The Old Oak / Le théorème de Marguerite / L’enlèvement / Ça tourne à Séoul / Simple comme Sylvain
En écartant deux tentatives très dispensables que l’on couvrira du voile de la pudeur, on a rencontré ce mois-ci quatre propositions intéressantes et un ratage incontournable car « ken loachien » par lequel, pour s’en débarrasser, on va commencer.
The Old Oak
Réalisateur : Ken Loach – 1 h 53
On attendait avec une certaine ferveur le dernier opus de Ken Loach, et que voit-on ? Une petite ville anglaise de carte postale, un bistrot et un bistrotier à la dérive, un car de réfugiés syriens idéalisés, deux méchants voyous à pitbull, une poignée ultra-minoritaire de poivrots hostiles au milieu d’un océan de bons sentiments, et une amère impression d’ensemble : trop c’est trop. Ce film de patronage larmoyant ne sert finalement pas, dans son prêchi-prêcha inefficace, la cause qu’il veut défendre. Ken Loach rate la cible. La dure exigence d’humanité qu’impose l’accueil nécessaire – difficile et sans angélisme béat – de ceux qui souffrent vaut mieux que ce chromo.
Le théorème de Marguerite
Réalisatrice : Anna Novion – 1 h 52
Tout à fait intéressant, avec sans doute un plus pour les matheux. La composition d’Ella Rumpf est absolument convaincante et le schéma d’ensemble, fortement ancré dans la quête obsessionnelle d’une preuve de la conjecture de Goldbach (tout nombre entier pair supérieur à 3 est la somme de deux nombres premiers), parvient à dessiner à son personnage un chemin d’existence crédible dans et plus encore ensuite à côté d’une recherche universitaire que traverse la lutte des ego. Les strates du lourd passé cinématographique de J.-P. Darroussin décrédibilisent beaucoup ici son statut de grand chercheur à l’ENS (en même temps que sa position de compagnon de la réalisatrice explique sans doute sa présence…) et l’on ne fait qu’entrevoir Clotilde Courau. Mais on découvre Julien Frison, qui est très bien.
L’enlèvement
Réalisateur : Marco Bellocchio – 2 h 15
Une très belle et grande mise en scène, exceptionnelle parfois, et le traitement profond d’une situation où les rigidités religieuses emprisonnent les personnalités et les canalisent dans des comportements dont elles ne mesurent pas elles-mêmes l’absurdité. Le poids des croyances dicte des certitudes et des attitudes irrationnelles qui interdisent au flot vital, simple, humain, ouvert et tendre d’aller son chemin. Dans le regard du petit Edgardo Mortara se lit tout le désespoir inconscient d’une vie détournée de son cours. Le recadrage historique de « l’affaire Mortara » (cf. wikipédia) donne au sujet une ampleur dont les lignes précédentes, plus centrées sur le subjectif, ne rendent pas compte, mais dont l’esquisse cinématographique proposée par Marco Bellocchio est tout à fait nette. Excellents acteurs (à souligner, la mère : Barbara Ronchi). Un très beau film.
Ça tourne à Séoul !
Réalisateur : Kim Jee-Woon – 2 h 13
C’est véritablement du très bon cinéma. Un vent de folie souffle sur ce film au scénario à tiroirs irracontable où un réalisateur déjanté, habité par le doute et finalement touchant, s’acharne à terminer son chef‑d’œuvre ultime, via le tournage délirant de ce qui n’est qu’une série Z. Tyran débordé d’une troupe à la docilité récriminante et aux problèmes personnels envahissants, martyrisé autant que soutenu par une productrice prête à tout, cerné par la censure et étayé par une groupie sans recul, plombé par ses problèmes psycho-logiques, il est au centre d’une spirale résolument productive où le règlement des difficultés ne recule devant aucun expédient. Jusqu’au bilan humain des situations abordées qui est très riche. Pour le redire, c’est vraiment du très bon cinéma et l’on s’amuse beaucoup ! On pourra juger que Kim Jee-Woon réussit formidablement ce que Michel Gondry – chroniqué le mois précédent – avec Le livre des solutions n’a pas su faire.
Simple comme Sylvain
Réalisatrice : Monia Chokri – 1 h 50
Voici le malgré tout intéressant parcours d’échec d’une quadra intello installée dans le confort sans aspérités d’une relation de dix ans qui, victime d’une poussée hormonale, va confondre s’envoyer en l’air avec le charpentier inculte et brut de décoffrage chargé de réparer le chalet acheté en couple avec s’ouvrir un nouveau chemin de vie où les joies premières de la sensualité triomphent de l’impossibilité d’une complicité intellectuelle. Une riche galerie de situations, de notations et de portraits secondaires donne un cadre très réaliste et très ouvert à ce parcours violemment sexuel qui se développe au déni du réel, souligné par des dialogues trash. Les acteurs sont excellents, l’accent canadien toujours savoureux (sous-titrage) et l’effondrement terminal bien sûr inéluctable.