Tech : replacer l’Europe dans la course

Dossier : ExpressionsMagazine N°795 Mai 2024
Par Olivier COSTE (X86)

La France et l’Europe s’effondrent en Tech depuis trente ans, au pro­fit des États-Unis et de la Chine. Pour­tant, la solu­tion est à por­tée de main. Plan d’action pour reve­nir dans la course.

Depuis 2022, l’Europe a dis­pa­ru des résul­tats finan­ciers de Nvi­dia (four­nis­seur amé­ri­cain domi­nant de maté­riel et de logi­ciels infor­matiques). Pour ce prin­ci­pal acteur des semi-conduc­teurs de l’intel­ligence arti­fi­cielle, l’Europe est sor­tie de la carte mon­diale. Comme vous, j’ai été for­mé au ser­vice de la gran­deur scien­ti­fique et tech­no­lo­gique fran­çaise et euro­péenne. Cela fait mal.

USA : 100, Chine : 50, Europe : 2

Pour­tant, c’est une évi­dence dans le monde de l’IA. Depuis le lan­ce­ment de ChatGPT en novembre 2022, c’est la ruée vers l’or. Meta annonce des inves­tis­se­ments de 34 Mds € en 2024 en super­cal­cu­la­teurs. Google porte ses inves­tis­se­ments en R&D à 43 Mds € en 2023 et va pro­ba­ble­ment dépas­ser le bud­get de la défense fran­çais (50 Mds €) en 2024. Micro­soft, Ama­zon, Apple, Ali­ba­ba ou Hua­wei y mettent des moyens similaires.

Les inves­tis­se­ments mon­diaux en infra­struc­tures de cal­cul pour l’IA sont esti­més à 150 Mds € en 2024, dont près des deux tiers aux USA et un tiers en Chine. En Europe ? Le jeune cham­pion fran­çais Mis­tral a levé 0,5 Md € en 2023. Le lea­der euro­péen du soft­ware, l’allemand SAP, a annon­cé qu’il inves­ti­rait 0,5 Md € par an en intel­li­gence arti­fi­cielle. En cher­chant bien, y com­pris les moyens publics, on peut esti­mer que les acteurs euro­péens inves­ti­ront moins de 2 Mds € en infra­struc­tures de cal­cul pour IA en 2024. La Com­mis­sion Aghion pour l’IA demande 5 Mds € par an pour la France, ce serait déjà bien !

R&D en tech : la chute de l’Europe en quinze ans

Un déclassement inédit

Ce rap­port de 1 à 50 est inédit. Il est même his­to­rique. Jamais l’Europe n’a été aus­si dis­tan­cée dans une course tech­no­lo­gique depuis l’invention de l’imprimerie. Or nous par­lons d’une révo­lu­tion indus­trielle qui peut avoir le même impact que l’imprimerie en 1450, la machine à vapeur en 1800 ou le moteur à explo­sion en 1900. Tous les indi­ca­teurs illus­trent le retard crois­sant de l’Europe en Tech (tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion). Les entre­prises de Tech y inves­tissent 6 fois moins qu’aux États-Unis et deux fois moins qu’en Chine. Les start-up y lèvent 3 fois moins d’argent qu’aux États-Unis. Les prin­ci­paux cham­pions de la Tech sont aux États-Unis et en Chine. Les pro­duits de Tech que nous uti­li­sons sont très rare­ment européens.

Les raisons incomplètes

Dans les années 1990 à la Com­mis­sion euro­péenne puis à Mati­gnon, j’entendais les mêmes alertes, et sur­tout les mêmes ana­lyses et les mêmes recom­man­da­tions qu’aujourd’hui. Le gra­phique ci-des­sus illustre la chute de l’Europe en Tech et l’inefficacité des mesures prises depuis trente ans. Après avoir mon­té des acti­vi­tés de Tech pen­dant vingt-cinq ans, puis étu­dié les chiffres de la Tech mon­diale dans tous les sens depuis deux ans, je suis deve­nu assez scep­tique sur les causes géné­ra­le­ment avan­cées. Les para­graphes sui­vants sur­prennent et choquent, ils méritent donc des chiffres et des exemples que l’on trou­ve­ra au cha­pitre 11 de mon livre. Enfin, ils doivent être com­pris dans une pers­pec­tive de dix à vingt ans.

