Tendances mondiales : de nouveaux défis pour la finance à l’âge de raison
La crise économique mondiale a dessiné de nouvelles normes pour la finance. On aurait toutefois tort de vouloir définir le nouvel espace mondial par rapport aux seules évolutions nées de la crise. En effet, une série de tendances de fond, tant économiques que démographiques, environnementales et sociales, réécrit les règles du jeu et la place des acteurs sur l’échiquier mondial. Ces tendances ont des implications directes sur les rapports de force entre les régions et les marchés financiers, créant de nouveaux défis et de nouvelles opportunités pour les acteurs.
REPÈRES
La crise actuelle amène de profondes évolutions des règles et comportements, dictées par une volonté de retrouver une vision saine des réalités. N’échappant pas à cette logique du « raisonnable », les acteurs de la finance voient se dessiner un nouvel espace financier mondial, avec ses nouvelles règles et de nouveaux impératifs. Ainsi, alors que les banques avaient pris l’habitude de gérer un bilan représentant jusqu’à 20–25 fois leurs capitaux propres, une nouvelle norme pourrait s’établir autour de 14–15. De même, si l’endettement total de pays développés tels que les États-Unis ou le Royaume-Uni a pu atteindre à certaines périodes jusqu’à 350 % du PNB, la nouvelle cible pourrait se situer plutôt autour de 200%.
Des nouvelles normes issues de la crise : l’âge de raison ?
L’économie et la finance mondiales ne ressortiront pas intactes de la crise de 2007–2009 et c’est sur de nouveaux paradigmes que les systèmes vont devoir se (re)construire.
Des besoins en investissements d’environ 10 000 milliards d’euros dont 40 % en Asie
Principal bouleversement, les différents acteurs s’accordent sur le besoin de refocaliser l’attention sur les fondamentaux de l’économie, à commencer par une vision à plus long terme et une réduction de l’endettement. Ainsi, dans le nouvel environnement d’après-crise, l’ère du court terme et des retours sur investissement de 20 % pourrait bien être révolue.
Beaucoup d’entreprises se contenteront probablement désormais de retours sur capitaux de 15 %, pourvu que ces derniers assurent une stabilité accrue sur le long terme et une résistance plus importante aux chocs conjoncturels. Les retours sur investissement des entreprises s’inscrivent par ailleurs à présent dans une perspective plus large, comprenant notamment des attributs non financiers tels que responsabilité sociale et environnementale.
Six tendances structurantes pour l’industrie financière
Pourtant, les changements générés par la crise financière de 2007–2009 ne remettent pas en cause les tendances profondes qui sont à l’oeuvre dans une économie de plus en plus mondialisée. Dans le nouvel environnement et la nouvelle norme d’après-crise, ces tendances de fond restent déterminantes pour le secteur financier sur le long terme. Six d’entre elles nous paraissent particulièrement structurantes pour l’industrie financière.
Consommateurs
Première tendance : les pays émergents apporteront un milliard de consommateurs supplémentaires. L’enrichissement de ces pays devrait amener une augmentation de 10 % par an du nombre de leurs consommateurs au cours des dix prochaines années. Pour les entreprises, cette évolution signifie un milliard de clients potentiels supplémentaires.
Nouveaux consommateurs
Sont considérés comme consommateurs les individus vivant dans un foyer disposant de plus de 5 000 US$ par an. Les nouveaux consommateurs viendront principalement de l’Inde (550 millions), de la Chine (250 millions), du Brésil (50 millions) et de la Russie (50 millions).
Une urbanisation gigantesque accompagne cette évolution, qui devrait faire apparaître vingt-cinq nouvelles mégalopoles de plus de dix millions d’habitants dans la prochaine décennie, pour la moitié d’entre elles situées en Chine et en Inde. En Chine, ce mouvement se répartit dans un assez grand nombre de villes de taille moyenne et se traduit par l’explosion de cent soixante-seize zones urbaines de plus d’un million d’habitants qui offrent déjà les opportunités d’un vaste marché plus facile d’accès.
Infrastructures
Deuxième tendance : la naissance de besoins massifs de dépenses en infrastructure. Dans les cinq prochaines années, la croissance économique mondiale devrait créer des besoins en investissements d’environ 10 000 milliards d’euros dont 40 % en Asie. Ces investissements généreront certainement des besoins pour de nouveaux modes de financement, dont les partenariats public-privé qui ont un fort potentiel de développement, y compris en Chine.
Vieillissement
Troisième tendance : les défis et opportunités créés par le vieillissement de la population. Les trente prochaines années devraient voir exploser la proportion de retraités dans le monde, avec un ratio qui devrait passer de 2 ou 3 retraités pour 10 actifs aujourd’hui à un ratio de plus de 4 retraités pour 10 actifs.
Un vieillissement général
Le phénomène de vieillissement est d’autant plus marqué dans les pays au faible renouvellement démographique comme le Japon ou l’Italie. Mais les pays émergents ne seront pas épargnés. Ainsi, en Asie, on s’attend à passer d’un retraité pour 10 actifs en 2001 à 2 pour 10 en 2020, et à dépasser le nombre de 3 retraités pour 10 actifs avant 2050.
Dans les pays développés, le vieillissement de la population aura un impact majeur sur la productivité des pays et les dépenses de service public ; mais au-delà, cette tendance implique aussi de nouveaux besoins de services : par exemple, à l’horizon 2025, la France verra augmenter de 3,1 points la part, dans son PIB, des dépenses sociales (soins de santé, soins de longue durée et retraites) et la zone euro de 3,5 points (sources OCDE, BIPE).
