Témoignages : des polytechniciens dans la biodiversité
Les polytechniciens sont de plus en plus nombreux à consacrer leur carrière à la biodiversité. Des politiques publiques à la recherche, en passant par le monde associatif ou le privé, les chemins sont nombreux et sources d’épanouissement. Diane Simiu (X00), Alain Brondeau (X94) et Margaux Durand (X16) en témoignent.
Raconte-nous brièvement ton parcours.
Diane Simiu. J’ai découvert ma vocation pour l’écologie quand j’étais à l’X, en cours de philo. Pour ma 4e année, je suis partie à Berkeley, pour y faire un master en Environmental Engineering. De retour en France, j’ai commencé ma carrière dans le département « développement durable » de PricewaterhouseCoopers, puis je suis partie pour Londres, qui était l’épicentre de la finance carbone à l’époque. J’ai eu envie de travailler à l’élaboration des politiques publiques et j’ai sauté sur l’occasion de rejoindre le tout nouveau bureau des marchés carbone de la direction générale de l’énergie et du climat. Puis j’ai rejoint le WWF comme directrice des programmes, qui m’a permis de travailler sur tous les sujets de biodiversité. En 2016, je me suis engagée dans la campagne du candidat Emmanuel Macron et c’est ainsi que je me suis retrouvée en mai 2017 conseillère écologique à l’Élysée et à Matignon. J’ai rejoint le Commissariat général au développement durable (CGDD) en 2019.
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Alain Brondeau. À la sortie de l’École polytechnique, je me suis orienté vers l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, où je me suis spécialisé dans les forêts tropicales. J’ai réalisé l’essentiel de mon parcours au sein d’établissements publics de l’État chargés de la gestion d’espaces naturels protégés : l’Office national des forêts, le Parc national de la Réunion, et le Conservatoire du littoral que j’ai rejoint en 2014. La majeure partie de ce parcours s’est déroulée en outre-mer, qui abrite la plus grande partie de la biodiversité française.
Margaux Durand. Je suis de la promotion X16. J’ai suivi le PA en biologie (programme d’approfondissement) et en 4A j’ai choisi le master en biotechnologies de l’université de Cambridge (UK), pour approfondir ma connaissance des biotechnologies environnementales. Souhaitant contribuer au développement de politiques publiques alignées avec la transition écologique, j’ai travaillé près d’un an à l’Ademe en tant qu’ingénieure biomasse énergie. J’ai intégré CDC Biodiversité en septembre 2021 au sein du département « mesure d’empreinte ». J’ai coréalisé des évaluations d’empreinte pour des entreprises, contribué au développement technique de l’outil GBS (Global Biodiversity Score) de mesure d’empreinte créé par CDC Biodiversité et construit mon projet de thèse Cifre, qui a démarré en juillet 2022.
En quoi consiste ton poste actuel lié à la biodiversité ?
Diane Simiu. Le CGDD est une direction transversale des ministères de la Transition écologique et de la Transition énergétique, également rattaché aux services de la Première ministre au titre de la planification écologique. Nous développons des méthodes pour que les questions de développement durable (dont celles liées à la biodiversité) soient bien prises en compte et intégrées dans toutes les politiques publiques : entreprises, finance, collectivités, agriculture, recherche, éducation, formation, commerce international… Notre objectif est que la protection de la biodiversité ne soit plus uniquement le sujet de nos ministères, mais bien celui de tous les autres aussi : la réorientation de l’économie, le changement des mentalités à opérer sont d’une telle ampleur qu’on n’y arrivera pas seul ! C’est bien l’objectif qui a conduit à confier la planification écologique à la Première ministre, qui doit veiller à la bonne mise en œuvre des stratégies environnementales (notamment la stratégie nationale pour la biodiversité) par l’ensemble des ministères et à la cohérence de l’ensemble des politiques publiques.
« Notre objectif est que la protection de la biodiversité ne soit plus uniquement le sujet de nos ministères, mais bien celui de tous les autres. »
Alain Brondeau. Le Conservatoire du littoral s’attache, au travers d’acquisitions foncières, à préserver le « tiers naturel » du littoral, en évitant l’urbanisation quasi continue à laquelle conduirait la seule application des « lois du marché ». Le littoral, comme toute zone de transition écologique, est un espace d’échanges qui revêt une importance majeure pour la conservation de la biodiversité. Il est essentiel de le protéger sur le très long terme et sur des unités de taille suffisante pour permettre aux écosystèmes de continuer à fonctionner et à s’adapter aux évolutions du milieu. Mon rôle consiste à élaborer une stratégie de conservation et de valorisation de ces espaces naturels littoraux, avec les collectivités locales, les services de l’État et les experts scientifiques. Je dois ensuite négocier les acquisitions foncières auprès des propriétaires privés ou publics, puis mettre en place un dispositif partenarial pour leur gestion pérenne.
Margaux Durand. Je suis doctorante chez CDC Biodiversité, coencadrée par Vincent Martinet (Inrae, France) et Aafke Schipper (Radboud University, Pays-Bas). Mon projet vise à mesurer et à comptabiliser plus précisément les pertes et les gains d’intégrité écologique provoqués par l’homme. En plus de contribuer à approfondir nos connaissances sur la mesure de nos impacts sur la biodiversité, ce projet est l’occasion de renforcer les liens entre le monde académique et les entreprises privées travaillant sur ce sujet, en France et à l’international.
Qu’est-ce qui t’a amené(e) à travailler dans la biodiversité ?