La fragmentation du marché

La cause la plus cou­ram­ment avan­cée est la fragmenta­tion du mar­ché euro­péen. Il est vrai que l’Europe n’est pas un mar­ché dyna­mique pour les inno­va­tions euro­péennes, mais la cause n’en est pas sa frag­men­ta­tion. La deep tech, comme les semi-conduc­teurs, le soft­ware, le cloud, l’IA, ne connaît aucune bar­rière aux échanges (hors Chine et Rus­sie pour des rai­sons géo­po­li­tiques). Israël, Taï­wan et la Corée du Sud sont de vrais acteurs de la Tech sans mar­ché natio­nal. L’Europe pour­rait être un mar­ché majeur pour la Tech, sans inté­gra­tion euro­péenne complé­mentaire, si l’on redonne leur ren­ta­bi­li­té aux investis­sements en Tech.

Une culture particulière

La deuxième cause avan­cée est la culture. Les États-Unis seraient un pays d’immigrants nour­ris à la culture du risque. La vieille Europe aurait une pro­fonde aver­sion au risque. Là encore, cet argu­ment est fra­gile. La culture euro­péenne est aus­si celle des grandes décou­vertes à la Renais­sance et des deux pre­mières révo­lu­tions indus­trielles de 1750 à 1940. Avons-nous vrai­ment chan­gé de culture par rap­port à nos grands-parents ? Le sujet relève moins de la culture que des habi­tudes acquises ces der­nières décen­nies, pour les rai­sons éco­no­miques déve­lop­pées ci-dessous.

La faiblesse des financements

Une troi­sième cause est la fai­blesse des finan­ce­ments. Pour lut­ter à armes égales, il fau­drait des fonds de pen­sion. Il est dou­teux que cela change la donne. Le Royaume-Uni a des fonds de pen­sion et n’est pas mieux loti que la France en R & D en Tech. Sur­tout, l’argent est mobile. Les épar­gnants euro­péens investissent
dans le Nas­daq, les fonds de pen­sion amé­ri­cains inves­tis­se­ment dans le CAC 40. L’épargne mon­diale vien­drait finan­cer les fonds de capi­tal-risque euro­péens si leur pro­fi­ta­bi­li­té s’approchait de celle de leurs concur­rents amé­ri­cains. C’est l’objet de nos ana­lyses ci-dessous.

Trop de réglementation

Une autre rai­son sou­vent avan­cée est la régle­men­ta­tion. L’Europe impo­se­rait des régle­men­ta­tions tech­niques exces­sives, frei­nant la libre entre­prise et l’innovation. Il y a cer­tai­ne­ment du vrai dans cette ana­lyse. Pour­tant, com­ment expli­quer que sa régle­men­ta­tion exces­sive n’ait pas empê­ché l’Europe d’être un cham­pion mon­dial en auto­mo­bile (Mer­cedes, BMW…), en aéro­nau­tique (Air­bus) ou en cos­mé­tiques (L’Oréal) ?

Pas de politique industrielle

En France, beau­coup regrettent l’absence de poli­tique indus­trielle des années de Gaulle et Pom­pi­dou. Mais le pro­gramme nucléaire, le TGV, Air­bus ou Ariane étaient des suc­cès de rat­tra­page tech­no­lo­gique, sur des mar­chés déjà prou­vés aux États-Unis. La Chine a enga­gé les mêmes poli­tiques indus­trielles pour le même rat­tra­page tech­no­lo­gique dans les années 1990 et 2000. En fait, les suc­cès récents de la Tech chi­noise (Ali­ba­ba, Tencent, Tik­Tok) sont les pro­duits d’investissement par des fonds de capi­tal-risque amé­ri­cains. Les poli­tiques indus­trielles ne sont pas adap­tées aux inno­va­tions de rup­ture et aux révo­lu­tions indus­trielles, par nature impré­vi­sibles. Beau­coup attri­buent l’échec de l’Europe en Tech à un manque de moyens publics pour la recherche ou pour la défense. Or les chiffres disent autre chose. Les inves­tis­se­ments en R&D publique sont simi­laires des deux côtés de l’Atlantique. L’Europe ne manque pas de moyens publics, elle manque cruel­le­ment d’investis­sements pri­vés en Tech.

