendre et caractériser les symptômes.
Quelles sont les étapes nécessaires pour développer une nouvelle variable clinique et combien en avez-vous développé pour l’instant ?
Il y a cinq étapes importantes dans le développement d’une nouvelle variable : la compréhension, la construction, la capture de données, l’agrégation et la validation. La première étape est la compréhension approfondie de la pathologie : à travers les retours de patients et de cliniciens, les symptômes influant sur la qualité de vie sont identifiés. Des mesures pertinentes sont ensuite construites pour observer un concept spécifique dans les données de nos capteurs. En suivant les patients tout au long d’une période, nous pouvons développer un algorithme pour agréger nos observations en une mesure unique. Enfin, la variable clinique doit être validée à la fois au niveau physique et niveau clinique.
À ce jour, Sysnav a développé plusieurs dizaines de variables cliniques, dont six ont atteint un niveau de validation significatif. Notamment, le SV95C est qualifié par l’EMA (Agence Européenne du Médicament) en tant que critère de décision principal pour la myopathie de Duchenne. D’autres variables ont démontré des qualités de validité clinique sur des mouvements liés aux membres supérieurs pour observer l’évolution de patients non-ambulants.
Quelles sont les méthodes pour évaluer l’efficacité d’une variable clinique ?
L’évaluation de l’efficacité d’une variable clinique comprend plusieurs aspects importants : la robustesse, la qualité, la validité clinique et la sensibilité au changement. Il faut garantir la robustesse du processus en l’appliquant plusieurs fois dans des contextes similaires pour obtenir des résultats cohérents. Sur le plan qualitatif, il est essentiel de vérifier si ce qui est mesuré correspond à des éléments importants pour les patients, liés à leur qualité de vie. La validité est évaluée par des comparaisons avec des échelles existantes qui mesurent des aspects. Enfin, la capacité à détecter le changement est testée en observant les évolutions chez les patients et en les comparant avec les évolutions attendues sur une échelle de temps pour une maladie spécifique.
Comment votre équipe est-elle divisée et quelle est la part de chaque rôle dans le développement d’une nouvelle variable ?
Chaque ingénieur de recherche en algorithme médical se concentre, en général, sur le développement de variables liées à une pathologie spécifique, couvrant l’ensemble du processus, de la compréhension clinique de la maladie à la validation, englobant la reconstruction de trajectoire, la biostatistique, les aspects logiciels et la validation de l’algorithme. Une autre partie de l’équipe travaille sur des sujets indépendants, comme la montée d’escaliers ou la reconstruction de trajectoire qui sont transversaux à plusieurs pathologies.
Au-delà de l’équipe algorithme, nous collaborons avec l’équipe règlementaire pour faire valider nos variables auprès des autorités règlementaires comme l’EMA et la FDA. Notre validation clinique est organisée pour répondre aux mêmes exigences que celles des instances réglementaires. La construction d’un dossier pour faire approuver une variable par ces autorités est donc une application directe de notre travail de validation clinique
Quels sont vos objectifs cette année pour le développement de variables cliniques ?
Cette année, nos objectifs sont d’approfondir notre compréhension de l’impact des pathologies sur la fonction motrice pour transformer ces connaissances en mesures adaptées aux essais cliniques. Les développements actuels ne se limitent pas à un seul aspect, mais capturent plusieurs aspects indépendants, offrant une vue complète de la situation du patient. Nous visons à développer des variables cliniquement satisfaisantes, capables de capturer l’évolution de la fonction motrice plus finement que les échelles actuelles, et à les appliquer dans des essais cliniques pour améliorer l’expérience vécue par les patients.