Hébergé au TGCC du CEA sur la Technopole Teratec, le supercalculateur Joliot Curie répond aux besoins des communautés de recherche nationales et internationales (Copyright_CEA_P_Stroppa).

Teratec : Accélérer la maîtrise et la diffusion du numérique de grande puissance

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°779 Novembre 2022
Par Hervé MOUREN (X67)

Le numé­rique de grande puis­sance regroupe les super­cal­cu­la­teurs, la simu­la­tion et l’analyse de don­nées, l’intelligence arti­fi­cielle et demain le cal­cul quan­tique. Ce sont les élé­ments fon­da­men­taux et struc­tu­rants de la trans­for­ma­tion du monde indus­triel à laquelle nous assis­tons depuis déjà plu­sieurs années. Dans ce cadre, la France et l’Europe doivent se mobi­li­ser pour déve­lop­per leur maî­trise de ces tech­no­lo­gies et s’imposer comme des lea­ders dans ces domaines afin de pré­ser­ver la com­pé­ti­ti­vi­té de leurs indus­tries. Her­vé Mou­ren (X67), le direc­teur de TERATEC, dresse pour nous un état des lieux et revient sur les enjeux et les sujets qui néces­sitent une atten­tion particulière. 

Pouvez-vous nous présenter Teratec et son périmètre d’action ?

Tera­tec est une ini­tia­tive menée par de grands indus­triels qui a vu le jour en 2005 et qui regroupe aujourd’hui une cen­taine de membres, prin­ci­pa­le­ment des entre­prises indus­trielles et tech­no­lo­giques, ain­si que des centres de recherche et des éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur. Son objec­tif et sa mis­sion sont de faci­li­ter la maî­trise des tech­no­lo­gies numé­riques et d’accélérer leur dif­fu­sion et leur déploie­ment dans l’industrie.

À ce titre Tera­tec a accom­pa­gné au cours des quinze der­nières années la géné­ra­li­sa­tion du recours aux super­cal­cu­la­teurs et à la simu­la­tion, et plus récem­ment le déve­lop­pe­ment rapide de l’intelligence arti­fi­cielle. Et main­te­nant, nous pré­pa­rons l’arrivée du cal­cul quantique. 

Tera­tec orga­nise tous les ans le Forum Tera­tec, qui est le grand moment d’échange en France entre cher­cheurs et indus­triels, four­nis­seurs et uti­li­sa­teurs, et qui a lieu en juin en région parisienne.

Enfin, Tera­tec par­ti­cipe de façon très active à la nou­velle dyna­mique euro­péenne sur ces sujets.


Lire aus­si : Le numé­rique de grande puis­sance : un enjeu stra­té­gique pour l’Europe


Au cours des dernières années, nous avons beaucoup entendu parler du HPC et des supercalcuteurs qui ont vocation à transformer le numérique et l’industrie. Concrètement, qu’en est-il ? 

Le point de départ de cette révo­lu­tion est la conjonc­tion de l’explosion de la puis­sance de cal­cul et des pro­grès réa­li­sés en matière de simu­la­tion et de modé­li­sa­tion. Si nous nous inté­res­sons plus par­ti­cu­liè­re­ment à l’évolution de la puis­sance de cal­cul, on remarque que nous sommes pas­sés d’un mil­lion d’opérations par seconde en 1964 à un mil­liard d’opérations par seconde en vingt ans. Et depuis la pro­gres­sion s’accélère, en 2022 nous en sommes au mil­liard de mil­liards d’opérations à la seconde. Cette accé­lé­ra­tion de la puis­sance de cal­cul nous per­met de conce­voir et de réa­li­ser des ana­lyses qu’on ne pou­vait pas ima­gi­ner il y a dix ans.

À cela s’ajoutent les très grands pro­grès réa­li­sés dans les outils de simu­la­tion et de modé­li­sa­tion. La trans­for­ma­tion qui s’est opé­rée dans le numé­rique et main­te­nant dans toute l’industrie découle de cette conjonc­tion de l’accélération de la puis­sance de cal­cul et de la puis­sance des outils de simu­la­tion et de modé­li­sa­tion. À par­tir de là, s’est aus­si déve­lop­pé l’apprentissage machine qui per­met de mettre en place des méca­nismes nou­veaux et de rup­ture. Et nous pré­pa­rons l’arrivée de l’informatique quan­tique qui va appor­ter un nou­veau dyna­misme à l’industrie.

