Transport routier de marchandises : où en est la transition énergétique ?
Très souvent décrié, notamment d’un point de vue environnemental, le transport routier de marchandises (TRM) connaît pourtant une profonde mutation en la matière, et ce depuis de nombreuses années. C’est bien avec le TRM et non contre lui qu’il faut envisager la transition énergétique du secteur du transport de marchandises.
Le transport routier de marchandises (TRM) fait partie des premiers secteurs qui se sont emparés du sujet environnemental, il y a une vingtaine d’années. Un secteur précurseur, contrairement à l’image d’Épinal qui peut circuler sur la profession. Si du chemin reste à faire, les résultats sont déjà là. Les enjeux environnementaux sont au cœur des préoccupations des acteurs du transport. Ainsi, depuis, de nombreuses années, la baisse de l’empreinte carbone du secteur a également été le fruit d’une formation massive des conducteurs à l’écoconduite et de l’optimisation des flux logistiques.
Repères
Aujourd’hui, le TRM représente 89 % du fret en France, alors que les camions ne totalisent que 6 % des émissions de CO2 dans notre pays. Les évolutions techniques et normatives ont permis de réels changements, tant d’un point vue climatique avec la réduction des émissions de CO2 que du point de vue de la santé publique avec la diminution drastique des émissions de polluants atmosphériques.
En passant progressivement de la norme Euro 0 à la norme Euro VI, le secteur a permis de réduire de 97 % les émissions des oxydes d’azote (NOx), de 87 % les émissions de monoxyde de carbone (CO), de 94 % les émissions d’hydrocarbures. Il a également diminué de 97 % les émission de particules en suspension par rapport à la norme Euro I. La norme Euro VI représente aujourd’hui près de 80 % des parcs de tracteurs exploités en longue distance. En dix ans, la consommation de carburant a baissé de 9 %.
Une filière engagée, notamment à travers le programme EVE
De nombreux transporteurs sont aujourd’hui engagés dans le dispositif « Objectif CO2 » du programme EVE 2. Ce programme est proposé par le ministère de la Transition écologique et solidaire et l’Ademe en partenariat notamment avec les associations et organisations professionnelles représentatives des chargeurs, des grossistes et des transporteurs (marchandises et voyageurs). Le dispositif permet d’accompagner les entreprises pour agir durablement sur leur impact environnemental et valoriser leur performance énergétique. Il conjugue deux démarches complémentaires : d’une part une démarche de progrès qui s’appuie sur la charte d’engagements volontaires de réduction des émissions de GES ; d’autre part une démarche de performance à travers la labellisation, fondée sur le référentiel européen HBEFA.
« Accompagner les entreprises pour agir durablement sur leur impact environnemental et valoriser leur performance énergétique. »
La participation à ce programme permet aux transporteurs d’obtenir des bénéfices concrets. Bénéfice économique : face à des marchés très concurrentiels et des marges réduites, la diminution sensible de la consommation de carburant constitue un atout économique de tout premier ordre pour les transporteurs. Bénéfice commercial : Objectif CO2 apporte une réponse à la demande croissante des clients chargeurs, soucieux de réduire leur impact carbone ; le programme donne davantage de visibilité aux actions mises en place et constitue un atout remarqué de différenciation. Bénéfice pour l’environnement : à travers la réduction des émissions de GES et de polluants atmosphériques, le programme contribue à la lutte contre le changement climatique et à l’amélioration de la qualité de l’air. Certaines actions du programme contribuent également à la réduction des encombrements du trafic routier et des nuisances sonores.
Il convient par ailleurs de souligner que, depuis le 1er juin 2017, en application de l’article L. 1431–3 du code des transports, toute personne qui commercialise ou organise une prestation de transport de personnes, de marchandises ou de déménagement doit fournir au bénéficiaire de la prestation une information relative à la quantité de gaz à effet de serre émise par le ou les modes de transport utilisés pour réaliser cette prestation. Cette obligation a pour objectif de permettre aux clients d’orienter leur choix vers les transports les moins émetteurs. Et la demande aujourd’hui est forte, car elle répond aussi à une attente des citoyens.
Le programme EVE 2
Sur la période 2021–2023, le programme EVE 2 vise à sensibiliser, former et accompagner les acteurs professionnels du transport routier et de la logistique (transporteurs, commissionnaires et chargeurs) à l’amélioration de leur performance énergétique et environnementale. Le programme s’appuie sur trois dispositifs d’engagements volontaires : Objectif CO2 pour les transporteurs de marchandises et de voyageurs est coporté par l’Ademe, la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV), la Confédération
du commerce de gros et commerce international (CGI), l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), l’Union des entreprises de transport et logistique de France (TLF) et la société Eco CO2.
Fret21 pour les chargeurs est coporté par l’Ademe, l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) et la société Eco CO2. EVcom pour les commissionnaires est coporté par l’Ademe, la FNTR, l’OTRE, l’Union TLF et la société Eco CO2. Le programme s’appuie également sur la plateforme d’échange de données environnementales entre les acteurs du transport. Il assure la cohérence de ces différents dispositifs et établit des passerelles et des outils communs entre eux. Pour chaque composante, des objectifs chiffrés sont définis dans la convention du programme.