Le coût de l’échec

L’étude de quelques dos­siers emblé­ma­tiques, des expé­riences d’entrepreneurs et une ana­lyse éco­no­mique appro­fon­die m’ont conduit à iden­ti­fier une cause qui me paraît plus fon­da­men­tale : le coût de l’échec, propre à l’Europe. Lea­der mon­dial de la télé­pho­nie fixe en 2000, Alca­tel, fort de 130 000 employés, a dû s’adapter au bas­cu­le­ment du mar­ché des télé­coms vers la télé­pho­nie mobile. Sur dix ans, les restruc­tu­ra­tions lui ont coû­té 10 mil­liards d’euros, soit 7 % de son chiffre d’affaires chaque année. Com­bi­nés aux suc­cès du chi­nois Hua­wei, ces coûts de restruc­tu­ra­tion l’ont asphyxié finan­ciè­re­ment et fait disparaître.

Atos, par­mi les lea­ders mon­diaux de la ges­tion de data cen­ters en 2015 avec 110 000 employés, doit s’adapter au bas­cu­le­ment de l’informatique vers le cloud. À 200 000 euros par ingé­nieur euro­péen, les coûts de restruc­tu­ra­tion se chiffrent en mil­liards et sont hors de por­tée d’Atos, qui se retrouve dans une impasse que j’ai décrite dans Les Échos. Meta, qui inves­tis­sait 10 Mds € par an dans le méta­vers, a tout mis en pause fin 2022, a licen­cié 20 000 per­sonnes en six mois et inves­ti aus­si­tôt des dizaines de mil­liards dans l’IA. Nous avons illus­tré dans le Finan­cial Times cette dif­fé­rence d’agilité entre Micro­soft ou Google aux USA, et Nokia, SAP ou Erics­son, les trois cham­pions de la Tech européens.

Comme de nom­breux entre­pre­neurs, j’ai consta­té les réti­cences des clients euro­péens à lan­cer des pro­jets néces­si­tant des embauches, alors que nous rece­vions des appels de clients amé­ri­cains pour essayer nos solu­tions aux États-Unis. Là-bas, ils embau­chaient 50 per­sonnes, tes­taient pen­dant six mois ou deux ans, puis fer­maient immé­dia­te­ment en cas d’échec. De tels com­por­te­ments sont impos­sibles ici, ce qui me semble la prin­ci­pale rai­son de la fai­blesse de l’Europe comme mar­ché inté­rieur pour la Tech.

Une différence d’agilité

L’analyse éco­no­mique per­met d’expliquer ces exemples par deux fac­teurs. D’une part la Tech est beau­coup plus vola­tile et ris­quée que les indus­tries désor­mais matures issues de la deuxième révo­lu­tion indus­trielle. Le taux d’échec de pro­jets de Tech est de l’ordre de 80 %, quand il n’est plus que de 20 % dans une indus­trie mature.

D’autre part les coûts de l’échec sont 10 fois plus éle­vés en Europe que dans le reste du monde : il faut pro­vi­sion­ner envi­ron deux à quatre ans de salaire par ingé­nieur en Europe pour lan­cer une restruc­tu­ra­tion dans un grand groupe, quand le coût cor­res­pon­dant aux États-Unis est de deux à six mois. La com­bi­nai­son de ces deux fac­teurs a un impact dra­ma­tique pour l’Europe : une grande entre­prise qui lance 5 pro­jets de Tech, dont 4 échouent, gagne de l’argent aux États-Unis ; elle en perd en Europe. Pour un grand groupe, il n’est pas ren­table d’investir en Tech en Europe.