Forum Teratec - Jumeau numérique en médecine – Intervention de Dassault Systèmes sur le jumeau virtuel du cerveau épileptique pour l’aide à la décision chirurgicale (Copyright Dassault Systèmes).
Forum Tera­tec – Jumeau numé­rique en méde­cine – Inter­ven­tion de Das­sault Sys­tèmes sur le jumeau vir­tuel du cer­veau épi­lep­tique pour l’aide à la déci­sion chi­rur­gi­cale (Copy­right Das­sault Systèmes).

À l’échelle européenne et française, comment ce sujet stratégique est-il appréhendé ? 

Il y a en Europe un consen­sus sur la néces­si­té d’investir mas­si­ve­ment dans ces tech­no­lo­giques afin de rat­tra­per les États-Unis qui ont une impor­tante lon­gueur d’avance aus­si bien sur l’Europe que sur la France. C’est une néces­si­té abso­lue si l’on veut que l’Europe reste com­pé­ti­tive dans l’industrie et la recherche face aux États-Unis et à la Chine. 

Aujourd’hui, la France et les pays euro­péens se mobi­lisent pour accé­lé­rer leur maî­trise de ces tech­no­lo­gies et leur dif­fu­sion. Des pro­grammes de recherche avec une forte com­po­sante indus­trielle ont été lan­cés. C’est notam­ment le cas du pro­gramme EUROHPC. Lan­cé par la Com­mis­sion euro­péenne, ce pro­gramme de grande enver­gure doté d’un bud­get de 7 mil­liards d’euros pour la période 2021 à 2027 se concentre sur le déve­lop­pe­ment des tech­no­lo­gies, avec la construc­tion de super­cal­cu­la­teurs par­mi les plus puis­sants au monde, ain­si que sur le déve­lop­pe­ment des usages dans de très nom­breux domaines.

Pour sa mise en œuvre, la Com­mis­sion a iden­ti­fié, dans chaque pays, un acteur réfé­rent pour orga­ni­ser et prendre en charge l’animation locale, la dif­fu­sion des infor­ma­tions et des bonnes pra­tiques dans le cadre de ce pro­gramme. En France, TERATEC est l’acteur qui a été dési­gné. Nous avons ain­si la res­pon­sa­bi­li­té de ce centre de com­pé­tence, cofi­nan­cé par l’Europe et la France et réa­li­sé en par­te­na­riat avec GENCI et le CERFACS. Nous tra­vaillons notam­ment sur l’animation d’une place de mar­ché autour de ces tech­no­lo­gies qui recense les acteurs qui inter­viennent dans ces domaines, les exper­tises et les com­pé­tences acces­sibles, les offres de pro­duits et de ser­vices ain­si que les for­ma­tions exis­tantes. En effet, l’une de nos fonc­tions prin­ci­pales est de mettre en place des pas­se­relles entre ces tech­no­lo­gies numé­riques et l’ensemble du monde industriel.

Quels efforts doivent encore être fournis pour garantir une certaine souveraineté sur ces questions ? 

La France et l’Europe doivent four­nir de nom­breux efforts et être prêtes à inves­tir mas­si­ve­ment. Les Amé­ri­cains tra­vaillent sur ce sujet depuis plus de 30 ans et allouent des bud­gets colos­saux au déve­lop­pe­ment de ces technologies. 

La Chine s’est empa­rée du sujet plus récem­ment et inves­tit mas­si­ve­ment pour déve­lop­per sa capa­ci­té tech­no­lo­gique aus­si bien sur le plan indus­triel qu’en termes de recherche. 

Pour rele­ver ce défi, nous avons de nom­breux atouts, l’école fran­çaise de mathé­ma­tiques, le haut niveau de la recherche infor­ma­tique, et la bonne arti­cu­la­tion en Europe entre le monde indus­triel et le monde de la recherche. Le grand chal­lenge devant nous est de conti­nuer à for­mer les géné­ra­tions d’ingénieurs de haut niveau dont nous avons besoin. C’est là que se fera la différence.