Ressources
Quatrième tendance : la limitation des ressources face à une demande illimitée. Alors que les besoins ne cessent de croître, l’augmentation de la population mondiale et l’accélération de la croissance des pays en développement génèrent une augmentation de la demande de ressources naturelles, l’amenant à dépasser structurellement l’offre.
Une demande en ressources naturelles qui dépasse l’offre
Ainsi, en Chine, la demande en ressources naturelles a plus que doublé en dix ans pour la plupart des matières premières.
Nouveaux flux
Cinquième tendance : le développement de nouveaux flux commerciaux et financiers en dehors de l’Europe et des États-Unis. Les prochaines années devraient également voir se nouer de nouvelles ententes commerciales, avec le développement des échanges commerciaux entre les pays émergents, par exemple entre l’Amérique latine et l’Asie, entre la Chine et l’Inde, ou encore entre l’Asie du Nord et l’Afrique.
Menaces sur l’eau
En 2030, 40 % de la demande d’eau mondiale pourrait ne pas être satisfaite : en effet, en 2005, la demande mondiale en eau s’élevait à 4 200 milliards de m3. On prévoit qu’elle pourrait atteindre 6 900 milliards de m3 en 2030, ce qui correspond à un taux de croissance annuel moyen de 2 %, fondamentalement lié à la croissance démographique, à l’industrialisation et à l’augmentation du niveau de vie des populations des pays émergents.
Les flux sur ces » nouvelles routes de la soie » qui relient le Moyen-Orient, la Chine et l’Asie du Sud pourraient passer d’environ 60 milliards de dollars en 2005 à 350–500 en 2020. Déjà, les flux à l’intérieur de l’Asie sont aujourd’hui deux fois plus importants que les flux entre l’Asie et le reste du monde et augmentent deux fois plus vite.
Par ailleurs, l’Asie continuera d’attirer une part croissante des investissements mondiaux, principalement parce que la croissance et les opportunités s’y trouvent. Jusqu’à maintenant, les capitaux excédentaires de l’Asie et du Moyen-Orient étaient investis en Europe et en Amérique du Nord à plus de 80 %, pour une grande part sous forme de bons du Trésor américain. Ces flux devraient être redirigés pour financer les besoins de développement locaux.
Vers l’Asie
Sixième tendance : le déplacement des centres économiques et financiers vers l’Asie. Les centres de revenus financiers vont se concentrer sur l’Asie, du fait du développement accéléré des pays émergents. Selon les modèles du McKinsey Global Institute, l’économie de l’Asie hors Japon croîtrait plus rapidement que le reste du monde et égalerait le poids économique de l’Europe de l’Ouest autour de 2025. Dans les services financiers, l’Asie devrait passer devant l’Europe dès les prochaines années et atteindre le niveau de l’Amérique du Nord vers 2012.
Anticiper les enjeux et opportunités pour le marché de la finance
Ces tendances de fond ont un impact inévitable sur l’économie mondiale. Pour les acteurs de la finance, elles représentent autant d’enjeux que d’opportunités à saisir.
Nouveaux flux d’investissement
Entre 2002 et 2006, 73 % des flux de capitaux sortant de pays du Golfe étaient à destination des États-Unis et de l’Europe contre 11 % à destination de l’Asie. La proportion s’inverse progressivement et la part de l’Asie dans ces investissements devrait doubler dans les trois à cinq prochaines années.
Par exemple, comment répondre aux besoins – par exemple dans les offres de crédit – liés aux nouveaux besoins de consommation dans les pays émergents et s’organiser pour toucher les millions de nouveaux consommateurs urbains ?
Comment saisir les opportunités de nouveaux produits et services dans les pays occidentaux générés par le vieillissement de la population ? Peut-on repenser la protection financière des personnes âgées pour proposer de nouvelles offres avec de nouvelles approches de commercialisation ?
Pour répondre aux besoins massifs de financement d’infrastructures ou de développement d’énergie propre à travers le monde – investissements qui se chiffrent en milliers de milliards d’euros – peut-on imaginer de nouveaux instruments, comme des » obligations d’infrastructure « , qui se substitueraient au financement bancaire des projets, à l’instar des obligations foncières ?
Enfin, naturellement, comment se positionner dans la course mondiale vers l’Asie, qui continuera d’attirer une part croissante des investissements mondiaux, principalement parce que la croissance et les opportunités s’y trouvent ? Comment repenser les réseaux commerciaux et l’organisation des activités pour s’inscrire dans les flux commerciaux et prendre part aux échanges entre pays émergents ?
Des stratégies adaptées à la nouvelle donne
Comment se positionner dans la course mondiale vers l’Asie
Ainsi, alors que la crise économique a redéfini tout à la fois les niveaux d’attente et de » normalité » dans le nouvel espace financier mondial, les grandes tendances de fond qui façonnent l’économie mondiale restent les facteurs les plus déterminants des défis qui se profilent.
Si la crise a incité les entreprises à renforcer leur efficacité opérationnelle, les enjeux de l’après-crise remettent la réflexion stratégique au cœur des priorités : où se positionner ? Avec quelles innovations dans les produits et modèles de services ? Comment redéployer ses ressources pour s’intégrer dans les nouveaux équilibres ? Face à ces nombreux bouleversements, en cours et à venir, la compréhension des enjeux et des opportunités générés par les tendances de fond doit permettre aux acteurs de la finance d’identifier les mouvements stratégiques à opérer, dès à présent, pour capturer une part de la croissance mondiale des prochaines années.