Témoignage
Il est un peu embarrassant pour moi de prendre la parole parce que je suis certain de méconnaître largement ce qu’est devenue l’École polytechnique. Au fond, depuis que je l’ai quittée, je ne me suis pas trop soucié de ce qu’elle devenait. De plus, depuis, j’ai fait l’école des Ponts (ce qui ne m’a pas beaucoup changé de l’X), puis les Beaux-Arts et comme vous le savez, c’est comme en peinture, ce sont surtout les » dernières couches » qui comptent, c’est pourquoi je me sens finalement autant architecte qu’ingénieur des Ponts.
À l’X, je me suis forgé de solides amitiés et j’ai développé un goût certain pour les sciences, mais je ne suis pas sûr de pouvoir en parler avec une quelconque autorité. Cela dit, je suis souvent à l’étranger pour mon travail. Pour être franc, il est compliqué d’expliquer à des étrangers ce qu’est l’École polytechnique. Quand on avait un président polytechnicien, c’était simple, on disait » c’est comme lui, comme Giscard » et cela se déroulait très bien. En Chine, les tentatives de présentation se terminent très souvent par Napoléon Bonaparte : il suffit d’expliquer qu’il est pour quelque chose dans cette École et tout le monde trouve cela formidable. Cela dit, on ne peut pas dire qu’un message fort soit passé sur ce qu’est vraiment l’École polytechnique.
Il est déjà un peu plus facile de présenter l’école des Ponts parce que les étrangers savent ou croient savoir ce qu’on y fait, bien qu’ils se trompent… En Syrie, j’ai eu les plus grandes difficultés à faire admettre une liste d’ingénieurs polytechniciens et centraliens : quand on cherchait un spécialiste du bâtiment, je répondais qu’un polytechnicien pouvait tout faire, or tout c’est rien… Tout ceci pour vous montrer quel est dans le monde le degré d’incompréhension sur l’École polytechnique.
Où ai-je rencontré des polytechniciens ? J’en ai rencontré bien sûr au Maroc, en Tunisie, en Iran. En Chine, j’ai rencontré de jeunes énarques mais pas de polytechniciens. Au Japon, j’ai plutôt rencontré des gens qui avaient été du côté de l’Ena, pour des stages ou des choses comme cela que des polytechniciens. Sans doute parce qu’au Japon ils pensent que pour les décideurs (moi je vois surtout des scientifiques et des industriels) c’est plutôt de ce côté-là qu’il faut se tourner. Vous me demandez si j’ai employé des étrangers qui avaient fait Polytechnique sur le motif que nous nous comprendrions mieux. Je n’ai pas d’exemple frappant.
Mais j’aimerais insister sur une chose : je pense qu’il est effectivement très important dans un certain nombre de secteurs d’avoir des gens qui soient biculturels, qui comprennent bien les choses. Mais en même temps, je voudrais aussi dire qu’il il y a un certain danger à ne posséder qu’un vernis des deux cultures : prenons l’exemple des Suisses dont tout le monde dit qu’ils parlent trois langues.
Musée maritime d’Osaka, Paul Andreu architecte. © MASATO IKUTA
Je pense qu’en général ils en parlent une correctement et qu’ils en estropient deux. Ce n’est pas vrai, c’est un mensonge de dire que les Suisses parlent trois langues, c’est culturellement faux, ils se débrouillent, ils ont raison de se débrouiller, mais c’est tout. Je trouve qu’il est grave de penser que l’on comprend la culture des autres.
Moi quand je suis au Japon, j’insiste toujours auprès des Japonais pour dire que je suis français, que je ne discute pas comme un Japonais, que je ne comprends pas la mentalité japonaise, que je la respecte mais que je serai toujours un très mauvais Japonais mais un excellent Français.
Dans un échange, il faut rester soi-même et ne pas essayer de singer les autres, donc j’ai une certaine méfiance à l’égard des personnes qui se disent biculturelles.
Bien sûr, il existe de brillantes exceptions, j’en connais. Souvent ce sont des gens ambigus qui croient savoir et qui ne savent pas forcément. Ils ne nous rendent pas toujours service lorsqu’il s’agit de faire passer un message. J’ai dans mon métier à faire passer des messages de pure gestion, et si je dois expliquer qu’un bâtiment va faire honneur à un pays, j’aime autant le dire avec la passion d’un Français qu’avec l’absence d’émotion de quelqu’un qui serait vaguement de deux cultures.
Voilà. Mon expérience et mon métier m’ont donné une vision plutôt mitigée de ce problème.