Quels sont les usages qui sont déjà déployés à l’heure actuelle et quels sont les secteurs et domaines qui en profitent déjà ? 

Ces tech­no­lo­gies numé­riques de grande puis­sance modi­fient nos acti­vi­tés dans de très nom­breux domaines. Dans le monde indus­triel, il y a une néces­si­té de se recons­truire en inté­grant ces tech­no­lo­gies et en les com­bi­nant aux savoir-faire propres à chaque métier. Au-delà de la dimen­sion tech­no­lo­gique, cela ouvre aus­si des pers­pec­tives en termes de repo­si­tion­ne­ment sur des pans entiers de l’activité indus­trielle. His­to­ri­que­ment, ce sont les grands sec­teurs indus­triels clas­siques comme l’aéronautique, l’automobile, l’énergie qui se sont d’abord empa­rés de ces tech­no­lo­gies notam­ment dans le cadre de leur acti­vi­té d’ingénierie. Nous conce­vons ain­si des voi­tures, des avions et des bâti­ments de manière numé­rique depuis déjà de nom­breuses années.

Quels sont ceux qui restent à développer ou qui nécessitent une réflexion ? 

Le pre­mier domaine qui nous vient à l’esprit est bien évi­dem­ment celui de la san­té, car cela nous touche tous. Les avan­cées poten­tielles en termes de méde­cine et de san­té sont illi­mi­tées et dans tous les domaines : la détec­tion, la recherche de nou­veaux médi­ca­ments, la mise au point de nou­veaux trai­te­ments, l’usage du jumeau numé­rique pour modé­li­ser les organes… On peut, par exemple, ima­gi­ner que demain un opti­cien ou un oph­tal­mo­logue pour­ra géné­rer le jumeau numé­rique de l’œil d’un patient afin de déter­mi­ner les cor­rec­tifs avant de les appli­quer à ce der­nier. Et c’est une métho­do­lo­gie qui pour­ra être appli­quée à tous les organes : cœur, pou­mon, reins… 

Ces évo­lu­tions ont voca­tion à tou­cher la recherche fon­da­men­tale dans sa glo­ba­li­té, mais éga­le­ment la plu­part des sec­teurs éco­no­miques et indus­triels : depuis l’agriculture et l’agroalimentaire, jusqu’aux loi­sirs et même la culture ! 

Tou­te­fois, la puis­sance de ces tech­no­lo­gies génère aus­si des risques aux­quels il faut être atten­tifs. J’en vois prin­ci­pa­le­ment deux. Le pre­mier concerne les don­nées per­son­nelles, col­lec­tives, tech­niques, finan­cières et poli­tiques. Au vu du déve­lop­pe­ment de l’analyse des don­nées et de leur uti­li­sa­tion en termes d’apprentissage, il est essen­tiel de ren­for­cer leur pro­tec­tion et sécu­ri­sa­tion. Le second risque est lié à la cyber­sé­cu­ri­té qui va deve­nir un sujet majeur dans les pro­chaines années. Il est impé­ra­tif d’apprendre à s’en pré­mu­nir dès aujourd’hui.

Quel message souhaiteriez-vous adresser à nos lecteurs sur ces thématiques ?

Pour accom­pa­gner ces évo­lu­tions, il y a un enjeu rela­tif au déve­lop­pe­ment des com­pé­tences et à la for­ma­tion. Au-delà, la clé du suc­cès de cette trans­for­ma­tion et révo­lu­tion est la capa­ci­té à s’inscrire dans une démarche de co-construc­tion (co-desi­gn) entre les four­nis­seurs de tech­no­lo­gies et les indus­triels, qui sont les uti­li­sa­teurs finaux de ces tech­no­lo­gies. Il est essen­tiel de déve­lop­per cette capa­ci­té à asso­cier le savoir-faire propre d’un domaine avec ce que ces tech­no­lo­gies peuvent per­mettre. Les lea­ders de demain seront les pays, les indus­tries et les entre­prises qui vont accé­lé­rer et déve­lop­per leur maî­trise de ces technologies.


Pour en savoir plus

http://www.teratec.eu/

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