Diane Simiu. Quand j’étais à la direction générale de l’énergie et du climat au début des années 2010, j’ai pris conscience qu’on ne pourrait pas atteindre les objectifs de réduction d’émissions et d’adaptation au changement climatique sans prendre en compte les enjeux de biodiversité.
Alain Brondeau. Originaire de la Réunion, j’ai eu la chance de grandir entre la mer et des forêts tropicales primaires, de découvrir leur beauté, leur richesse, leur complexité, mais aussi leur vulnérabilité. J’ai rapidement souhaité contribuer à la préservation des forêts tropicales avant qu’il ne soit trop tard, à l’époque où le sommet de la Terre de Rio en 1992 émettait de très sérieux signaux d’alarme en la matière.
Margaux Durand. J’ai toujours trouvé le monde vivant fascinant. Mon intérêt pour les biotechnologies environnementales vient de là : comprendre comment le vivant fonctionne et s’adapte, et s’en inspirer pour innover, voire utiliser des processus naturels pour résoudre nos problèmes, comme la gestion de certains déchets ou la synthèse de certains composés d’intérêt nutritionnel. Soucieuse de contribuer à travers mes choix professionnels à relever l’un des défis de notre génération, j’ai fait un pas de côté pour me consacrer à la biodiversité, sans laquelle aucune biotechnologie environnementale ne serait vraiment possible. Surtout, enfin, je souhaite vivre dans un monde riche d’êtres vivants en tous genres ; la nature est belle et m’apaise, j’ai à cœur de contribuer à essayer de la préserver et de la restaurer.
En quoi la formation d’ingénieur pluridisciplinaire est pour toi un atout pour ton engagement en faveur de la biodiversité ?
Diane Simiu. On a beaucoup d’X et d’ingénieurs pour travailler sur les sujets énergie-climat, mais très peu sur les questions de biodiversité. Or on a besoin de convaincre et d’embarquer tous types de profil : des budgétaires, des économistes, des juristes… Il faut être capable d’envisager les sujets de leur point de vue, de parler avec leur langage et leurs métriques : une formation multidisciplinaire est un atout important.
Alain Brondeau. Durant ma dernière année à l’École polytechnique, j’ai eu le plaisir de suivre la majeure éco-sciences qui abordait les questions environnementales sous un angle pluridisciplinaire alliant génétique, modélisation des dynamiques de population, économie de l’environnement, chimie de l’environnement… Cette approche se révèle particulièrement utile pour aborder des systèmes aussi complexes que les systèmes vivants. La préservation de la biodiversité implique toutes les composantes de la société et du monde économique. Il est très important pour moi de dialoguer et négocier avec des acteurs dont le cœur de métier est parfois très éloigné du mien, d’avoir des références communes. De ce point de vue, ma formation initiale d’ingénieur pluridisciplinaire est incontestablement un atout.
« La préservation de la biodiversité implique toutes les composantes de la société et du monde économique. »
Margaux Durand. À l’X la nouveauté est omniprésente dans nos cursus : les cours sont variés ; les projets s’enchaînent, mobilisant des connaissances et des outils différents ; les expériences à l’international nous plongent dans des cadres eux aussi différents. Je dirais ainsi que la formation pluridisciplinaire me permet de m’atteler à des problèmes qui sont nouveaux ou qui paraissent difficiles, car ne pas savoir faire quelque chose ne veut pas dire que l’on ne peut pas apprendre à le faire, notamment en s’appuyant sur d’autres dont les compétences complètent les nôtres. C’est directement applicable dans la conduite de ma thèse, elle-même pluridisciplinaire. La mesure d’empreinte prend rapidement de l’ampleur, notamment à la suite de l’accord de Kunming-Montréal. Elle est à la frontière de plusieurs disciplines, mobilisant des concepts complexes, comme la valeur que l’on donne à la nature. C’est un sujet où la collaboration est indispensable, car tous ne sont pas affectés de la même manière par l’effondrement de la biodiversité.
Qu’est-ce qui te motive au quotidien ?
Diane Simiu. Quand j’ai cofondé en 2001 le premier « binet environnement et nature » de l’X avec des copains de promo, certains de nos camarades l’ont immédiatement rebaptisé « binet pâquerettes » : les promos actuelles ne le feraient plus ! Nous recevons un excellent accueil des directeurs d’administration centrale qui testent actuellement la formation des agents publics à la transition écologique, qui doit être déployée auprès de 25 000 cadres dirigeants, puis de l’ensemble des agents. Les mentalités changent vite, j’espère qu’elles changeront assez vite pour remporter notre course contre la montre.
“J’ai la chance de pouvoir expliquer à mes enfants ce pour quoi je travaille.”
Alain Brondeau. Je suis persuadé que le vivant peut apporter une partie des réponses aux défis majeurs des décennies à venir, que ce soit pour notre alimentation, pour la régulation du climat, notre santé, les matériaux du futur… La biodiversité est un formidable réservoir de solutions à notre disposition, à condition qu’on ne la dilapide pas avant même de l’avoir explorée. Aussi modeste que soit ma contribution, j’ai la chance d’aller travailler chaque jour en ayant en tête le sens de ce pour quoi je travaille et de pouvoir l’expliquer à mes enfants.
Margaux Durand. Avoir l’occasion d’échanger et de collaborer avec des personnes brillantes et passionnées est très motivant au quotidien. Savoir que mes travaux sont une contribution à nos efforts collectifs pour résoudre la crise actuelle de la biodiversité l’est également.