Totem : Créer un leader de la cafétéria d’entreprise
En janvier 2017, Rafaël et Stéfan de Lavergne (2013 tous deux) et Pierre Gallet (Centrale Paris et Essec) ont lancé Totem, une start-up de confection et de livraison de repas et de snacking en entreprise. Son succès lui permet d’ambitionner, malgré la crise, de devenir le leader de la cafétéria d’entreprise à Paris.
Que permet Totem ?
Totem permet aux entreprises de créer de nouveaux espaces de pause. Ce sont des magasins physiques et digitaux, gratuits ou payants pour les employés selon les produits et selon le choix de l’entreprise. Totem installe du mobilier modulaire (meubles snacking, meubles micro-ondes, meubles magasin) et des réfrigérateurs estampillés, et livre ensuite tous les jours jusqu’à 1 500 produits (alimentaires et non alimentaires, frais ou non). Du côté des employés, ces derniers ont alors le choix entre : une sélection limitée que l’entreprise met à disposition et une sélection élargie, disponible via l’application mobile Totem, ce qui permet à tous les employés de se faire livrer au bureau sans minimum de commande, sans frais de livraison et dans l’heure.
Comment t’est venue l’idée ?
À la suite de notre dernière année d’études à Berkeley aux États-Unis, nous avons été impressionnés par des programmes comme Google Food, qui crée des cafétérias conviviales gratuites à moins de 50 mètres de tout poste de travail. Nous avons donc eu l’idée de créer un modèle retail, à coût fixe bas, afin de permettre à chaque entreprise, quel que soit son budget, de proposer un espace de restauration et de pause adapté à son entreprise. Enfin, nous améliorons la sélection via les retours des utilisateurs à chaque usage et pour chaque entreprise. Voire à chaque étage !
Quel est le parcours des fondateurs ?
Nous sommes trois amis : l’un est mon meilleur ami, l’autre mon cousin. Avec un parcours similaire en classe préparatoire, nous sommes deux à avoir fait l’École polytechnique et UC Berkeley, le troisième est passé par Centrale Paris et l’Essec.
Qui sont les concurrents ?
Nous essayons d’apporter le retail en entreprise et de créer ainsi une nouvelle catégorie. On retrouve sur ce créneau des services comme Amazon Business ou Juste à Temps, mais eux ne proposent ni emplacements physiques ni service sur place. Par ailleurs, nous sommes en concurrence indirecte avec les grands du Business Services comme Compass, Sodexo ou Elior. Sur le créneau du snacking, nous sommes en concurrence avec Delicorner ou Brâam.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
Tout débute en septembre 2016, à UC Berkeley. Nous décidons de lancer un projet pour rassembler les équipes autour de Totem. Notre proof of concept nous a permis de générer 5 000 euros en six semaines sur 2 entreprises de San Francisco. Nous faisions nous-mêmes les courses et la livraison en Uber. Le véritable lancement a lieu en janvier 2017. Nous avons déposé les statuts avec un investissement initial de 3 000 euros. Nous nous sommes alors autofinancés grâce à un BFR négatif pendant quinze mois jusqu’à 40 k€ par mois. Il s’agissait d’une phase très « terrain » : nous avons passé plus de six mois à aller chaque lundi à Rungis acheter les produits à quatre heures du matin, à préparer les commandes, puis à livrer nous-mêmes nos clients avant de recruter les premiers salariés. Le financement est arrivé en avril 2018.
Nous avons jusqu’à aujourd’hui levé près de 7 M€, principalement auprès de fonds de capital-risque, et également de la dette auprès de BPI. Notre revenu est monté à presque 300 k€ par mois (avant la Covid-19) sur 140 magasins d’entreprise et près de 10 000 employés clients. Il nous est arrivé de livrer plus d’une tonne de bananes par semaine, au faîte de notre activité. Pendant la crise du coronavirus, nous avons lancé un service de livraison à domicile avec Jow pendant trois mois pour plus de 1 000 livraisons en mode B2C. Nous avons également livré des hôpitaux. Aujourd’hui Totem est constitué d’une trentaine de collaborateurs, dont des anciens cadres exécutifs d’Elior ou de Buffalo Grill, mais aussi des opérateurs de scale-up comme Deliveroo. Deux anciens entrepreneurs nous ont aussi rejoints.
