Système fiscal et développement durable

Dossier : Environnement et FiscalitéMagazine N°534 Avril 1998
Par Dominique VOYNET
Par Dominique STRAUSS-KHAN

Éco­no­mie et éco­lo­gie … après les oppo­si­tions et les incom­pré­hen­sions, nous sommes sans doute entrés dans l’é­poque des rap­pro­che­ments opé­ra­tion­nels. Les objec­tifs du déve­lop­pe­ment durable (conci­lier aspi­ra­tions éco­no­miques et sociales et pré­ser­va­tion de l’en­vi­ron­ne­ment) et le sou­ci plus pro­saïque des finances publiques ‑la dégra­da­tion de l’en­vi­ron­ne­ment génère des coûts – peuvent se retrou­ver. Le récent Som­met de Kyo­to sur la pré­ser­va­tion du cli­mat a ain­si mon­tré que le déve­lop­pe­ment éco­no­mique devait inté­grer les per­tur­ba­tions qu’il cause à la pla­nète, mais aus­si que les poli­tiques envi­ron­ne­men­tales auraient à gagner de l’u­ti­li­sa­tion d’ins­tru­ments économiques.

La fis­ca­li­té a un rôle essen­tiel à jouer dans ce rap­pro­che­ment. Même quand ce n’est pas le but recher­ché, il est indé­niable que la fis­ca­li­té – dont la voca­tion pre­mière est de four­nir des res­sources finan­cières à l’É­tat- a de fac­to un effet sur les com­por­te­ments par ses assiettes et ses mon­tants, et par leur évo­lu­tion dans le temps. Ain­si, alors même que la fis­ca­li­té sur les car­bu­rants est en France une des plus éle­vées d’Eu­rope, ce qui a contri­bué à limi­ter la baisse de leurs prix en termes réels depuis des années, on peut pen­ser que la struc­ture de cette fis­ca­li­té n’a pas été, du fait de l’a­van­tage don­né au gazole, sans inci­dences sur l’or­ga­ni­sa­tion de notre sys­tème de trans­port et sur la pol­lu­tion atmosphérique.

Bien sûr, les prix ne font pas tout, et il faut sans doute faire la part de ce qui résulte dans ces phé­no­mènes de l’é­vo­lu­tion spon­ta­née des com­por­te­ments des agents éco­no­miques. Mais il reste que, en éco­no­mie décen­tra­li­sée, les prix doivent reflé­ter les coûts, et la science éco­no­mique nous invite à cor­ri­ger les signaux-prix en pré­sence d’ef­fets externes ou en cas de pré­lè­ve­ment de res­sources non renouvelables.

Capteurs de la Tour Saint Jacques, à Paris
Cap­teurs de la Tour Saint Jacques, à Paris 
© C.WEISS/ADEME

Le gou­ver­ne­ment s’est enga­gé à com­battre le chô­mage et à mener une poli­tique envi­ron­ne­men­tale active. Ceci nous invite à réorien­ter notre poli­tique fis­cale dans un sens plus favo­rable à l’en­vi­ron­ne­ment. Comme le défend notam­ment un récent appel d’é­co­no­mistes français(1), la fis­ca­li­té peut, dans cer­tains cas, favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment de l’emploi ou de la tech­no­lo­gie et réduire les pres­sions sur l’en­vi­ron­ne­ment. En outre, un sys­tème fis­cal sou­cieux de l’é­co­lo­gie appor­te­rait une légi­ti­mi­té sup­plé­men­taire à la per­cep­tion de l’impôt.

Enten­dons-nous bien, il ne s’a­git pas d’aug­men­ter la pres­sion fis­cale, mais de la dépla­cer d’as­siettes que l’on veut déve­lop­per (tra­vail) vers des assiettes que l’on cherche à com­battre (pol­lu­tions) ou à pré­ser­ver (res­sources natu­relles). Ce bas­cu­le­ment n’est évi­dem­ment envi­sa­geable que s’il est béné­fique pour l’emploi, ce qui implique sans doute, d’une pan, d’en pré­ci­ser soi­gneu­se­ment l1l le conte­nu et les condi­tions, et, d’autre part, de le mettre en œuvre à l’é­che­lon com­mu­nau­taire, voire en coor­di­na­tion avec l’en­semble des pays industrialisés.

Il ne s’a­git pas non plus de créer une mul­ti­tude de petites taxes affec­tées à la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, mais bien de cor­ri­ger des dis­tor­sions fis­cales exis­tantes, et de rever­ser au bud­get de l’É­tat le pro­duit de taxes signi­fi­ca­tives per­çues en appli­ca­tion du prin­cipe pol­lueur-payeur. Il faut retrou­ver le sens pre­mier de l’im­pôt qui est de contri­buer au finan­ce­ment de l’É­tat, non à celui de mul­tiples orga­nismes qui se trouvent bien sou­vent dans l’in­ca­pa­ci­té d’u­ti­li­ser effec­ti­ve­ment les sommes par­fois très impor­tantes qui leur sont affectées.

Le gou­ver­ne­ment s’est enga­gé à ce que le pro­jet de loi de finances pour 1999 com­porte des dis­po­si­tions allant dans le sens d’une fis­ca­li­té plus éco­lo­gique. Ceci n’est qu’une étape et nous devons enga­ger dans la durée et avec convic­tion, en coor­di­na­tion avec les autres États membres de la Com­mu­nau­té euro­péenne, une » réforme fis­cale verte « . Nous nous réjouis­sons donc que  La Jaune et la Rouge consacre un numé­ro spé­cial à ce thème et nous espé­rons qu’il contri­bue­ra il l’in­dis­pen­sable infor­ma­tion et réflexion sur ce sujet.

____________________________________________
(1) Voir l’ar­ticle de jean-Charles Hourcade.

Poster un commentaire