Or la Tech est une affaire de start-up deve­nues grandes : les trois quarts des inves­tis­se­ments amé­ri­cains en R&D en Tech sont réa­li­sés par des grands groupes. Rien d’équivalent en Europe, où nous pra­ti­quons depuis trente ans la poli­tique du bonsaï.

R&D des entreprises en mds €

Une bonne nouvelle

Cette ana­lyse micro-éco­no­mique explique deux phé­no­mènes macro-éco­no­miques illus­trés ci-des­sus. Les entre­prises euro­péennes inves­tissent six fois moins de R&D que les entre­prises amé­ri­caines en Tech (50 Mds € contre 300 Mds €). Cet écart consi­dé­rable d’investissement n’existe dans aucune des indus­tries matures où l’Europe excelle. En outre, ce modèle peut éga­le­ment expli­quer pour­quoi la ren­ta­bi­li­té des fonds de capi­tal-risque euro­péens est infé­rieure à celle des concur­rents amé­ri­cains, pri­vant l’Europe de finan­ce­ments massifs.

Si cette expli­ca­tion du retard de l’Europe en Tech est juste, c’est une bonne nou­velle, car des solu­tions sont envi­sa­geables. Nul besoin de chan­ger la culture de l’Europe, d’approfondir sans fin l’intégration euro­péenne, de ver­ser des cen­taines de mil­liards d’argent public dans des pro­jets incer­tains. En outre, nul besoin d’être amé­ri­cain pour inno­ver, le modèle social euro­péen est adap­té : les indem­ni­tés chô­mage, la san­té gra­tuite, la retraite garan­tie et la for­ma­tion pour tous sont des atouts pour l’Europe sans nuire à l’investissement en Tech. Seule compte ici la vitesse d’adaptation des entre­prises à l’imprévisibilité de la Tech.

Une flexisécurité pour les hauts salaires

Or la Tech emploie des sala­riés qua­li­fiés, bien payés, sans crainte d’un chô­mage de masse. Il suf­fi­rait de faci­li­ter les condi­tions de licen­cie­ment pour les salaires supé­rieurs à 4 000 ou 5 000 euros par mois. Une forme de flexi­sé­cu­ri­té danoise appli­quée aux salaires éle­vés, sans remise en cause du CDI pour plus de 90 % des sala­riés. Une telle mesure serait socia­le­ment jus­ti­fiée et éco­no­mi­que­ment effi­cace pour atti­rer des cen­taines de mil­liards d’investissement dans la Tech européenne.

Rap­pe­lons que les règles rela­tives aux licen­cie­ments datent de 1975 en France et de 1976 en Alle­magne. Elles n’existaient pas pen­dant les trente glo­rieuses. Elles furent mises en place en réac­tion au pre­mier choc pétro­lier, pour pro­té­ger les « OS de Billan­court » d’un chô­mage de masse en pleine expan­sion. Or leur appli­ca­tion aux ingé­nieurs fait sor­tir l’Europe de la révo­lu­tion indus­trielle en cours. Les enjeux sont sérieux.

La zone euro a commencé à perdre sa compétitivité au tournant du siècle

Compétitivité et sécurité

Le pre­mier enjeu est la com­pé­ti­ti­vi­té de l’Europe. Depuis quelques mois, la presse se fait l’écho d’un impor­tant dif­fé­ren­tiel de crois­sance depuis quinze ans entre les États-Unis et l’Europe (70 % de crois­sance du PIB vs 22 %). Tout récem­ment, la Banque cen­trale euro­péenne expli­quait que la pro­duc­ti­vi­té euro­péenne décro­chait de la pro­duc­ti­vi­té amé­ri­caine depuis 1995 et que la prin­ci­pale cause en était la faible dif­fu­sion de la Tech dans notre économie.

L’industrie euro­péenne va être bou­le­ver­sée par la Tech. D’un moteur sur roues depuis cent vingt ans, la voi­ture devient un ordi­na­teur sur roues pour la conduite auto­nome. L’IA vient de « décou­vrir » le pre­mier nou­vel anti­bio­tique depuis cin­quante ans, pre­mier signe d’un bas­cu­le­ment de la chi­mie-phar­ma­cie vers la Tech. 

