Thrustme : La start-up de l’X qui révolutionne le spatial
L’auteure, directrice au sein du Laboratoire de physique des plasmas (LPP), se lance, avec son équipe, dans l’entrepreneuriat avec ThrustMe. Il s’agit de commercialiser des propulseurs miniaturisés necessaires pour assurer le contrôle des constellations de petits satellites que l’on s’apprête à lancer, créant une importante vague de ruptures dans cette industrie.
Ane, pouvez-vous nous parler de la révolution que connaît l’industrie du spatial ?
Je pense que nous sommes au début d’une importante vague de ruptures dans l’industrie des satellites. La miniaturisation des satellites a démocratisé l’accès aux activités liées à l’espace qui auparavant n’étaient accessibles qu’aux grandes entreprises et aux gouvernements.
“ Prendre une image complète de la Terre plusieurs fois par heure ”
Les nouveaux satellites miniaturisés, qui représentent seulement de 1 à 10 % de la taille des systèmes conventionnels, deviennent de plus en plus intéressants pour l’imagerie et la communication.
La possibilité d’utiliser ces satellites dans des mégaconstellations de dizaines ou de centaines de satellites est l’avenir du big data, de l’Internet et de l’intelligence globale.
Par exemple, utiliser les petits satellites dans les constellations pour l’imagerie peut permettre de prendre une image complète de la Terre plusieurs fois par jour ou même plusieurs fois par heure.
DES CAPACITÉS DÉJÀ PRÉSENTES
Certaines constellations sont déjà en place. Les principaux acteurs sont Planet et Terra Bella – entreprise qui vient d’ailleurs de se faire racheter par Google pour 500 millions de dollars.
Planet et Terra Bella ont déjà des constellations d’environ 70 et 7 satellites respectivement.
Aux dernières nouvelles, Planet vient de racheter Terra Bella à son tour.
Les satellites conventionnels d’aujourd’hui, quant à eux, ont besoin d’environ cinq jours pour construire une telle image.
L’imagerie instantanée est cruciale pour comprendre et agir : par exemple, pour l’agriculture, elle permettra de considérablement optimiser l’arrosage et la fertilisation.
Une autre application importante est celle de la prévision météorologique : des données satellitaires rapidement rafraîchies avec des mesures multipoints améliorent les algorithmes de prévision. Cela permettra notamment aux compagnies aériennes d’optimiser les itinéraires longue distance et ainsi d’économiser jusqu’à 20 % de leur consommation de carburant.
Ce marché des petits satellites, selon les prévisions actuelles, décollera véritablement au milieu des années 2020 ; mais pour que cela se produise, il reste encore quelques obstacles à surmonter.
Justement, quels sont ces obstacles ?
Les petits satellites deviennent véritablement intéressants lorsqu’ils sont déployés en grand nombre. Les risques (de panne, notamment) sont alors distribués dans la constellation, au lieu de tout miser sur un gros satellite.
Pour que ces lancements de petits satellites soient économiquement et écologiquement durables, il est nécessaire de pouvoir complètement les contrôler en orbite et donc de disposer d’un système de propulsion.
Aujourd’hui, aucune solution satisfaisante n’est disponible : miniaturiser les systèmes de propulsion classiques ne s’est pas révélé faisable jusqu’à maintenant. Et les moteurs disponibles aujourd’hui ont de faibles performances et sont trop grands, trop complexes et trop chers pour la production de masse.
Comment ThrustMe propose-t-elle de résoudre ce problème ?
ThrustMe est une start-up issue du Centre de recherche de l’École polytechnique qui justement offre un système de propulsion idéal pour les petits satellites. Mon cofondateur Dmytro Rafalsky et moi-même avons compris que nous devions regarder le problème de la miniaturisation sous un nouvel angle.
Le propulseur innovant de ThrustMe fonctionne au Laboratoire des physiques des plasmas (LPP) de l’École polytechnique.
UN RISQUE DE PANNE SYSTÉMIQUE
On risque de se retrouver avec des milliers de petits satellites en panne de moteur si une solution n’est pas rapidement trouvée !
Pour les petits satellites, le système de propulsion est vraiment le caillou dans la chaussure à l’heure actuelle.
Les concurrents, bloqués depuis des années, ont dépensé du temps et de l’argent à essayer de miniaturiser les systèmes de propulsion spatiale classiques. Or, on se rend compte, lorsque l’on revient aux lois de la physique, que certaines parties de ces systèmes classiques de propulsion ne peuvent tout simplement pas être miniaturisées sans violer ces lois.
C’est en revenant aux lois fondamentales de la physique que nous avons trouvé la solution : nous avons combiné les technologies classiques de propulseurs ioniques (utilisées dans 20–30 % des grands satellites conventionnels d’aujourd’hui) avec des technologies inspirées de l’industrie des semi-conducteurs pour la gravure des matériaux.
Ainsi, nous avons développé un propulseur beaucoup plus petit, moins complexe et beaucoup plus robuste… et en plus de cela, il a des performances plus élevées que tous les autres.
En résumé, nous arrivons à point pour mettre sur le marché un produit idéal que toute l’industrie attendait.
Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus sur le principe de votre système de propulsion révolutionnaire ?
De manière générale, pour se déplacer dans l’espace (où il n’y a pas de frottement), on exerce une force sur le satellite en éjectant de la matière. Pour créer la poussée, on peut jouer sur la vitesse d’éjection de la matière, et/ou sur la variation de masse (i.e. la quantité de matière éjectée).
La seconde classe de systèmes de propulsion est la propulsion électrique. Dans ce cas, l’énergie électrique (générée par exemple par des panneaux solaires) est transformée en énergie cinétique.
Le propulseur miniaturisé intégré dans une structure CubeSat à 1 unité (cube normalisé de 10 x 10 cm).
LES LIMITES DE LA PROPULSION CHIMIQUE
Il existe deux grandes classes de systèmes de propulsion. La plus commune est la propulsion chimique (les lanceurs d’Ariane par exemple) où la poussée est créée en éjectant une grande quantité de matière très rapidement.
Ce n’est pas très efficace une fois dans l’espace, car une grande quantité de matière à éjecter est requise, et elle doit être transportée et stockée dans le satellite.
L’idée principale est d’accélérer un gaz à la plus grande vitesse possible. C’est cette seconde classe de système qui nous intéresse dans le cadre des satellites déjà en orbite.
Concrètement, comment accélérer ce gaz ? Le moyen le plus efficace est de transformer le gaz en plasma (en détachant les électrons des atomes ou des molécules). Les ions ainsi créés sont extraits et accélérés par un ensemble de grilles électrostatiques. C’est ce qui crée la poussée. Puisque les ions sont chargés positivement, ils doivent être neutralisés, car sinon ces ions positifs finiraient par revenir à leur point de départ et ainsi par annuler la poussée.
Par conséquent, dans les systèmes classiques, une source distincte, appelée neutraliseur, alimente le faisceau d’ions positifs en électrons.
C’est justement ce neutraliseur qu’il n’est pas possible de miniaturiser au-delà d’un certain point sans violer les lois de la physique. C’est là que nous avons décidé d’aborder le problème sous un nouvel angle.
Dmytro et moi-même avons une longue expérience dans la physique des plasmas et l’accélération d’ions à partir des plasmas. Cette recherche fondamentale que nous avons conduite, notamment à l’École polytechnique, depuis de nombreuses années pour des applications industrielles variées, et notamment pour la gravure de matériaux pour l’industrie des semi-conducteurs, nous a considérablement inspirés pour notre innovation.
Sans entrer dans les détails, nous utilisons un propulseur ionique classique comme décrit ci-dessus, mais au lieu d’appliquer une tension continue aux grilles électrostatiques, nous appliquons une tension alternative dans la gamme radiofréquence. Comme les ions sont beaucoup plus lourds que les électrons, le système se polarise automatiquement.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Le plasma induit par lui-même un offset à la tension appliquée sur les grilles, au lieu d’osciller autour de zéro, il oscille autour d’une tension constante. Les ions, plus lourds que les électrons, n’ont pas le temps de réagir aux oscillations et sont accélérés par cette tension constante.
Les électrons, quant à eux, réagissent au champ oscillant et sortent du plasma à travers les grilles en suivant les oscillations des radiofréquences. En conséquence, le faisceau d’ions est complètement neutralisé sans avoir besoin d’un neutralisateur.
En résumé, non seulement nous avons développé un système de propulsion qui a 40 % de la taille d’un propulseur ionique classique, mais en plus il procure une poussée deux fois plus importante !
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous-même ?
J’ai grandi tout au nord de la Norvège, dans un petit village avec une nature éblouissante. J’ai fait mes études à l’université la plus au nord du monde, l’université de Tromsø.
UNE POUSSÉE MULTIPLIÉE PAR DEUX
La cerise sur le gâteau est qu’à taille de système équivalente nous pouvons extraire de ce système un courant d’ions deux fois plus élevé que celui des systèmes classiques, ce qui se traduit par une poussée deux fois plus élevée pour notre système.
Après ma thèse, j’ai passé mes trois premières années de recherche en Australie, à l’Australian National University, après quoi j’ai rejoint l’École polytechnique.
Je suis entrée au CNRS en 2008. J’ai dirigé pendant quelques années un groupe de recherche d’une trentaine de personnes au Laboratoire de physique des plasmas (LPP).
J’aime beaucoup la combinaison de la recherche fondamentale et de l’innovation. Maintenant, mon tour est venu d’apporter au monde industriel certains de mes travaux de recherche. Pour cela, j’ai obtenu une mise en disponibilité du CNRS début janvier 2017, afin de me permettre de lancer ThrustMe.
J’aime aussi beaucoup les défis « impossibles », tant privés que professionnels.
Comment la communauté des polytechniciens peut-elle vous aider ?
Notre projet est extrêmement capitalistique. Nous sommes en train d’effectuer notre première levée de fonds d’amorçage. D’autres tours de table suivront ensuite.
Par ailleurs, nous cherchons aussi à recruter les talents les meilleurs et les plus motivés, tant sur la partie business que sur la partie R & D. Nous avons déjà des polytechniciens dans notre équipe, mais d’autres seront les bienvenus.