Témoignages et réflexions sur l’éducation par les instituteurs de l’école publique primaire

Dossier : De l'écoleMagazine N°613 Mars 2006Par : Collectif POLYDÉES

Quelques membres du groupe Poly­dées se sont réunis pour débattre sur l’é­cole et ses pro­grès sou­hai­tables. Nous étions accom­pa­gnés d’I­sa­belle, épouse de l’un d’entre nous, et sur­tout pro­fes­seur des écoles (ins­ti­tu­trice) dans une classe de CE1 dans le Val-d’Oise (95). Notre dis­cus­sion s’est concen­trée sur l’é­cole pri­maire et plus par­ti­cu­liè­re­ment l’en­sei­gne­ment dans les zones difficiles.

Nous pen­sons que le pro­blème n’est pas tant pour les ensei­gnants de savoir ce qu’ils devraient faire (en créant des groupes de pro­grès, des cercles de qua­li­té ou en étof­fant leur hié­rar­chie), que de leur don­ner les moyens de le faire ; lors­qu’on parle aux pro­fes­seurs de ces zones dif­fi­ciles, on constate d’a­bord qu’une grande soli­da­ri­té existe entre eux (c’est pour eux une ques­tion de sur­vie), ensuite que des péda­go­gies modernes et nova­trices y sont appli­quées, et que les méthodes à employer pour amé­lio­rer les résul­tats dans les classes sont connues : faire cer­taines acti­vi­tés en petits groupes, suivre de plus près les élèves les plus récal­ci­trants, adap­ter les approches selon les indi­vi­dus, avoir recours au sou­tien de psy­cho­logues ou de spé­cia­listes, etc., méthodes qui mal­heu­reu­se­ment ne sont pas com­pa­tibles avec le nombre et la nature des élèves dans chaque classe.

Car on a beau s’in­té­res­ser au sujet, on a beau être conscient du défi que repré­sente l’en­sei­gne­ment dans un ghet­to de ban­lieue, on n’i­ma­gine pas ce que peut y être le quo­ti­dien d’un ins­ti­tu­teur d’au­jourd’­hui, ni à quel point les élèves peuvent y être dif­fi­ciles et exi­ger une grande attention.

Les sta­tis­tiques à ce sujet sont à la fois pas­sion­nantes et réduc­trices. Sur le site de l’É­du­ca­tion natio­nale, (http://evace26.education.gouv.fr/) on trou­ve­ra les résul­tats des éva­lua­tions qui sont faites en début de CE2 et de sixième. Ces éva­lua­tions, qui sont natio­nales et com­munes à toutes les écoles, y com­pris dans leur dérou­le­ment (temps impar­ti, pré­sen­ta­tion des consignes, etc.), sont en place depuis 1989, et s’in­té­ressent à l’ac­qui­si­tion des com­pé­tences en fran­çais et en mathé­ma­tiques. Elles sont un outil très puis­sant de diag­nos­tic et de progrès.

Pour l’ap­pren­tis­sage du fran­çais, les résul­tats des éva­lua­tions 2005 à l’en­trée en sixième sont don­nés dans le tableau 1.

Tableau 1
Score moyen « Connais­sance, recon­nais­sance des mots »
(items 1 à 7, 14, 37 à 39)
6,84÷11 62,19%
Score moyen « Com­pré­hen­sion, réception »
(items 8 à 13, 15 à 19, 23 à 25, 28, 30, 35, 36, 40 à 48)
16,06 ; 59,49%
Score moyen « Pro­duc­tion de textes »
(items 20 à 22, 26, 27, 29, 31 à 34, 49 à 57)
10,42÷19 54,82%
Score moyen global
(items 1 à 57)
33,32÷57 58,45%

Une étude a été faite pour ten­ter de com­pa­rer les résul­tats des éva­lua­tions de 1997 avec ceux du cer­ti­fi­cat d’é­tudes de 1920 (sachant qu’à l’é­poque seuls 50 % des élèves le pas­saient, les autres entrant direc­te­ment dans la vie active), et on est loin de consta­ter en moyenne la grande catas­trophe annoncée.

Ces mêmes éva­lua­tions sont éga­le­ment ana­ly­sées sta­tis­ti­que­ment selon divers cri­tères, par exemple le type d’é­ta­blis­se­ment fré­quen­té, ou l’o­ri­gine sociale des élèves (tableau 2).

