Transformer l’industrie cimentière au travers du prisme de la décarbonation
À l’instar de tous les secteurs industriels, l’industrie cimentière est engagée dans une profonde transformation pour aller plus loin et plus vite dans l’atteinte des objectifs de neutralité carbone. Stéphane Herbin, Directeur activité Bâtiment de Cimbéton, au sein de France Ciment, et Damien Meyer, Directeur de la communication de France Ciment, nous en disent plus sur cette démarche et les enjeux qui en découlent.
Qu’est-ce que France Ciment ?
France Ciment est une organisation professionnelle qui représente les cinq sociétés productrices de ciment en France : Heidelberg Materials France, Imerys Aluminates SAS, Lafarge France (Membre du groupe Holcim), Eqiom (a CRH Company) et Vicat. Présents sur tout le territoire français grâce à un réseau de près de quarante sites industriels, ces entreprises regroupées au sein de France Ciment emploient près de 4 500 personnes. France Ciment accompagne ses adhérents dans l’ensemble des décisions qui peuvent être portées au titre de la profession vis-à-vis des pouvoirs publics et des médias.
Au cœur des enjeux de l’industrie cimentière, on retrouve aujourd’hui la question de la décarbonation. Quels sont les objectifs que l’industrie s’est fixée notamment dans le cadre de la feuille de route qui a été dévoilée il y a environ un an ?
La décarbonation est une préoccupation majeure de nos adhérents. En mai 2023, nous avons, en ce sens, publié notre nouvelle feuille de route qui fixe deux jalons. D’ici 2030, notre objectif est de réduire de 50 % les émissions de carbone par rapport à 2015. Puis d’ici 2050, notre ambition sera d’atteindre la quasi-neutralité carbone.
Dans cette démarche, nous avons identifié quatre leviers qui sont déployés et mis en œuvre par nos industriels dans leur cimenterie. Le premier levier est fondé sur l’amélioration de l’efficacité énergétique. Aujourd’hui, nos industriels investissent massivement dans leurs équipements et outils industriels pour optimiser leur consommation énergétique. Ils changent leurs fours, améliorent les processus de récupération d’énergie fatale, de précalcination…
Le deuxième levier consiste à utiliser des sources de combustible moins carboné. Les combustibles fossiles sont remplacés par des déchets énergétiques, comme les CSR (combustibles solides de récupération). En 2023, les combustibles de substitution ont représenté 52 % des besoins en énergie thermique. Ce taux de substitution des combustibles fossiles sera de 80 % en 2030. Cette démarche permet de réutiliser et de valoriser ces déchets non recyclables générés par le processus d’autres secteurs d’activité.
« Réduire durablement l’empreinte carbone de l’industrie cimentière. »
Le troisième levier est lié au clinker, le principe actif du ciment. Aujourd’hui, la manière la plus simple de réduire rapidement l’empreinte environnementale des ciments est de diminuer leur teneur en clinker, tout en conservant leur résistance mécanique. Et pour ce faire, certaines combinaisons se révèlent très pertinentes. En complément du clinker, il existe des matériaux qui, finement broyés, peuvent participer au développement des résistances : d’autres composants, tels que le calcaire, le laitier, les cendres volantes, les pouzzolanes, les argiles calcinées… Les cimentiers développent de nouvelles formulations et compositions des ciments à plus basse teneur en clinker.
Les trois leviers évoqués précédemment visent à réduire les émissions et concourent à hauteur de ‑27 % (soit un peu plus de la moitié des
50 % annoncés) d’ici 2030. Le quatrième levier identifié afin de réduire durablement l’empreinte carbone de l’industrie cimentière consiste à capter le carbone directement à la sortie de la cheminée afin de le stocker dans des gisements géologiques profonds ou bien pour le réutiliser dans une logique de valorisation pour produire, par exemple, des carburants de synthèse ou des produits chimiques à haute valeur ajoutée. Le CO2 ainsi capturé ne s’accumule plus dans l’atmosphère et ne contribue plus à l’effet de serre responsable du dérèglement climatique.
Dans cette continuité, quelles sont les pistes explorées par l’industrie cimentière ?
L’industrie travaille sur différents axes, comme la formulation de nouveaux ciments avec un double enjeu : réduire l’empreinte carbone sans impacter la performance. La formulation et la fabrication de ces nouveaux ciments ont, par ailleurs, été rendues possibles par une évolution du cadre normatif. Dans ce cadre, nous voyons émerger de nouvelles compositions et la mise sur le marché des ciments ternaires. Au-delà, ce travail innovant ne concerne pas uniquement le ciment, mais également le béton.
Dans cette démarche d’innovation, il y a, par ailleurs, un enjeu d’accompagnement de l’ensemble des parties prenantes, et plus particulièrement des acteurs du monde de la construction, pour saisir les caractéristiques des nouveaux ciments. Au sein de France Ciment, nous estimons que l’évolution des produits et cette transition vers de nouveaux modes de construction vont s’opérer progressivement. Dans ce cadre, à notre niveau, nous menons un important travail de pédagogie et de sensibilisation pour lever les freins en matière d’acceptation, de reconnaissance de la performance… afin que les acteurs de la construction intègrent ces nouveaux produits et les mettent en œuvre sur le terrain.
« La décarbonation de notre industrie passe également par le dialogue et l’accompagnement progressif de toutes les parties prenantes, à tous les niveaux de la chaîne de valeur. »
En effet, la décarbonation de notre industrie ne repose pas uniquement sur l’évolution ou la transformation d’un procédé industriel, mais passe également par le dialogue et l’accompagnement progressif de toutes les parties prenantes, à tous les niveaux de la chaîne de valeur.
Au-delà de la décarbonation, nous devons aussi nous emparer des enjeux écologiques et environnementaux annexes : l’utilisation de l’eau, l’empreinte énergétique, les déchets… En effet, il ne s’agit pas de se concentrer uniquement sur la décarbonation qui est aujourd’hui au cœur de toutes les préoccupations, mais bien d’adopter une démarche globale afin de ne pas masquer involontairement des conséquences qui pourraient être préjudiciables à terme.
Enfin, il s’agit aussi d’arriver à conjuguer les enjeux économiques classiques de pilotage d’entreprise avec ces enjeux de transition, ainsi que les politiques réglementaires ou normatives qui en découlent.
Pour relever ce défi, le capital humain est clé. Qu’en est-il ?
Notre industrie évolue et peut offrir de très beaux parcours aux jeunes ingénieurs qui ont une appétence pour les sujets industriels et qui souhaitent, en outre, contribuer à la réussite des transitions en cours. Aujourd’hui, il y a un réel dynamisme dans notre industrie avec de nombreux nouveaux projets à accompagner au service de la décarbonation de l’industrie, comme le développement des installations de captage de carbone, la modification des fours, la formulation de nouveaux ciments…
Sur ces sujets et enjeux, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
La décarbonation et la transition écologique renvoient aussi à la question de la durabilité des ouvrages et de l’allongement de la durée de vie, notamment au travers du recyclage des bétons de déconstruction qui permettent, par exemple, de produire des granulats qui sont ensuite réutilisés pour fabriquer de nouveaux bétons.
Il est aussi important de souligner que, au niveau international, le ciment est, in fine, un des matériaux qui garantit les circuits les plus courts avec les meilleures distances entre le site de production et les chantiers où il est mis en œuvre. C’est aussi le principe de construction le plus accessible dans le monde entier. En ce sens, le ciment a vocation à rester un matériau d’avenir afin d’assurer les besoins en construction de la population à l’échelle mondiale.