Com­ment main­te­nir notre indus­trie si le meilleur savoir-faire en Tech est aux États-Unis et en Chine ? Par sa fai­blesse en Tech, l’Europe se posi­tionne dans le XXIe siècle comme si elle avait inves­ti mas­si­ve­ment dans la machine à vapeur en 1900, en lais­sant aux autres le soin d’inventer le moteur à explo­sion qui allait trans­for­mer les villes, l’agriculture, l’industrie, les armées, et amé­lio­rer le niveau de vie de mil­liards de personnes. 

Outre l’économie, les révo­lu­tions indus­trielles sont aus­si des élé­ments déter­mi­nants de la sécu­ri­té et de la sou­ve­rai­ne­té. Déjà aujourd’hui, les BMW et les Air­bus sont construits avec des com­po­sants élec­tro­niques et du soft­ware amé­ri­cains ou chi­nois. Nos expor­ta­tions sont dépen­dantes des rela­tions entre les États-Unis et la Chine. À tout moment, l’un de ces pays peut nous inter­dire d’exporter nos pro­duc­tions vers l’autre. Des mil­lions d’emplois sont en jeu.

Et la puissance militaire ?

La guerre en Ukraine montre la dépen­dance de l’Europe aux tech­no­lo­gies amé­ri­caines de posi­tion­ne­ment, de com­mu­ni­ca­tion, d’observation et d’écoutes. Demain, les avions, les tanks, les sous-marins et les drones seront trans­for­més par l’IA. Rap­pe­lons que, sur la ligne de départ en 2024, le rap­port de force en IA est inquié­tant : États-Unis 100, Chine 50, Europe 2.

Il y a des pré­cé­dents his­to­riques célèbres : la Chine de 1800 a consciem­ment refu­sé les machines à vapeur et autres inno­va­tions des bar­bares euro­péens. Pre­mière puis­sance éco­no­mique mon­diale à l’époque, la Chine s’est fait écra­ser par les bateaux à vapeur et les canons du petit Royaume-Uni en 1840 et est entrée dans un cycle de colo­ni­sa­tion étran­gère et de guerres civiles dont elle n’est vrai­ment sor­tie que dans les années 1990. Nous n’en sommes pas là, mais il vaut mieux s’inspirer du Japon de l’ère Mei­ji que de la Chine du XIXe siècle.

La grenouille qui chauffe

Notre conti­nent est devant le choix sui­vant : l’appauvrissement et l’insécurité d’un côté, la réforme du droit du licen­cie­ment pour les hauts salaires de l’autre. Vu comme cela, le choix est évident. Mais la réa­li­té est tout autre. Les éco­no­mistes sont pris au dépour­vu. Les coûts de restruc­tu­ra­tion sont des secrets d’affaires et leur sont donc incon­nus. Aucune étude éco­no­mique n’a jamais été entre­prise sur le lien éven­tuel entre coût de l’échec et inves­tis­se­ment en Tech. Les patrons des grandes entre­prises ne sont pas (encore) expo­sés à l’imprévisibilité de la Tech et ne se sentent pas péna­li­sés par les coûts de restruc­tu­ra­tion. Ils sont réti­cents à ouvrir un front de crise sociale.

En France, les fonds de capi­tal-risque foca­lisent leur lob­bying sur la créa­tion de fonds de pen­sion et sont blo­qués par la sen­si­bi­li­té poli­tique de la ques­tion des retraites. Les mili­taires sont convain­cus de la fra­gi­li­té de l’Europe du fait de sa dépen­dance à la Tech amé­ri­caine, mais ne voient pas de solu­tion au défi­cit d’investissement pri­vé euro­péen. Les déci­deurs poli­tiques sont inté­res­sés par cette expli­ca­tion nou­velle du retard euro­péen. Mais, sans consen­sus sur l’impact du coût de l’échec, il leur est impos­sible d’engager la moindre réforme. En bref, nous sommes comme la gre­nouille sans réac­tion dans l’eau qui chauffe. Depuis trente ans, pas de réaction.

