Teréga : Penser et construire aujourd’hui les infrastructures énergétiques de demain

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°797 Septembre 2024
Par Dominique MOCKLY (X80)

En pleine effer­ves­cence, le monde de l’énergie se trans­forme et se réin­vente pour accom­pa­gner et réus­sir la tran­si­tion éner­gé­tique et envi­ron­ne­men­tale. Second opé­ra­teur d’infrastructures gazières en France, l’ETI indé­pen­dante Teré­ga se mobi­lise à tous les niveaux pour sécu­ri­ser dès aujourd’hui les usages éner­gé­tiques de demain. Domi­nique Mock­ly (X80), pré­sident et direc­teur géné­ral de Teré­ga, nous en dit plus sur les pistes explo­rées par son entre­prise, notam­ment en matière de bio­gaz, d’hydrogène et de CO2, et revient éga­le­ment sur les car­rières que son sec­teur offre aux ingénieurs.

Quel a été votre parcours à la sortie de l’école ?

Diplô­mé de l’X, je suis aus­si ingé­nieur de l’armement. Dans le corps de l’armement, j’avais alors fait le choix de me spé­cia­li­ser dans l’électronique navale à une époque pas­sion­nante mar­quée par une révo­lu­tion tech­no­lo­gique majeure en matière de télé­com­mu­ni­ca­tions, de moder­ni­sa­tion des infra­struc­tures et de déve­lop­pe­ment de sys­tèmes d’armes plus petits et plus sophistiqués…

J’ai ain­si com­men­cé ma car­rière chez Naval Group, qui s’appelait alors la Direc­tion des construc­tions navales (DCN), où j’ai pu mettre à pro­fit ma for­ma­tion sur des fonc­tions indus­trielles. Jusqu’en 1995, j’ai notam­ment tra­vaillé sur la concep­tion, la fabri­ca­tion et l’intégration de sys­tèmes de défense sur des bâti­ments de la Marine Natio­nale. Je me suis ensuite diri­gé vers des fonc­tions plus admi­nis­tra­tives en rejoi­gnant le Secré­ta­riat géné­ral de la Défense natio­nale, puis le cabi­net du délé­gué géné­ral pour l’armement où j’étais en charge de la trans­for­ma­tion de la délé­ga­tion géné­rale de l’armement. Durant ces années, j’ai notam­ment tra­vaillé sur la trans­for­ma­tion du modèle fran­çais de la défense alors que la France pas­sait d’un modèle de conscrip­tion, avec le ser­vice natio­nal, à une armée de métier. Cette période a aus­si été mar­quée par la for­ma­tion de grands groupes natio­naux tels que nous les connais­sons aujourd’hui : Thales, Air­bus puis Naval Group.

« Teréga est aujourd’hui le second opérateur d’infrastructures de gaz en France avec 25 % des capacités de stockage et plus de 5 000 kilomètres de canalisations. »

Après cette expé­rience, je suis retour­né dans l’industrie pri­vée, d’abord, chez Sagem, aujourd’hui deve­nue Safran, où j’ai été direc­teur de l’ac­ti­vi­té avio­nique et optro­nique, puis comme pré­sident de Tech­ni­cA­tome qui est un fabri­cant de chau­dières nucléaires pour les sous-marins et les porte-avions.

Au début des années 2000, je suis pas­sé de l’industrie de la défense au monde de l’énergie, un uni­vers aux mul­tiples chal­lenges, mais qui a des points com­muns avec celui de la défense. Tous deux contri­buant à la sou­ve­rai­ne­té et l’indépendance natio­nales. Au-delà, l’énergie est aus­si un sujet qui touche l’ensemble de nos conci­toyens et qui impacte, par ailleurs, l’avenir de notre pla­nète. Après un pas­sage chez Are­va, j’ai rejoint Teré­ga, dont je suis actuel­le­ment le pré­sident et direc­teur géné­ral. Cet acteur indé­pen­dant est aujourd’hui le second opé­ra­teur d’in­fra­struc­tures de gaz en France avec 25 % des capa­ci­tés de sto­ckage et plus de 5 000 kilo­mètres de cana­li­sa­tions, essen­tiel­le­ment dans le sud-ouest, qui par­ti­cipent au sys­tème national.

À la tête de Teréga, quelle est votre feuille de route ?

En notre qua­li­té d’opérateur d’infrastructures de gaz, notre prin­ci­pale mis­sion est d’assurer la sécu­ri­té de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment de gaz en France. Concrè­te­ment, il s’agit de sécu­ri­ser les flux de gaz depuis les pro­duc­teurs jusqu’aux consom­ma­teurs finaux grâce à des infra­struc­tures de trans­port et de stockage.

