Témoignage
A mes yeux inexpérimentés, le schéma directeur que j’ai lu pour les dix prochaines années et qui, je pense, a été préparé par Roland Sénéor est un très beau travail. Il n’y a qu’un point que je trouve un peu moins clair pour ce qui concerne l’ouverture à l’international. J’ai trouvé très intéressant tout l’intérêt qu’on portait à l’entrée des étrangers. Je pense que c’est important mais bien des questions se posent comme on l’a vu au travers de tous les exposés.
Visiblement, la cible n’est pas assez précise et la manière de procéder pour avancer encore moins. Le succès modeste depuis tant d’années est un signe que nous ne sommes pas dans la seule voie à suivre. Personnellement, je préfère penser à une internationalisation de l’École, non pas seulement en l’importation d’élèves étrangers, mais aussi et surtout en formant des hommes et des femmes français ou étrangers pour qu’ils développent leur capacité à s’exporter dans le monde entier.
Or, il me semble qu’il y a un obstacle. En France, on observe un blocage mental sur certains points qui paraissent peu importants et qui sont très souvent des évidences dans les autres pays. Des choses qui sont tellement peu importantes, que l’on préfère » passer dessus » et adopter des demi-mesures, parce qu’on les considère comme déjà résolues ou secondaires.
Je vais vous dire par exemple quelles sont chez nous à LVMH les trois exigences premières. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres exigences par ailleurs, mais disons que c’est la première chose que nous regardons lorsqu’on embauche un cadre pour des postes ultérieurs de haut niveau, ce cadre n’étant pas forcément français.
La première exigence, c’est une expérience opérationnelle, dans plusieurs pays. Là, je vois que les stages pour jeunes, donc les stages humains avec 275 élèves cette année à l’étranger répondent un peu à cette exigence. C’est très bien, mais c’est une réaction qui a pris un temps fou à se mettre en place.
La deuxième exigence, c’est la connaissance de plusieurs langues étrangères. Alors, cela également nécessite une immersion totale. Quand nous parlons de connaissance de langues étrangères, nous demandons à la personne combien de temps elle est restée dans un pays où l’on parle cette langue. Si elle nous dit qu’elle parle couramment l’espagnol parce qu’elle l’a appris à l’école cela ne nous satisfait pas. Très souvent on se dit, bon, finalement je » baragouine « , donc c’est suffisant.
Les trois quarts du temps quand on n’est pas en immersion, on reste en surface. L’anglais quant à lui devrait devenir comme une deuxième langue maternelle. Il n’est pas question de considérer l’anglais comme une langue étrangère ; l’anglais, c’est la langue du travail, comme le latin au Moyen-âge. On discute travail en anglais. Donc, là je suis à nouveau étonné du peu d’importance que l’on accorde aux langues.
Je pense qu’il y a eu de gros progrès à l’entrée de l’École polytechnique, par rapport à la situation où était la langue anglaise à l’époque où j’y suis entré. Il faudrait que l’on sache quel est vraiment aujourd’hui le niveau exigé au concours d’entrée. Est-ce qu’il est vraiment très élevé ? Est-ce que c’est vraiment de la conversation courante que l’on exige ?
Donc, je ne pense pas que l’École polytechnique osera demander aux élèves d’être très forts en anglais, parce que là, on aurait vraiment l’impression de rabaisser le niveau intellectuel moyen. Et je crois que c’est une erreur. Parce que finalement, la manière de s’exprimer, c’est une manière d’exporter son » intellect « . À partir du moment où vous êtes bloqués à ce niveau-là, vous avez beau être très fort, très intelligent, votre capacité à communiquer a des conséquences désastreuses.
La troisième exigence, c’est à nouveau un problème de communication le » nec plus ultra « , c’est avoir fait une partie de ses études dans un autre pays que le sien. Quand nous pensons à des cursus intéressants, nous voyons par exemple un mélange comme l’École polytechnique + une business schoolau Japon + une école de créativité aux USA, ou un autre » mixte » qui nous paraîtrait passionnant. » Tiens, ce gars il a fait l’École polytechnique, puis ensuite il est allé faire une business school au Japon, il y est resté tant d’années » ; il parle le japonais, il revient, il est aux États-Unis, il parle couramment l’anglais, etc. »
Ma dernière remarque n’est pas une exigence inspirée de LVMH mais pourrait à nouveau répondre à ce besoin d’immersion de nos élèves dans un contexte international. C’est de susciter un large apport de professeurs et d’enseignants étrangers parlant le français ou enseignant en anglais. Je sais qu’il existe à Palaiseau, d’après ce que j’ai entendu, une vingtaine d’enseignants qui professent en anglais. Je crois que c’est une mesure qu’il serait important de développer.
Voilà les quelques commentaires que j’ajouterai aux exposés faits auparavant. C’est en quelque sorte un peu plus de rapidité dans notre remise en cause des défauts qui, souvent, apparaissent mineurs. Je crois qu’il ne faut pas considérer comme secondaire ces grains de sable qui bloquent nos systèmes. Il y a peut-être moins d’intérêt du Français de parler de langue ou de communication. Je pense que la communication à l’heure actuelle commande tout le reste de nos activités et qu’il faut absolument s’y attacher.