Comment les territoires peuvent-ils trouver leur place dans les plans de relance ?
La réflexion dans et par les territoires pourrait enrichir la démarche centralisée des plans de relance français et européen. Marion Guillou a conduit une mission « Toulouse, territoire d’avenir », parrainée par Jean Tirole (73), sur la préparation du territoire toulousain au monde de demain, qui vient de rendre ses recommandations aux élus.
La crise économique post-Covid est globale mais, en particulier dans la capitale européenne de l’aéronautique, elle va avoir de graves conséquences économiques et sociales. C’est dans ce contexte que le président de la métropole de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, avec l’appui de la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, m’a confié une mission de prospective et de recommandations, parrainée par Jean Tirole.
La constitution pour la conduite d’une commission « Toulouse, territoire d’avenir », afin de réfléchir à l’après-crise et à l’utilisation optimale des plans de relance pour la préparer, est emblématique à plusieurs titres : son indépendance tout d’abord, que ce soit dans sa composition, qui nous fut entièrement confiée, ou dans l’absence d’intervention des commanditaires sur son diagnostic et ses conclusions. Son œil neuf ensuite, avec une majorité de membres externes au territoire, qui ont pu capitaliser sereinement sur la contribution cruciale des spécialistes du territoire toulousain, avec plus d’une centaine d’entretiens réalisés avec des personnes très diverses.
Une articulation entre tous les acteurs
Au-delà de ce travail qui a duré trois mois, il m’a semblé qu’articuler État, Europe, régions et territoires pour répondre à la crise permettrait de mobiliser plus efficacement les acteurs et les financements sur des priorités choisies. Les collectivités ont, avant l’été, chacune de son côté, proposé des plans de relance à la proportion des moyens qu’elles pouvaient dégager à cette fin ; mais plus efficace sera la conception ou la stimulation de projets et d’initiatives éligibles aux plans de relance national et européen.
Il importe en effet d’adapter les réponses à cette crise au niveau local, pour tenir compte des atouts spécifiques et des énergies à l’œuvre afin de tirer le meilleur parti des plans de relance déployés par l’Union européenne et le gouvernement français. Au pouvoir central d’impulser la relance et d’organiser les appels à projets qui feront émerger les meilleures initiatives locales. Aux collectivités de construire sur leurs forces et de sortir des sentiers battus pour tirer parti de ces plans de relance. Les programmes taillés sur mesure peuvent s’avérer préférables à un programme « taille unique ». C’est vrai dans le domaine de l’action climatique comme dans celui des mobilités ou de l’emploi des jeunes par exemple.
Des problématiques sensibles pour tous
Le climat change, il se dérègle ; la solidarité planétaire est de fait, d’où l’importance des forums globaux au sein desquels chaque pays ou zone du monde s’engage. Mais l’abstraction des chiffres et objectifs mobilise mal citoyens comme acteurs économiques. Au niveau régional, en Occitanie par exemple, les sécheresses et les inondations qui se succèdent paradoxalement, la chaleur extrême dans les zones urbaines sont palpables par tous et appellent à agir. Un diagnostic territorial informé peut aider à construire des politiques de proximité : coconstruction d’un plan climat-territoire par exemple ou incitation à des pratiques agricoles climatiques permettant plus de stockage de carbone dans les sols. Nous avons eu l’audace de proposer la création d’un marché de compensation carbone à cette échelle.
Les mobilités peuvent être améliorées dans le territoire toulousain. Cinquante-huit minutes de trajet quotidien en voiture entre domicile et travail en moyenne, une ville très peu dense (la troisième ville la moins dense d’Europe)… Comment penser à l’échelle d’une aire d’emploi et des communes de résidence des travailleurs un plan de mobilité portant une conception et une vision partagées entre les différents niveaux de collectivité ? Comment renforcer les dessertes ferroviaires tant régionale que locale, les plans de mobilité douce (vélo…) autant que les transports en commun ? Ces sujets concernent l’État, comme l’Europe, par l’ampleur des projets d’infrastructures à réaliser, mais partent des priorités discutées, coproduites au niveau territorial et contractualisées si possible entre collectivités et représentant de l’État au niveau décentralisé.
La question centrale de l’emploi
L’aire de Toulouse comporte une population très jeune ; c’est un atout mais cette année ce sont aussi 50 000 jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail, en période difficile pour les embauches, et environ 13 % de jeunes de 16 à 25 ans ni scolarisés ni en emploi. Là encore, l’État met en place le plan Un jeune, une solution, mais c’est au niveau local que les jeunes peuvent être repérés et accompagnés. C’est également au niveau des régions que des campus d’industries peuvent être créés pour apparier emplois non pourvus dans l’industrie à tous niveaux et toutes formations (allant des savoir-faire spécialisés aux formations aux data sciences).
Les collectivités disposent d’informations qui ne sont pas disponibles à l’échelon supérieur. Des diagnostics établis par les acteurs locaux, des propositions coconstruites entre eux, les collectivités et les services de l’État peuvent fournir une nouvelle méthodologie d’élaboration partagée, donc de mise en œuvre plus efficace des politiques économiques, environnementales comme sociales. C’est en tout cas la leçon que je tire de notre expérience à Toulouse.
“Les collectivités doivent être
en situation de responsabilité.”
C’est en effet surtout à l’échelle territoriale que se jouent les solidarités, la création d’emplois et les mobilités. Ensuite, les communautés, les régions peuvent avoir des objectifs différents ; c’est le droit à la différenciation. Enfin, une concurrence saine permet à chacun de progresser. Pour que cette concurrence devienne émulation et fonctionne, les collectivités doivent être en situation de responsabilité. Une première condition pour cela est une bonne information des citoyens sur leurs services publics.
Comment se comparent, en regard des fonds publics engagés, nos écoles, nos hôpitaux, nos universités, avec ceux de la région voisine ou des homologues européens ? Nos start-up, créatrices d’emplois et de richesse dans le territoire et dans lesquelles de l’argent public a été investi, sont-elles compétitives ? La plupart de nos concitoyens n’ont souvent aucune autre information sur ces sujets que l’excellence autoproclamée des entités concernées. Seule une évaluation externe et indépendante peut les informer correctement. Et le pouvoir régalien doit veiller à certaines solidarités, et à la coordination entre territoires quand ceux-ci sont très interdépendants.
Une expérience facilement transposable
N’ayant pas de légitimité quant aux décisions futures, cette commission a eu pour rôle de remplir la boîte à idées avec un recours systématique au parangonnage, afin de regarder ce qui fonctionne le mieux en France et à l’étranger, et les possibilités de transposition au territoire toulousain. La commission a ainsi insisté sur la nécessité de profiter, en complément des talents locaux, de talents français et étrangers. Les recommandations, publiées au sein du rapport intitulé Toulouse, territoire d’avenir, pourraient constituer des actions, des projets et des initiatives locales financés par les plans de relance français et européens. Au total, si ces recommandations sont bien sûr spécifiques au territoire toulousain, la démarche et la méthode pourraient peut-être inspirer la conduite de réflexions similaires, adaptées à d’autres territoires.