Témoignages et réflexions sur l’éducation par les instituteurs de l’école publique primaire
Quelques membres du groupe Polydées se sont réunis pour débattre sur l’école et ses progrès souhaitables. Nous étions accompagnés d’Isabelle, épouse de l’un d’entre nous, et surtout professeur des écoles (institutrice) dans une classe de CE1 dans le Val-d’Oise (95). Notre discussion s’est concentrée sur l’école primaire et plus particulièrement l’enseignement dans les zones difficiles.
Nous pensons que le problème n’est pas tant pour les enseignants de savoir ce qu’ils devraient faire (en créant des groupes de progrès, des cercles de qualité ou en étoffant leur hiérarchie), que de leur donner les moyens de le faire ; lorsqu’on parle aux professeurs de ces zones difficiles, on constate d’abord qu’une grande solidarité existe entre eux (c’est pour eux une question de survie), ensuite que des pédagogies modernes et novatrices y sont appliquées, et que les méthodes à employer pour améliorer les résultats dans les classes sont connues : faire certaines activités en petits groupes, suivre de plus près les élèves les plus récalcitrants, adapter les approches selon les individus, avoir recours au soutien de psychologues ou de spécialistes, etc., méthodes qui malheureusement ne sont pas compatibles avec le nombre et la nature des élèves dans chaque classe.
Car on a beau s’intéresser au sujet, on a beau être conscient du défi que représente l’enseignement dans un ghetto de banlieue, on n’imagine pas ce que peut y être le quotidien d’un instituteur d’aujourd’hui, ni à quel point les élèves peuvent y être difficiles et exiger une grande attention.
Les statistiques à ce sujet sont à la fois passionnantes et réductrices. Sur le site de l’Éducation nationale, (http://evace26.education.gouv.fr/) on trouvera les résultats des évaluations qui sont faites en début de CE2 et de sixième. Ces évaluations, qui sont nationales et communes à toutes les écoles, y compris dans leur déroulement (temps imparti, présentation des consignes, etc.), sont en place depuis 1989, et s’intéressent à l’acquisition des compétences en français et en mathématiques. Elles sont un outil très puissant de diagnostic et de progrès.
Pour l’apprentissage du français, les résultats des évaluations 2005 à l’entrée en sixième sont donnés dans le tableau 1.
Une étude a été faite pour tenter de comparer les résultats des évaluations de 1997 avec ceux du certificat d’études de 1920 (sachant qu’à l’époque seuls 50 % des élèves le passaient, les autres entrant directement dans la vie active), et on est loin de constater en moyenne la grande catastrophe annoncée.
Ces mêmes évaluations sont également analysées statistiquement selon divers critères, par exemple le type d’établissement fréquenté, ou l’origine sociale des élèves (tableau 2).
Les ZEP et les REP sont des Zones et Réseaux d’éducation prioritaires (par exemple Garges-lès-Gonesse, Les Mureaux…), créées au début des années quatre-vingt pour « donner plus à ceux qui ont moins ». Dans les faits, l’effort s’est limité à faire passer le nombre moyen d’élèves par classe de 28 à 24, à mettre un professeur de plus par école, et à octroyer généreusement 1 000 € de prime par an aux professeurs, ce qui semble bien mince.
Alors que l’écart par origine sociale est très important, l’écart moyen entre ZEP et non ZEP semble finalement moins élevé que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre, tout d’abord parce que le classement en ZEP ou non montre des lacunes, mais c’est surtout qu’il faut ne pas s’en tenir qu’aux moyennes, et s’intéresser aux cas particuliers.
Si l’on prend l’exemple de l’école où travaille notre invitée Isabelle, qui n’est pas en ZEP mais est située au cœur de zones d’habitation HLM, on constatera qu’au-delà des moyennes il y a de très fortes disparités (N. B. : il n’est pas permis de donner les résultats d’une école isolée, pour éviter des dérives évidentes), et de nombreux cas qui requièrent des traitements très personnalisés.
On trouve dans ces classes :
• des élèves qui refusent de travailler,
• des élèves pour qui le français est une langue étrangère,
• des élèves qui sans cesse remettent en cause les règles et l’adulte,
• des élèves qui se battent en classe et dans la cour,
• un élève qui frappe son professeur,
• des parents qui insultent et menacent les professeurs,
• des élèves qui font la loi chez eux.
Pour ces élèves, l’école n’est plus un gage de réussite : ils ont l’exemple de leurs parents chômeurs, de leurs frères « dealers », de la délinquance, de l’autorité déchue…
Mais pour autant l’école continue à avoir un rôle non seulement éducatif, mais aussi, et plus que jamais, social, car lorsque ni la famille ni l’environnement social ne concourent à l’intégration et à l’apprentissage des règles de vie en société, l’école devient l’ultime rempart avant la chute. L’école, alors, pour faire face à une mission accrue, dans un environnement plus difficile, est obligée de s’adapter sans cesse. Si, à l’origine, l’égalité des chances signifiait la même éducation pour tous, cette même égalité des chances implique aujourd’hui une éducation beaucoup plus soutenue et personnalisée dans les zones difficiles, et donc en premier lieu une forte augmentation du nombre d’enseignants, d’assistants, de psychologues, et d’intervenants divers.
Certes, les professeurs auront toujours à progresser, à améliorer leurs méthodes, à suivre des formations, et on peut à juste titre regretter que le système actuel de notation et de promotion des professeurs fasse que les moins expérimentés se retrouvent dans les classes les plus difficiles, les moins demandées. Mais ces améliorations seront toujours peu de choses en regard du travail à faire : lorsque l’on veut vraiment aller plus vite, il ne faut pas se contenter de marcher en allongeant le pas, à un moment donné, il faut se mettre à courir.
Jean Delacroix (45)
Alain Schlumberger (48)
Charles-Michel Marle (53)
Jean-Pierre Loisel (58)
Denis Oulés (64)
Olivier de Vriendt (83)
Marc Flender (92)
Polydées : http://www.polytechnique.net/Polydees/asso.php,