Pour garan­tir un appro­vi­sion­ne­ment pérenne en gaz, notre rôle est aus­si de pré­pa­rer ces infra­struc­tures aux besoins de demain dans un contexte où le gaz natu­rel a voca­tion à être sub­sti­tué par de nou­velles éner­gies, comme le bio­gaz qui est fabri­qué à par­tir de déchets dans des métha­ni­seurs. Il s’agit aus­si de pré­pa­rer les infra­struc­tures à l’arrivée de l’hydrogène afin de pou­voir assu­rer le tran­sit de ce gaz de manière à répondre aux besoins crois­sants des indus­triels alors qu’on ima­gine que l’hydrogène va pou­voir rem­pla­cer des pro­duits qui aujourd’hui émettent beau­coup plus de CO2. En paral­lèle, nous tra­vaillons aus­si sur le sujet de la cap­ta­tion, l’acheminement et le sto­ckage du CO2 (CCUS) et des émis­sions dites fatales.

Le défi pour Teré­ga est aus­si de se don­ner les moyens pour pas­ser à l’échelle indus­trielle pour pou­voir sécu­ri­ser le tran­sit de flux tou­jours plus impor­tants de bio­gaz, d’hydrogène et de CO₂. Cela demande de pou­voir s’appuyer sur des infra­struc­tures pérennes et durables qui sont essen­tielles au main­tien d’une acti­vi­té indus­trielle sur l’ensemble des ter­ri­toires natio­naux en cette période de tran­si­tion énergétique.

Enfin, ces évo­lu­tions trans­forment non seule­ment la nature de notre acti­vi­té, mais éga­le­ment nos métiers. Notre enjeu est ain­si d’accompagner la mon­tée en com­pé­tences de nos col­la­bo­ra­teurs et de leur don­ner les moyens de déve­lop­per de nou­velles exper­tises afin d’appréhender ces nou­veaux gaz et énergies.

D’ailleurs, comment appréhendez-vous les transitions actuelles ?

Dans cette démarche, nous tra­vaillons avec nos clients, qui consomment du gaz, mais éga­le­ment ceux qui vont être ame­nés à avoir recours à l’hydrogène ou qui vont devoir gérer leur CO₂. Nous lan­çons ain­si régu­liè­re­ment des appels à mani­fes­ta­tion d’intérêt afin de com­prendre leurs besoins, éta­blir des pro­jec­tions… En paral­lèle, nous réa­li­sons le même tra­vail avec les pro­duc­teurs de ces nou­velles molé­cules (bio­gaz, hydro­gène…). Cette double approche nous per­met de prendre en compte l’offre et la demande pour mieux dimen­sion­ner demain le mar­ché et, in fine, les infra­struc­tures néces­saires. Au-delà, cela per­met éga­le­ment de tra­vailler dès aujourd’hui sur le cadre régle­men­taire et les dis­po­si­tifs finan­ciers qui vont impac­ter les infra­struc­tures de trans­port et de stockage.

Pour un acteur comme Teréga, quels sont les principaux enjeux à l’heure actuelle ?

À mon arri­vée dans l’entreprise en 2016, nous nous sommes dotés d’un plan stra­té­gique, IMPACTS 2025, pour anti­ci­per et appor­ter des réponses concrètes aux enjeux de la tran­si­tion éner­gé­tique, pré­pa­rer notre entre­prise à ces muta­tions et s’assurer que notre patri­moine soit en capa­ci­té d’appréhender et d’anticiper ces mou­ve­ments. Ce plan stra­té­gique nous a per­mis de trans­for­mer Teré­ga afin que l’entreprise se posi­tionne comme un accé­lé­ra­teur de tran­si­tion éner­gé­tique dans les territoires.

Aujourd’hui, avec notre nou­veau plan GAÏA 2035, nous pré­pa­rons de manière concrète l’entreprise à la tran­si­tion éner­gé­tique. Cela se tra­duit par de grands pro­jets pour se doter des pre­mières infra­struc­tures com­pa­tibles avec la tran­si­tion éner­gé­tique et les nou­velles éner­gies. Par­mi ces pro­jets, on peut notam­ment citer Bar­Mar, un pro­jet de gazo­duc mari­time pour le trans­port de l’hydrogène entre Bar­ce­lone et Mar­seille ; HySoW, une infra­struc­ture de trans­port de l’hy­dro­gène décar­bo­né dans le Sud-Ouest ; ou encore, le pro­jet PYCASSO pour le cap­tage, le trans­port et le sto­ckage du CO2 (CCUS)… Nous avan­çons sur ces pro­jets avec le sou­tien du gou­ver­ne­ment fran­çais, de la Com­mis­sion euro­péenne et de nom­breux par­te­naires, qui sont aus­si au cœur de ces tran­si­tions. À l’horizon 2035, ces infra­struc­tures repré­sen­te­ront 50 % de nos investissements.