Tableau 2
Éta­blis­se­ment fréquenté Score moyen sur 100
Col­lèges publics de ZEP 52,82
Col­lèges publics de ZEP-REP 53,43
Col­lèges publics hors ZEP-REP 59,34
Col­lèges publics 58,20
Col­lèges pri­vés sous contrat avec l’État 59,34
Caté­go­ries socioprofessionnelles Score moyen sur 100
Cadres et pro­fes­sions libérales 68,13
Pro­fes­sions intermédiaires 62,66
Agri­cul­teurs exploitants 56,79
Employés 57,87
Arti­sans, commerçants 58,73
Ouvriers 53,58
Inac­tifs 51,21

Les ZEP et les REP sont des Zones et Réseaux d’é­du­ca­tion prio­ri­taires (par exemple Garges-lès-Gonesse, Les Mureaux…), créées au début des années quatre-vingt pour « don­ner plus à ceux qui ont moins ». Dans les faits, l’ef­fort s’est limi­té à faire pas­ser le nombre moyen d’é­lèves par classe de 28 à 24, à mettre un pro­fes­seur de plus par école, et à octroyer géné­reu­se­ment 1 000 € de prime par an aux pro­fes­seurs, ce qui semble bien mince.

Alors que l’é­cart par ori­gine sociale est très impor­tant, l’é­cart moyen entre ZEP et non ZEP semble fina­le­ment moins éle­vé que ce à quoi l’on aurait pu s’at­tendre, tout d’a­bord parce que le clas­se­ment en ZEP ou non montre des lacunes, mais c’est sur­tout qu’il faut ne pas s’en tenir qu’aux moyennes, et s’in­té­res­ser aux cas particuliers.

Si l’on prend l’exemple de l’é­cole où tra­vaille notre invi­tée Isa­belle, qui n’est pas en ZEP mais est située au cœur de zones d’ha­bi­ta­tion HLM, on consta­te­ra qu’au-delà des moyennes il y a de très fortes dis­pa­ri­tés (N. B. : il n’est pas per­mis de don­ner les résul­tats d’une école iso­lée, pour évi­ter des dérives évi­dentes), et de nom­breux cas qui requièrent des trai­te­ments très personnalisés.

On trouve dans ces classes :

• des élèves qui refusent de travailler,
• des élèves pour qui le fran­çais est une langue étrangère,
• des élèves qui sans cesse remettent en cause les règles et l’adulte,
• des élèves qui se battent en classe et dans la cour,
• un élève qui frappe son professeur,
• des parents qui insultent et menacent les professeurs,
• des élèves qui font la loi chez eux.

Pour ces élèves, l’é­cole n’est plus un gage de réus­site : ils ont l’exemple de leurs parents chô­meurs, de leurs frères « dea­lers », de la délin­quance, de l’au­to­ri­té déchue…

Mais pour autant l’é­cole conti­nue à avoir un rôle non seule­ment édu­ca­tif, mais aus­si, et plus que jamais, social, car lorsque ni la famille ni l’en­vi­ron­ne­ment social ne concourent à l’in­té­gra­tion et à l’ap­pren­tis­sage des règles de vie en socié­té, l’é­cole devient l’ul­time rem­part avant la chute. L’é­cole, alors, pour faire face à une mis­sion accrue, dans un envi­ron­ne­ment plus dif­fi­cile, est obli­gée de s’a­dap­ter sans cesse. Si, à l’o­ri­gine, l’é­ga­li­té des chances signi­fiait la même édu­ca­tion pour tous, cette même éga­li­té des chances implique aujourd’­hui une édu­ca­tion beau­coup plus sou­te­nue et per­son­na­li­sée dans les zones dif­fi­ciles, et donc en pre­mier lieu une forte aug­men­ta­tion du nombre d’en­sei­gnants, d’as­sis­tants, de psy­cho­logues, et d’in­ter­ve­nants divers.

Certes, les pro­fes­seurs auront tou­jours à pro­gres­ser, à amé­lio­rer leurs méthodes, à suivre des for­ma­tions, et on peut à juste titre regret­ter que le sys­tème actuel de nota­tion et de pro­mo­tion des pro­fes­seurs fasse que les moins expé­ri­men­tés se retrouvent dans les classes les plus dif­fi­ciles, les moins deman­dées. Mais ces amé­lio­ra­tions seront tou­jours peu de choses en regard du tra­vail à faire : lorsque l’on veut vrai­ment aller plus vite, il ne faut pas se conten­ter de mar­cher en allon­geant le pas, à un moment don­né, il faut se mettre à courir.

Jean Delacroix (45)
Alain Schlumberger (48)
Charles-Michel Marle (53)
Jean-Pierre Loisel (58)
Denis Oulés (64)
Olivier de Vriendt (83)
Marc Flender (92)

Poly­dées : http://www.polytechnique.net/Polydees/asso.php,

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