Traace Gérer son impact carbone et son ESG
En 2020, Patrick Nollet (X06) a cofondé Traace, pour permettre aux entreprises de réduire concrètement leurs émissions de carbone et d’accélérer leur transition vers un modèle durable.
Quelle est l’activité de Traace ?
Traace est une start-up proposant une plateforme qui permet aux entreprises (principalement grands groupes et ETI) de gérer leur impact ESG (environnement, social et de bonne gouvernance), avec une attention particulière sur la réduction des émissions carbone. Nos clients sont des entreprises telles que Sodexo, Siemens ou encore la RATP. L’enjeu pour les entreprises est non seulement de répondre aux exigences croissantes de la réglementation (CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive, ISSB, International Sustainability Standards Board…), mais également de répondre aux attentes de leurs investisseurs, de leurs clients et de leurs propres employés pour qui l’impact doit devenir un pilier de la stratégie des entreprises.
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Quel est le parcours des fondateurs ?
J’ai fondé Traace avec Rodolphe Denieau et Thomas Guyot, deux anciens consultants en stratégie. Thomas a également travaillé dans l’équipe produit de plusieurs start-up. Les premiers designs de Traace, c’est lui qui les a faits ! Pour ma part, j’ai travaillé pendant dix ans dans le secteur de la tech. Traace est ma seconde aventure entrepreneuriale. J’avais auparavant fondé une start-up de paiement, Neos, revendue en 2019 à Lyf Pay.
Comment t’est venue l’idée ?
J’ai eu un déclic à la naissance de mon troisième enfant. J’étais devenu directeur numérique de Chantelle, une belle entreprise française, très attachante. Mais la parentalité invite à la prise de recul, et quelque chose me disait que je n’étais pas à ma place. J’étais de plus en plus sensible aux questions environnementales et je pensais que j’avais un rôle à jouer sur ces sujets. Car j’ai la conviction que la technologie, bien utilisée, peut être un formidable levier pour ceux qui veulent changer les choses. C’est à cette période que j’ai rencontré Rodolphe et Thomas, qui cherchaient justement un profil comme le mien. Ils avaient remarqué au cours de leurs missions de conseil que ce qui manquait le plus aux entreprises n’était pas tant l’ambition que des outils puissants pour déployer leurs stratégies environnementales. Travailler ensemble sur Traace a été évident.
Qui sont les concurrents ?
C’est un marché actif, avec des propositions de valeur variées. On trouve bien sûr les grands éditeurs (SAP, Salesforce, Microsoft…) qui souhaitent entrer sur ce marché prometteur, mais qui ont aujourd’hui des solutions trop peu adaptées pour être prises en main par les métiers des entreprises. On note également beaucoup de start-up qui se sont lancées sur ce créneau.
Certaines proposent des « bilans carbone en un clic ». C’est un marché différent : les résultats obtenus sont imprécis et méthodologiquement discutables. D’autres ont été prises dans l’euphorie que l’on a observée en 2021 sur les valorisations de certaines start-up. Ces acteurs sont en difficulté aujourd’hui, car ils peinent à se refinancer en raison de leur valorisation qui est totalement déconnectée de leur chiffre d’affaires réel. De notre côté, nous avons privilégié une croissance saine, prenant le temps de recruter les bons profils (30 employés aujourd’hui). Notre réputation est notre meilleur argument de vente : nous sommes là pour le long terme.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
Traace a été créée à la fin de l’année 2020. En septembre 2021, nous remportons l’appel d’offres de Sodexo pour un déploiement dans plus de 60 pays. Puis, en mai 2022, notre activité franchit un seuil, c’est 20 Mt de CO2 sous gestion, soit l’empreinte carbone de 2 millions de Français. En juillet 2023, nouvelle étape avec la sortie de notre module ESG. Nous prenons en compte toutes les dimensions du reporting extrafinancier, et plus seulement le climat.
Réduire son empreinte carbone tout en développant son activité, cela ne rend-il pas les chefs d’entreprise un peu schizophrènes ?
Je ne pense pas que cela soit contradictoire. Tout dépend de l’activité que l’on développe. Beaucoup d’entreprises espèrent encore pouvoir se décarboner sans rien changer à leur offre ou à leurs procédés. Et on les comprend : allez convaincre une entreprise de pâtisserie de consommer moins de beurre, qui est son principal poste d’émissions carbone ! Mais cela n’est pas soutenable. Heureusement, les mentalités changent. Pour rester dans le secteur de l’agroalimentaire, nous constatons que certains acteurs commencent à changer profondément leur offre, en proposant par exemple beaucoup plus de menus végétariens. Pour rappel, un plat végétarien émet 14 fois moins qu’un plat à base de bœuf. Les leviers existent et sont connus. Il faut maintenant du courage et des convictions pour les mettre en place.
On approche souvent ces sujets par l’axe financier, y a‑t-il d’autres moyens ?
L’axe financier a une qualité : c’est le langage que parlent tous les métiers d’une entreprise. Aborder les sujets par l’aspect financier permet de mettre tout le monde autour de la table et d’aligner les intérêts, d’autant que les budgets alloués aux actions de décarbonation sont en général portés par d’autres départements que la RSE. Prix interne du carbone, coût de l’inaction…, les outils pour modéliser financièrement la transition environnementale existent et permettent de construire des ROI (retours sur investissement) complets, souvent à l’avantage d’une forte décarbonation. Les entreprises qui se transforment dès aujourd’hui auront un avantage concurrentiel évident dans quelques années.
Les disparités d’approche entre États ne vont-elles pas avoir un impact sur la gestion de l’empreinte carbone par les entreprises, au risque de voir les mêmes conséquences que pour l’optimisation fiscale ?
La motivation des États est inégale, mais on remarque un réel effort d’harmonisation des standards et des réglementations. Ainsi, deux approches s’affrontent actuellement : celle de la CSRD, poussée par l’Union européenne, et celle de l’ISSB, un organisme de normalisation. Quelle que soit l’approche retenue, ces standards sont globaux, donc il est difficile de passer à travers les mailles du filet.
Quelles certifications existent dans le secteur de la décarbonation et de l’impact ? Ont-elles toutes la même valeur ?
C’est un domaine où de nouvelles certifications et de nouveaux labels fleurissent chaque semaine. On parle de comptabilité carbone, mais les méthodologies d’audit et de contrôle sont bien moins matures que ce que l’on trouve dans le domaine financier où il s’agit d’un sujet légal et bien délimité. Dans le domaine du carbone, certains acteurs n’hésitent pas à créer leurs propres certifications ou labels, alors qu’ils sont juges et parties. Mais certaines certifications ont une vraie valeur. On pourra ainsi citer la certification Bilan Carbone Conform délivrée par l’ABC (Association pour la transition bas carbone), ou alors la certification B Corp, qui évalue un certain nombre de critères sociaux et environnementaux.
Verra-t-on un jour apparaître le poste de chief decarbonization officer ?
Je n’espère pas ! La décarbonation n’a pas vocation à être cantonnée à une équipe. Elle doit irriguer l’ensemble de l’activité d’une entreprise. La réduction des émissions carbone se fait sur le terrain, en modifiant les process, les outils, les chaînes d’approvisionnement, la conception des produits, etc. Elle doit mobiliser l’ensemble de l’organisation, tant financièrement qu’humainement. On a souvent tendance à assimiler la décarbonation à un sujet de reporting. Mais c’est en fait un enjeu stratégique et financier. À ce titre, ce sont les directeurs de la stratégie ou les directeurs financiers qui doivent pousser leurs entreprises à se décarboner, et plus généralement à contrôler leur impact social et environnemental.