Témoignage : Langages et écritures
Témoignage
Langages et écritures
Depuis quelques décennies, on parle de langages informatiques. S’agit-il de langages nouveaux qui s’ajoutent aux quelques milliers que l’humanité a créés au cours du temps ? Ne seraient-ils pas plutôt des systèmes d’écriture, c’est-à-dire une façon d’exprimer une pensée de façon transmissible au plus grand nombre ? C’est peut-être une occasion de réfléchir à ces outils d’emploi quotidien que sont les langages et les écritures.
Des conventions arbitraires
L’écriture est un moyen de fixer un langage, comme peut aussi l’être l’enregistrement, sur disque ou un autre support. Un avantage de l’écriture est de pouvoir être lue à un autre rythme que le langage mais elle présente l’inconvénient d’être imparfaite. Elle repose sur des conventions, forcément arbitraires mais aussi multiples et jamais universelles. L’alphabet phonétique international, dont l’ambition est d’être universel, comporte un nombre de signes bien plus grand que ce dont une langue déterminée a besoin. La diversité et la multiplicité des langues entraînent-elles la fatalité d’un grand nombre d’écritures ?
Entrons dans plus de détails grâce à quelques exemples. Le chinois comporte essentiellement des mots monosyllabiques qui se différencient par un système de tons (quatre en chinois commun, celui de Pékin ; au moins sept dans celui de Canton). L’écriture devrait permettre la prononciation de ces tons. Le système des idéogrammes, aussi compliqué qu’il soit, évite les confusions puisqu’un caractère rend le son d’un mot aussi bien que son sens. En revanche, il n’y a que très peu de rapports entre l’écriture et la prononciation. Il y en a un peu plus avec la signification du mot.
Noter les tons
Les lettres d’un alphabet tel que le nôtre n’expriment pas les tons, notre langue n’en comporte d’ailleurs pas. Les Vietnamiens ont adopté un alphabet latin avec des voyelles supplémentaires mais il faut aussi noter les tons, au nombre de six, par divers accents supplémentaires. Ce système initié par le missionnaire Alexandre de Rhodes au milieu du XVIIe siècle est donc très complexe, pas forcément plus simple que celui des idéogrammes mais les difficultés ne sont pas les mêmes.
Chaque langue pose des problèmes d’écriture spécifiques. L’arabe qui ne distingue guère les voyelles brèves ne les écrit pas. Une langue comme le persan qui est riche en voyelles est donc fort mal adaptée à l’alphabet arabe. Atatürk a pris la sage décision d’abandonner l’écriture arabe de l’ancien osmanli mais les Iraniens n’ont pas pris le risque de froisser leurs religieux.
Soixante-quatre voyelles
Autre notion à garder présente à l’esprit : ce sont les langues les plus archaïques qui sont les plus compliquées. Plus la communication s’étend à des groupes variés, plus les complications s’érodent. Les déclinaisons de l’indo-européen ne subsistent guère que dans les langues slaves et en allemand (l’anglais en garde des traces dans who, whose, whom). Conserver la trace de langues menacées de disparition présente de l’intérêt surtout dans la mesure où cela montre la diversité extraordinaire des solutions inventées par l’esprit humain pour s’exprimer.
Dans le seul domaine de la phonétique, des langues du Caucase n’ont que deux voyelles pour plus de 50 consonnes alors que les langues polynésiennes n’ont qu’une dizaine de consonnes et bien plus de voyelles. Le birman compte 64 voyelles. On comprend que l’écriture soit bien imparfaite pour exprimer les langues. Un seul exemple : la lettre t ne se prononce pas de la même manière en français et en anglais (to take a un t initial plus explosif, il est dit rétroflexe). Dans les langues du nord de l’Inde, indo-européennes, il existe dans l’alphabet des lettres distinctes pour le t français et le t anglais et pour d’autres couples de lettres.
Retenons simplement l’utilité, pour comprendre notre cerveau, d’explorer toutes les solutions qu’il a inventées pour communiquer, ce qui ne veut pas dire que la communication soit facile, même si l’on parle la même langue.