Plan d’action

Les réformes que nous sug­gé­rons ne seront ni simples ni suf­fi­santes, mais elles sont néces­saires. Sans elles, les autres mesures sont comme de l’engrais dans un champ sans eau. Avec elles, des poli­tiques ambi­tieuses pour­ront deve­nir effi­caces. Avec l’économiste Yann Coa­tan­lem, nous pro­po­sons le plan d’action sui­vant. En pre­mier, docu­men­ter. Les grandes entre­prises gardent confi­den­tiels le détail de leurs coûts de restruc­tu­ra­tion par pays.

Il faut four­nir aux éco­no­mistes, aux poli­tiques et aux ana­lystes des chiffres indis­cu­tables. Nous pro­po­sons de mener une étude auprès des grands groupes euro­péens et de publier des résul­tats agré­gés pré­ser­vant la confi­den­tia­li­té des plans indi­vi­duels. En second, cré­di­bi­li­ser. Il importe de faire vali­der l’analyse par des éco­no­mistes recon­nus dans cha­cun des pays concer­nés, capables d’apporter la cré­di­bi­li­té néces­saire au débat public sur ce sujet sen­sible. Nous pro­po­sons de sus­ci­ter de telles études dans chaque pays euro­péen concer­né. En troi­sième, sen­si­bi­li­ser. Une réforme du droit du tra­vail, même limi­tée aux hauts salaires, néces­site un large débat poli­tique qui se pré­pare long­temps à l’avance avec les prin­ci­paux par­tis poli­tiques, les syn­di­cats, les think thanks, les jour­na­listes influents, les « relais d’opinion ».

“L’Europe a tous les atouts pour revenir dans la course.”

Enfin, il faut des moyens. Nous levons de l’argent pour mener ces actions. Votre sou­tien serait pré­cieux. Vous pou­vez nous contac­ter sur Europe-Tech-Guerre.com ou sur olivier.coste.1986@polytechnique.org. L’École a été créée pour armer le pays par le déve­lop­pe­ment des (poly)techniques de la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle. La com­mu­nau­té des X se doit de jouer un rôle moteur dans le retour de la France et de l’Europe dans la révo­lu­tion indus­trielle en cours.

En avant !

J’oubliais un détail : c’est pos­sible. Je suis fas­ci­né par l’abattement, le défai­tisme, le déses­poir des déci­deurs fran­çais. « C’est trop tard, ça ne mar­che­ra jamais, il n’y a rien à faire. » L’Europe a tous les atouts pour reve­nir dans la course. Ses ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques garan­tissent la sta­bi­li­té poli­tique, contrai­re­ment à la Chine ou à la Rus­sie, dic­ta­tures fra­giles sur le long terme. Les cadres régle­men­taires assurent la sécu­ri­té juri­dique des acteurs éco­no­miques, contrai­re­ment à la Chine. Les infra­struc­tures sont excel­lentes, contrai­re­ment à l’Inde. Ses gou­ver­ne­ments sont peu cor­rom­pus, contrai­re­ment à… d’autres. La liber­té d’entreprendre y est réelle. Les écoles et les uni­ver­si­tés y sont solides. Les ingé­nieurs y sont com­pé­tents, les équipes y tra­vaillent dur.

En avant pour la Patrie, la Tech et la Gloire!


Pour aller plus loin : 

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Claude Rigaultrépondre
28 juin 2024 à 9 h 16 min

Thèse très inté­res­sante et à encou­ra­ger. Cepen­dant, je pense qu’il existe d’autres causes du retard de l’Europe et d’autres remèdes à appli­quer. En par­ti­cu­lier, par­mi les causes il faut citer la pro­pen­sion des ingé­nieurs euro­péens et sur­tout fran­çais à ne pas faire de tech­nique et à pré­fé­rer le mana­ge­ment. Par­mi les remèdes, ayons conscience qu’il faut sur­tout chan­ger les men­ta­li­tés, donc que ce sera long et dif­fi­cile ; c’est un pro­blème cultu­rel. Voir mon article « L’implosion de l’industrie, un drame fran­çais sous-esti­mé » sur mon site : http://www.claude-rigault.com/ind7-autres-activites.htm

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