Thales : le pari de la proximité et de l’ouverture

Dossier : L'École polytechniqueMagazine N°622 Février 2007
Par Bertrand DEMOTES-MAINARD (80)

Recons­truire à neuf un centre de recherche riche d’un demi-siècle d’his­toire est for­cé­ment un choix struc­tu­rant pour les décen­nies à venir. Déci­der de le pla­cer sur le cam­pus de l’X peut sem­bler un pari ori­gi­nal ; une ana­lyse plus pré­cise rend au fond ce choix bien naturel.

Le pari

Lorsque l’ac­cord s’é­ta­blit en 2002 entre Denis Ranque et Yan­nick d’Es­ca­tha, les pré­si­dents de Thales et de l’É­cole, le pro­jet de cam­pus réno­vé de l’X en est encore à son début : il fal­lait donc croire qu’une dyna­mique puis­sante se met­trait en place pour per­mettre à ce ter­ri­toire, riche en exper­tises scien­ti­fiques, de gagner en effi­cience et en visibilité.

Ce pari est main­te­nant gagné puisque cette dyna­mique a été recon­nue à tra­vers la créa­tion du pôle de com­pé­ti­ti­vi­té System@tic, l’é­ta­blis­se­ment des RTRA Digi­teo et Tri­angle de la phy­sique, et l’ar­ri­vée annon­cée sur le cam­pus de l’X de plu­sieurs autres éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment et de recherche.

Du point de vue de Thales, il ne s’a­gis­sait pas d’une pra­tique iso­lée, mais de l’as­pect le plus mar­quant d’une poli­tique d’en­semble condui­sant à implan­ter des équipes de recherche au sein de grands éta­blis­se­ments aca­dé­miques, ce qui fut réa­li­sé en 2003 aux Pays-Bas avec l’U­ni­ver­si­té de Delft, en 2004 en Grande-Bre­tagne avec l’U­ni­ver­si­té du Sur­rey, en 2005 à Sin­ga­pour avec la Nanyang Tech­no­lo­gi­cal Uni­ver­si­ty, et enfin avec l’É­cole polytechnique.

Un principe déjà connu

Doit-on pour autant consi­dé­rer l’i­dée comme excep­tion­nelle ? Du point de vue géo­gra­phique, les cher­cheurs de Thales ne se sont dépla­cés que de 1 500 mètres, et il est mani­feste que le prin­cipe d’im­plan­ter ain­si les cher­cheurs indus­triels dans des cam­pus pres­ti­gieux n’est pas nou­veau : plu­sieurs groupes inter­na­tio­naux l’ont appliqué.

Le pas à fran­chir pour Thales était en réa­li­té double : pre­miè­re­ment croire que ce prin­cipe de proxi­mi­té et d’ou­ver­ture était non seule­ment appli­cable, mais au fond pri­mor­dial pour une entre­prise tra­vaillant pour les mar­chés de la sécu­ri­té, de l’aé­ro­nau­tique et de la défense ; deuxiè­me­ment croire que ce prin­cipe allait rapi­de­ment pou­voir être mis en œuvre en France.

Recher­cher avant tout l’ou­ver­ture en matière de recherche, c’est – bien à l’op­po­sé d’une image d’ar­se­nal qui colle encore un peu à cette indus­trie – affir­mer que l’en­jeu n’est pas tant de maî­tri­ser en interne toute la tech­no­lo­gie, que de s’as­su­rer de la dis­po­ni­bi­li­té d’in­gé­nieurs et de cher­cheurs capables d’u­ti­li­ser de façon effi­ciente les per­for­mances de la tech­no­lo­gie et d’en maî­tri­ser, le cas échéant, les aspects de pro­prié­té intel­lec­tuelle par le dépôt des brevets.