« Teréga a considérablement accéléré sa digitalisation afin notamment de simplifier la relation client. »

En paral­lèle, dans le cadre du plan IMPACTS 2025, Teré­ga a consi­dé­ra­ble­ment accé­lé­ré sa digi­ta­li­sa­tion afin notam­ment de sim­pli­fier la rela­tion client en misant par exemple sur le déploie­ment et la mise à dis­po­si­tion d’applications et de ser­vices en mode SaaS. En interne, nous avons doté l’ensemble de nos col­la­bo­ra­teurs d’outils digi­taux pour qu’ils puissent gagner en effi­ca­ci­té dans le cadre des opé­ra­tions de main­te­nance ou de sur­veillance. Nous avons aus­si inves­ti en matière de cyber­sé­cu­ri­té pour pro­té­ger nos sys­tèmes et assu­rer la résis­tance et la rési­lience de l’entreprise de manière glo­bale. En effet, l’approvisionnement en gaz du pays est une ques­tion de sou­ve­rai­ne­té et il est indis­pen­sable de le sécu­ri­ser face à une cyber­cri­mi­na­li­té en pleine explosion.

Quelles sont les opportunités de carrière que votre secteur peut offrir à des ingénieurs jeunes et moins jeunes ?

Aujourd’hui se construisent les grandes infra­struc­tures de demain. Nous sommes aux pré­mices d’une nou­velle acti­vi­té de ges­tion de grands pro­jets, comme celle que nous avons pu connaître lors de l’émergence des pre­mières infra­struc­tures Oil & Gas. D’ailleurs, il est inté­res­sant de sou­li­gner que les tech­no­lo­gies uti­li­sées pour leur déve­lop­pe­ment res­tent d’actualité et sont même néces­saires pour construire la nou­velle géné­ra­tion d’infrastructures. Ce sont des pro­jets où des ingé­nieurs qui ont une expé­rience avé­rée dans ces sec­teurs peuvent avoir une réelle valeur ajou­tée et contri­buer acti­ve­ment à leur réussite.

Pour accom­pa­gner l’émergence de ces nou­veaux mar­chés, le monde de l’énergie a aus­si besoin de talents qui savent pen­ser « out of the box » et faire preuve d’innovation et de créa­ti­vi­té aus­si bien sur le plan tech­no­lo­gique que com­mer­cial. De plus en plus, nous recher­chons des ingé­nieurs qui ont une vision intra­pre­neu­riale afin de déve­lop­per ces nou­velles acti­vi­tés. Les for­ma­tions d’écoles d’ingénieurs à la fran­çaise comme l’X forment par­ti­cu­liè­re­ment ces pro­fils, car elles leur donnent un socle tech­nique et scien­ti­fique solide, mais leur apprennent aus­si à être auto­nomes et force de proposition.

Enfin, il y a aus­si un besoin plus mar­qué pour des experts et des com­pé­tences autour des nou­velles éner­gies, du déve­lop­pe­ment durable et de la trans­for­ma­tion éco­lo­gique au sens large.


Lire aus­si : Teré­ga Solu­tions : acteur de l’essor de la filière hydro­gène en France et en Europe


Et justement, quels sont les atouts des diplômés de l’X ?

L’École poly­tech­nique est une école mili­taire ados­sée à des valeurs fortes et qui trans­met à ses diplô­més un fort sen­ti­ment de l’intérêt col­lec­tif et natio­nal. Au-delà, elle per­met aux ingé­nieurs d’avoir un bagage tech­nique et scien­ti­fique d’une grande qua­li­té, mais aus­si de déve­lop­per leur auto­no­mie, leur capa­ci­té à tra­vailler en équipe, et à être inno­vant. Autant de qua­li­tés pré­cieuses, alors qu’aujourd’hui, ensemble, nous devons réin­ven­ter le monde de demain au tra­vers du prisme de la tran­si­tion éner­gé­tique, du déve­lop­pe­ment durable et du réchauf­fe­ment climatique.

Et pour conclure, des conseils à partager avec nos lecteurs ?

Tout d’abord, je les invite à vivre leur pas­sion et à s’épanouir dans leur vie pro­fes­sion­nelle ! Un métier, ce n’est pas seule­ment une fiche de poste et une rému­né­ra­tion, c’est aus­si une entre­prise, des valeurs, une équipe et un envi­ron­ne­ment qui faci­lite la co-construc­tion, la mon­tée en com­pé­tences et le déve­lop­pe­ment per­son­nel. Au-delà, il me semble aus­si impor­tant de pou­voir expri­mer son point de vue, dans le res­pect et avec intel­li­gence, pour appor­ter sa pierre à l’édifice.

Enfin, j’aimerais insis­ter sur les oppor­tu­ni­tés que les ETI et les PME natio­nales peuvent offrir aux jeunes diplô­més. J’ai débu­té ma car­rière dans l’industrie chez DCN avant qu’elle ne devienne Naval Group, puis chez Sagem qui est aujourd’hui Safran, puis au sein de Tech­ni­cA­tome avant de rejoindre Teré­ga. Ces ETI indé­pen­dantes m’ont offert une très belle courbe d’apprentissage et une prise de res­pon­sa­bi­li­té rapide. Elles ont, en effet, autant à appor­ter à une car­rière qu’un grand groupe natio­nal ou international !

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