Comment arrive-t-on à émerger dans l’univers de la restauration en entreprise ?
Notre parti pris n’est justement pas d’entrer dans cet univers, mais de nous y substituer. Nous sommes convaincus que les magasins sont plus flexibles et répondent mieux à la demande de diversité des collaborateurs, tout en permettant de créer des espaces de pause à chaque étage de 8 h du matin à 22 h le soir ! Ainsi, nous apportons le haut de gamme du commerce, avec de bons plats packagés, du snacking, des fruits bio… plutôt que le bas de gamme d’une production de repas sur place.
La demande pour des produits sains, le développement de Yuka, tout cela favorise-t-il les nouveaux acteurs ?
Bien sûr, on voit vraiment une recherche de la nouvelle génération vers de la transparence. Celle-ci est poussée par des start-up comme Yuka, mais aussi par les industriels, avec l’apparition de Nutri-Score. L’initiative de transparence existait déjà avant Yuka et est fondée sur une base de données publique et collaborative : Open Food Facts. Nos clients sont engagés autour de la livraison électrique, le zéro déchet, le recyclage ou encore le compost. La tendance Made in France et local est aussi importante. Par exemple, 100 % de nos meubles sont Made in France et produits à Montreuil.
Y a‑t-il d’autres services appelés à se développer sur le lieu de travail ?
Nous ne sommes qu’au tout début de l’aventure. Notre vision retail est large et permet d’englober alimentaire et non alimentaire. Nous voulons devenir le seul interlocuteur de l’entreprise et des employés pour tous les achats matériels ou alimentaires récurrents. Notre ambition est simple : pouvoir acheter n’importe quel produit en un clic au bureau avec une transparence complète de la provenance, en passant par des notations ou encore la nutrition ; rassembler les employés autour de Totem ; devenir l’interlocuteur unique, de confiance, pour tous les besoins matériels du bureau.
Nous voulons être d’une certaine façon l’Amazon de l’entreprise, à destination des employés, avec une dimension de service et d’espace physique convivial. Demain, le commerce de proximité fera partie intégrante du monde de l’entreprise. Certains grands groupes internationaux ont déjà créé leurs propres magasins d’entreprise. Nous permettons de démocratiser cette démarche et de la rendre accessible à toutes les entreprises de plus de 15 salariés.
Qu’est-ce que la crise de la Covid-19 et l’explosion du télétravail va changer ?
Nous avons dû nous adapter. Nos employés clients étant désormais à domicile, il était évident pour nous de lancer un service B2C de livraison de courses à domicile, afin de permettre à tous de travailler dans de bonnes conditions chez eux. C’était un challenge énorme que nous avons relevé en huit jours et qui a abouti à plus de 1 000 livraisons. Aujourd’hui, le télétravail s’implante de plus en plus. Certains se posent la question : faut-il garder des bureaux ? À cela, j’ai tendance à répondre : n’envoyons-nous nos enfants à l’école que pour les cours ? Non, pas uniquement pour les cours, mais aussi pour le lien social. La bonne question est donc : comment peut-on rendre les bureaux plus attractifs, plus efficaces, afin que les employés aient envie de venir au travail. C’est toute la mission de Totem. Rassembler.
Comment une jeune entreprise très exposée survit-elle en période de crise ?
Elle se bat. Nous avons la chance d’avoir des structures flexibles et des aides de l’État. Pour être honnête, les aides ne sont toujours pas descendues jusqu’à nous (banque ou État) et nous avons dû, malgré une trajectoire pré-Covid où nous étions à quatre mois de la rentabilité, faire le choix d’une nouvelle levée de fonds, qu’on a su boucler en trois mois en pleine crise, par Zoom, sans contact physique ! C’était dur, dur de créer de la confiance, mais c’est incroyable ce qu’internet et les nouveaux outils comme la signature électronique avec DocuSign permettent aujourd’hui. Nous avons désormais plus de vingt-quatre mois de visibilité financière. Nous avons pu conserver 100 % de nos collaborateurs et ça, c’est la vraie fierté !