Le mou­ve­ment de réforme de l’X et les pré­mices de l’ac­tuelle poli­tique publique en faveur de l’in­no­va­tion ont par ailleurs convain­cu la direc­tion de Thales que la France ne res­te­rait plus long­temps dans une logique de sépa­ra­tion forte entre recherche publique et recherche pri­vée. Quand un tel mou­ve­ment s’o­père, il est dans la nature d’un indus­triel de s’y inves­tir pour faire par­tie des pionniers.

Le partenariat

La coopé­ra­tion avec l’É­cole poly­tech­nique est ancienne. Elle a com­men­cé, il y a plus de trente ans, dans le domaine des mathé­ma­tiques appli­quées sur les méthodes des équa­tions inté­grales en élec­tro­ma­gné­tisme pour le cal­cul des antennes, puis s’est ensuite éten­due au domaine de l’op­tique. Depuis 2003, ce par­te­na­riat a don­né lieu à la mise en place de la chaire d’en­sei­gne­ment et de recherche sur l’in­gé­nie­rie des sys­tèmes indus­triels com­plexes, actuel­le­ment à sa deuxième année de fonc­tion­ne­ment. Cette dis­ci­pline, certes encore insuf­fi­sam­ment connue en France et en Europe, est pour­tant tout à fait essen­tielle pour la maî­trise des grands sys­tèmes en réseau qui struc­turent le fonc­tion­ne­ment de nos socié­tés modernes et dont la concep­tion doit être d’une grande robus­tesse pour évi­ter les catas­trophes et les blocages.

Le nou­veau bâti­ment de 18 000 m² repré­sente un inves­tis­se­ment de plus de 60 mil­lions d’eu­ros ; il com­prend 5 500 m² de labo­ra­toires, dont 3 200 m² en salles blanches, et peut accueillir 550 per­sonnes. Dans ce site res­pec­tant par­fai­te­ment l’en­vi­ron­ne­ment, car sans rejets ni gazeux ni liquides – tous les rejets sont retrai­tés – tra­vaillent déjà 250 per­ma­nents de Thales et 150 thé­sards et coopé­rants venant en par­ti­cu­lier du CNRS, de l’X, de l’Ins­ti­tut d’op­tique, des Uni­ver­si­tés Paris VII et Paris XI, ain­si que d’Alcatel.

Le prin­cipe de col­la­bo­ra­tion y est simple : il s’a­git de l’é­mu­la­tion réci­proque entre cher­cheurs et de la mise en com­mun de toutes sortes d’in­ves­tis­se­ments en ins­tal­la­tions et en savoir-faire dont le besoin ne cesse de croître pour qui veut res­ter dans le pelo­ton de tête de la recherche mon­diale. Par la varié­té de ses occu­pants et de leurs axes de recherche, il se veut lui-même un petit cam­pus au sein du campus.

Un campus dans le campus

Les thèmes de tra­vail vont de la phy­sique fon­da­men­tale, notam­ment dans l’u­ni­té mixte de recherche en Phy­sique (UMR CNRS-Thales, asso­ciée à Paris XI), à un labo­ra­toire qui étu­die les aspects usages (e‑service) et sécu­ri­té d’In­ter­net, en pas­sant par l’op­tique, les maté­riaux semi-conduc­teurs au sein du GIE Alca­tel-Thales III‑V Lab, et les nou­velles archi­tec­tures et nou­veaux outils de déve­lop­pe­ment des logi­ciels critiques.

L’as­pect cam­pus se mani­feste éga­le­ment par l’or­ga­ni­sa­tion des tra­vaux pra­tiques en salle blanche pour les élèves de Poly­tech­nique et de l’É­cole supé­rieure d’op­tique. Entre ces élèves de tra­vaux pra­tiques, les sta­giaires de mas­ters et les thé­sards, ce sont au total plus de 200 étu­diants qui chaque année fran­chissent la porte du centre de recherche de Thales. Espé­rons que nombre d’entre eux y auront pris goût pour ce sub­til équi­libre entre la Science et le monde éco­no­mique qui font l’at­trait d’une entre­prise de haute technologie.

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