Thales : le pari de la proximité et de l’ouverture
Reconstruire à neuf un centre de recherche riche d’un demi-siècle d’histoire est forcément un choix structurant pour les décennies à venir. Décider de le placer sur le campus de l’X peut sembler un pari original ; une analyse plus précise rend au fond ce choix bien naturel.
Le pari
Lorsque l’accord s’établit en 2002 entre Denis Ranque et Yannick d’Escatha, les présidents de Thales et de l’École, le projet de campus rénové de l’X en est encore à son début : il fallait donc croire qu’une dynamique puissante se mettrait en place pour permettre à ce territoire, riche en expertises scientifiques, de gagner en efficience et en visibilité.
Ce pari est maintenant gagné puisque cette dynamique a été reconnue à travers la création du pôle de compétitivité System@tic, l’établissement des RTRA Digiteo et Triangle de la physique, et l’arrivée annoncée sur le campus de l’X de plusieurs autres établissements d’enseignement et de recherche.
Du point de vue de Thales, il ne s’agissait pas d’une pratique isolée, mais de l’aspect le plus marquant d’une politique d’ensemble conduisant à implanter des équipes de recherche au sein de grands établissements académiques, ce qui fut réalisé en 2003 aux Pays-Bas avec l’Université de Delft, en 2004 en Grande-Bretagne avec l’Université du Surrey, en 2005 à Singapour avec la Nanyang Technological University, et enfin avec l’École polytechnique.
Un principe déjà connu
Doit-on pour autant considérer l’idée comme exceptionnelle ? Du point de vue géographique, les chercheurs de Thales ne se sont déplacés que de 1 500 mètres, et il est manifeste que le principe d’implanter ainsi les chercheurs industriels dans des campus prestigieux n’est pas nouveau : plusieurs groupes internationaux l’ont appliqué.
Le pas à franchir pour Thales était en réalité double : premièrement croire que ce principe de proximité et d’ouverture était non seulement applicable, mais au fond primordial pour une entreprise travaillant pour les marchés de la sécurité, de l’aéronautique et de la défense ; deuxièmement croire que ce principe allait rapidement pouvoir être mis en œuvre en France.
Rechercher avant tout l’ouverture en matière de recherche, c’est – bien à l’opposé d’une image d’arsenal qui colle encore un peu à cette industrie – affirmer que l’enjeu n’est pas tant de maîtriser en interne toute la technologie, que de s’assurer de la disponibilité d’ingénieurs et de chercheurs capables d’utiliser de façon efficiente les performances de la technologie et d’en maîtriser, le cas échéant, les aspects de propriété intellectuelle par le dépôt des brevets.
Le mouvement de réforme de l’X et les prémices de l’actuelle politique publique en faveur de l’innovation ont par ailleurs convaincu la direction de Thales que la France ne resterait plus longtemps dans une logique de séparation forte entre recherche publique et recherche privée. Quand un tel mouvement s’opère, il est dans la nature d’un industriel de s’y investir pour faire partie des pionniers.
Le partenariat
La coopération avec l’École polytechnique est ancienne. Elle a commencé, il y a plus de trente ans, dans le domaine des mathématiques appliquées sur les méthodes des équations intégrales en électromagnétisme pour le calcul des antennes, puis s’est ensuite étendue au domaine de l’optique. Depuis 2003, ce partenariat a donné lieu à la mise en place de la chaire d’enseignement et de recherche sur l’ingénierie des systèmes industriels complexes, actuellement à sa deuxième année de fonctionnement. Cette discipline, certes encore insuffisamment connue en France et en Europe, est pourtant tout à fait essentielle pour la maîtrise des grands systèmes en réseau qui structurent le fonctionnement de nos sociétés modernes et dont la conception doit être d’une grande robustesse pour éviter les catastrophes et les blocages.
Le nouveau bâtiment de 18 000 m² représente un investissement de plus de 60 millions d’euros ; il comprend 5 500 m² de laboratoires, dont 3 200 m² en salles blanches, et peut accueillir 550 personnes. Dans ce site respectant parfaitement l’environnement, car sans rejets ni gazeux ni liquides – tous les rejets sont retraités – travaillent déjà 250 permanents de Thales et 150 thésards et coopérants venant en particulier du CNRS, de l’X, de l’Institut d’optique, des Universités Paris VII et Paris XI, ainsi que d’Alcatel.
Le principe de collaboration y est simple : il s’agit de l’émulation réciproque entre chercheurs et de la mise en commun de toutes sortes d’investissements en installations et en savoir-faire dont le besoin ne cesse de croître pour qui veut rester dans le peloton de tête de la recherche mondiale. Par la variété de ses occupants et de leurs axes de recherche, il se veut lui-même un petit campus au sein du campus.
Un campus dans le campus
Les thèmes de travail vont de la physique fondamentale, notamment dans l’unité mixte de recherche en Physique (UMR CNRS-Thales, associée à Paris XI), à un laboratoire qui étudie les aspects usages (e‑service) et sécurité d’Internet, en passant par l’optique, les matériaux semi-conducteurs au sein du GIE Alcatel-Thales III‑V Lab, et les nouvelles architectures et nouveaux outils de développement des logiciels critiques.
L’aspect campus se manifeste également par l’organisation des travaux pratiques en salle blanche pour les élèves de Polytechnique et de l’École supérieure d’optique. Entre ces élèves de travaux pratiques, les stagiaires de masters et les thésards, ce sont au total plus de 200 étudiants qui chaque année franchissent la porte du centre de recherche de Thales. Espérons que nombre d’entre eux y auront pris goût pour ce subtil équilibre entre la Science et le monde économique qui font l’attrait d’une entreprise de haute technologie.