Louis Le Pivain (72), tenir le cap
La mer fut sa vocation, prédestinée : « Mes deux grands-pères étaient officiers de marine, dont mon grand-père paternel, l’amiral Louis Le Pivain, qui commandait le cuirassé Bretagne à Mers el-Kébir lors de l’attaque de la flotte française par les Anglais le 3 juillet 1940.
Je suis fils d’officier de marine. J’avais deux oncles officiers de marine, un frère officier de marine, deux cousins et un neveu officier de marine. »
« Saisir un petit nombre d’orientations, mais à fond…»
Il en hérita aussi le sens aigu de l’honneur, dans le devoir. L’avion de sa mère fut mitraillé au décollage à Tunis en mai 1943.
Elle-même blessée, elle perdit dans cette attaque sa mère, son père, une sœur et un frère. En dépit de ces pertes cruelles, elle ne s’est jamais plainte.
DE BREST À L’X PAR LA FLÈCHE
L’enfance de LLP se déroula en partie au Maghreb, au Maroc, puis en Tunisie. Sa scolarité, après leur retour à Brest après le décès de son père, se fit au Collège naval dans cette ville où il avait vu le jour, puis au Prytanée militaire de La Flèche, où il eut un prof de maths exceptionnel, M. Aubert.
DESSIN : LAURENT SIMON
À l’époque, 50 % des candidats du Prytanée intégraient l’X. Major en même temps à l’École navale, il entra 71e à l’X, dans la promotion majorée par Anne Chopinet.
À l’École, il adopta le conseil lui venant d’un commandant de compagnie (lt-col. Calvez) : saisir un petit nombre d’orientations, mais à fond. LLP choisit le sport (cross et alpinisme) et les voyages, à commencer par le Cameroun – dans le cadre de son travail de fin d’études à l’X – et la Chine, vingt X 72 en étaient – celle encore de Mao.
Jules Verne, avec ses Voyages extraordinaires (La Jangada), en était l’inspirateur.
PREMIÈRES ARMES AUX SOUS-MARINS CLASSIQUES À LORIENT
« J’ai choisi le corps de l’armement à la sortie de l’X pour devenir architecte naval et construire des bateaux, ce que j’ai fait avec beaucoup de plaisir dans mes huit premières années de carrière, en poste à DCN Lorient.
J’ai d’abord été chargé de l’entretien des systèmes d’armes des sous-marins diesels électriques de la flottille des sous-marins de l’Atlantique basés à Lorient. Il est très formateur pour un jeune ingénieur de commencer par de la réparation navale : on voit les erreurs de conception de nos prédécesseurs.
De plus, cela permet des liens étroits avec les utilisateurs et donne de nombreuses occasions de naviguer : j’ai près d’un millier d’heures de plongée à bord de sous-marins, de toutes les classes depuis ceux de 400 t jusqu’aux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.
Un de mes meilleurs souvenirs d’ingénieur est d’avoir rampé au fond d’un ballast de sous-marin pour que l’officier ASM du bord me montre un transducteur qui avait pris l’eau et qu’il voulait absolument que je remplace : ça crée des liens indéfectibles entre les opérationnels et les ingénieurs ! »
VERS LES HORIZONS LOINTAINS
Impressionne son aptitude à se concentrer, à compartimenter aussi ses activités, à ne pas laisser sa passion des grands voyages empiéter sur ses activités professionnelles. Domine dans son visage son regard clair : il eut très tôt la passion de la photographie, documentant les expéditions lointaines qu’il organise ; dont la conquête de hauts sommets.
« Se focaliser sur le seul objectif à vaincre »
LLP est du nombre des 65 premiers Français à avoir grimpé un plus de 8 000. Il en rapporta cinq magnifiques albums, publiés à compte d’auteur. Lors d’une expédition, il coupe tout contact familial, pour se focaliser sur le seul objectif à vaincre.
Ou encore, lors d’un travail, comme lorsqu’il eut la responsabilité de construire quatre frégates pour l’Arabie saoudite, avec un échéancier serré. Il affectionne les vues plongeantes : depuis un sommet auquel il vient enfin d’accéder. Ou encore, lorsqu’il était à Brest, au Collège naval, assis sur le rebord de fenêtre dominant la rade.
Vue plongeante, encore, du haut du mât d’une frégate en construction, sur lequel il grimpait, les ouvriers de différents corps de métiers s’affairant à leurs tâches – une infusion de fraternité évoquant Saint-Exupéry de Terre des hommes.
Ou, métaphoriquement, son regard sur la carte du port de Lorient, lorsqu’une frégate – à l’instar de l’accouchement d’un nouveau-né – franchit pour la première fois les passes au pied de la citadelle de Port-Louis.
HONNEUR ET DEVOIR
En 1976, premier de cordée dans l’aiguille de Bionnassay, son compagnon et lui prirent en charge deux hommes, qui pourtant parasitaient leur trace, et qui avaient chuté en un point inaccessible, sauf par hélicoptère.
Pour alerter le Secours en montagne, ils firent tout un détour, contraints de marcher 40 heures dans la neige. L’un et l’autre eurent les pieds gelés. D’où, pour LLP, l’amputation des orteils d’un pied : cela lui compliqua, un peu, la négociation des échelles verticales adossées à une paroi dans les sous-marins – l’obligeant à mettre ce pied-là de côté.
En 2007, retraité de l’Administration, il rachète la PME Raidco Marine, qui produit et vend des vedettes et des patrouilleurs de 9 à 70 m. Il est aussi adjoint au maire de Viroflay.
Il s’est conquis une vie de plénitude. Cet homme attachant, droit, s’exprime avec fluidité et précision, vous gratifie tacitement de son entière confiance.
POUR EN SAVOIR PLUS
- De l’alpinisme à Raidco Marine, CAIA, no 101, p. 12–13, octobre 2013.
- Expéditions, résumé photographique de neuf expéditions d’alpinisme (3 en Afrique, 3 en Amérique du Sud, 3 en Himalaya).
- Nomades et Pasteurs sur les déserts d’Arabie et d’Afrique.
- Pakistan, Ombres et Lumières (ascension du Gasherbrum II, un souvenir d’équipe très fort).
- Aux Portes de l’Everest (ascension à la face nord de l’Everest, le charme envoûtant des hauts plateaux du Tibet).
- Canada, Mer et Glace (photos depuis un brise-glace, jusqu’à 1 000 kilomètres du pôle Nord).
RETOUCHE
article mis à jour le 3 février 2020
Le 25 décembre 2018, accompagné de l’un de ses fils, Louis Le Pivain réussit à atteindre le sommet de l’Aconcagua (6960 m), en Argentine : « Une aventure superbe et… rude ! vents violents, températures polaires… Le risque était les gelures suivies d’amputations (j’ai déjà donné !). Mon équipement de lutte contre le froid de mon expédition d’il y a 25 ans à la face nord de l’Everest n’était pas de trop ! ».