Le volume de certificats d’économies d’énergie délivré dans le cadre de ce programme n’excède pas 5,4 TWh cumac sur la période 2021–2023. Le principe général du programme est d’avoir une approche intégrée sur toute la chaîne de transport dans le but d’amener les entreprises vers une plus grande collaboration et interaction entre les transporteurs (offreurs de solutions de transport) et leurs donneurs d’ordre (chargeurs, commissionnaires et collectivités). Le programme EVE 1 a déjà permis l’économie de 829 000 t/an de CO2 eq (dont 399 000 t/an pour le seul TRM). Le dispositif Objectif CO2 du programme EVE 2 devrait permettre, à terme, d’économiser annuellement 1 600 000 tonnes de CO2 eq.
Une task force pour construire, ensemble, la visibilité pour le futur
La transition reste complexe et les transporteurs ont besoin de visibilité sur l’avenir. C’est pourquoi, fin 2020, le gouvernement a souhaité mettre en place une task force dédiée à la transition énergétique du secteur. Le lancement de cette dernière a été décidé par le ministre délégué en charge des Transports, lors du comité ministériel de développement et d’innovation des transports du 15 décembre 2020.
En vue de décarboner le transport routier d’ici 2050, la task force (dont les travaux sont encore en cours) a pour ambition de parvenir à des trajectoires partagées entre chargeurs, transporteurs, constructeurs de véhicules et énergéticiens, ainsi que pouvoirs publics, concernant le mix énergétique des ventes de véhicules lourds aux horizons 2025, 2030 et 2040. Il s’agit ainsi d’analyser les sources d’énergie envisageables (parmi diesel fossile, biocarburants, biogaz, hydrogène, électricité), en fonction des types de véhicules (véhicules utilitaires légers, porteurs de 7,5 à 26 t, tracteurs 44 t, autobus, autocars, véhicules spécialisés, etc.) et des segmentations d’usage (distribution urbaine et courte distance, transport régional, transport longue distance, transport de tourisme, lignes nationales, etc.).
La task force vise plus globalement à favoriser une vision commune sur les perspectives, orientations stratégiques, calendriers, contraintes et priorités de chacun des acteurs pour la poursuite de la transition écologique du transport routier.
“Le transport routier
de marchandises français présente
de très faibles marges.”
La question de la disponibilité de l’énergie, question centrale s’il en est, fait l’objet d’un des groupes de travail dédiés sur demande des transporteurs. Le groupe a pour objectif d’identifier de manière transversale les besoins, freins et leviers en termes : d’une part de disponibilité de carburants alternatifs pour les transports routiers, en concurrence avec d’autres usages ; d’autre part de déploiement des réseaux d’avitaillement et de recharge électrique.
La FNTR (Fédération nationale des transports routiers), aux côtés des autres organisations professionnelles, soutient l’idée d’un nécessaire mix énergétique adapté aux besoins et aux usages. Aucune énergie ne pourra répondre à elle seule à la demande du secteur, encore moins de l’ensemble du pays.
La task force doit donc permettre de donner les perspectives concernant la trajectoire de mix énergétique aux jalons 2025, 2030 et 2040 en prenant en compte les enjeux de véhicules, d’avitaillement, de recharge électrique et d’organisation des opérations. L’ensemble de ces travaux a vocation à être présenté et discuté en vue d’aboutir à une feuille de route partagée pour décarboner le transport routier.
Une trajectoire qui doit intégrer les inévitables surcoûts
Si le secteur transport s’est engagé, ce sont l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique qui doivent concrétiser cette évolution, des donneurs d’ordre au citoyen lui-même. Cette transition implique une hausse parfois très importante du coût du transport et chacun devra en prendre sa part. En effet, le transport routier de marchandises français présente de très faibles marges (généralement inférieures à 2 %) et un déficit de compétitivité réel en comparaison avec ses voisins européens.
Les entreprises doivent pouvoir partager l’effort colossal d’investissement que la transition énergétique représente. C’est également un engagement de l’État qui est attendu. D’une part en réduisant la pression fiscale sur les entreprises pour qu’elles puissent retrouver de la compétitivité et donc des marges et, d’autre part, en les accompagnant avec des plans d’investissement dédiés. Enfin, et contrairement également à certaines idées reçues, le développement du report modal (ferroviaire, fluvial, combiné) est attendu par les transporteurs routiers notamment en facilitant la cohérence des différentes infrastructures.
Le transport routier de marchandises est donc un formidable acteur de la transition énergétique, et non pas un mal nécessaire en attendant d’autres solutions. Car, même si la France double la part des autres modes de fret, le TRM restera de très loin majoritaire, à plus de 75 %. C’est donc bien avec les transporteurs et non contre eux que notre pays pourra relever ce défi.