Transposition de la directive européenne Insolvency : Un rééquilibrage entre les entreprises en difficulté et leurs créanciers
Laïd Estelle Laurent et Bertrand Biette, avocats associés spécialisés en retournement et redressement des entreprises en difficulté au sein du Cabinet Jeantet, reviennent sur les évolutions législatives apportées par la transposition de la directive européenne Insolvency dans le droit français. Ils nous en disent notamment plus sur la place plus importante accordée aux créanciers dans le cadre de l’élaboration et de la négociation des plans de redressement et de retournement. Rencontre.
Quel est le contexte autour de la directive européenne Insolvency ?
La transposition de cette directive dans le droit français a fait l’objet d’une réforme en octobre 2021. Au cours des dernières années, de nombreuses réformes ont fait évoluer le droit des entreprises en difficulté afin de pouvoir établir un meilleur équilibre entre les entreprises en difficultés, leur redressement ou sauvetage, et le droit des créanciers. La directive européenne et sa transposition dans le droit national tendent vers une reconnaissance plus accrue du droit des créanciers, et notamment des établissements financiers.
À cela s’ajoute aussi une réforme des droits des sûretés, qui s’inscrit dans la continuité de la réforme du droit des procédures collectives et qui est venue améliorer les garanties qui peuvent être prises par un créancier, notamment en clarifiant le sort de celles-ci en cas de procédure collective.
Dans le cadre de cette réforme, le législateur a entériné un certain nombre de mesures qui avaient été prises par voie d’ordonnances pendant la crise de la Covid. C’est notamment le cas de la procédure de traitement de sortie de crise, qui est un redressement judicaire très rapide qui permet de traiter principalement les difficultés liées à un endettement résultant d’une baisse de chiffre d’affaires pendant la crise, en 2020 et 2021. Cette procédure permet à l’entreprise d’éviter une procédure collective longue et complexe, mais aussi une publicité tout aussi longue et négative qui peut en découler. Elle permet également de proposer aux créanciers un remboursement des échéances sur dix ans, à l’instar d’un redressement classique. Elle est particulièrement avantageuse pour les entreprises en difficulté qui n’ont pas de problématique structurelle, mais uniquement le besoin de restructurer leur dette. Toutefois, cette procédure est réservée à une certaine taille d’entreprises.
En 2021, du fait des mesures gouvernementales de soutien à l’économie et aux entreprises, le marché du restructuring a connu un certain ralentissement. Mais, depuis la fin de l’année 2021 et, plus particulièrement depuis le début de l’année 2022, de plus en plus d’entreprises font face à des difficultés. La crise ukrainienne et la hausse du coût de l’énergie n’aidant pas, le dernier trimestre 2022 s’annonce compliqué pour les entreprises.
Qu’implique sa transposition pour les différentes parties prenantes du monde du restructuring ?
Insolvency a permis de faire une synthèse des cultures juridiques des pays anglo-saxons et latins, ces derniers étant principalement représentés par la France. Elle reprend ainsi des dispositifs et des mesures issus du droit français comme la prévention, le mandat ad hoc ou encore la conciliation, et élargit ainsi leur utilisation aux autres pays européens. De la même manière, elle reprend des pratiques anglo-saxonnes de gestion et de négociation que l’on va dorénavant retrouver dans le droit français.
Historiquement, le système juridique français donnait une priorité absolue à la pérennité de l’entreprise et de l’emploi. Le traitement des créanciers arrivait ensuite et était subordonné aux deux premières priorités. L’introduction de ces nouvelles règles vient bousculer très significativement le rapport de force entre l’entreprise et ses créanciers à partir d’un certain seuil. En effet, des règles particulières viennent révolutionner la gestion des relations entre l’entreprise et ses différents créanciers ainsi que l’élaboration du plan de redressement ou de retournement.
Concrètement, les créanciers sont répartis et regroupés en classe de créanciers en fonction des sûretés, mais aussi de l’intérêt stratégique qu’ils représentent pour l’activité de l’entreprise. En fonction de leur rang, leur intérêt va être pris en compte dans le cadre de l’élaboration du plan de redressement. Toutefois, tous les créanciers, y compris ceux de rang inférieur, peuvent bloquer l’adoption du plan dans le cadre d’une procédure préventive, dès lors que l’entreprise n’a pas été en capacité de démontrer que le plan proposé préserve de la meilleure manière possible leurs intérêts. Le risque pour l’entreprise est alors de basculer en procédure collective avec la mise en œuvre d’un plan de cession, voire en liquidation judiciaire.
Qu’est-ce que cela implique pour les créanciers ?
Il n’est dorénavant plus possible d’imposer un plan de continuation aux créanciers. Dorénavant, ils ont la possibilité d’avoir un rôle plus proactif et de participer à l’élaboration du plan. Cette réforme met à leur disposition des leviers nouveaux de négociation, y compris durant les phases amiables.
Quels sont les principaux enjeux et problématiques que cette transposition soulève dans le contexte actuel ?
Les mesures de soutien gouvernementales ont pris fin et les entreprises doivent commencer à rembourser leur dette publique et/ou leur PGE. De nombreuses entreprises, notamment celles qui ont déjà bénéficié d’un report d’échéances, ne pourront pas le faire sans renégociation préalable de leur dette. Avant d’entrer dans une procédure amiable ou collective, il est essentiel, voire vital, pour les dirigeants de bien prendre la mesure des changements apportées par la transposition de la directive européenne. Dans ce cadre législatif nouveau, les entreprises en difficulté et leurs conseils doivent tenter de trouver des accords pour restructurer l’endettement dans un cadre amiable de manière à préserver les intérêts de toutes les parties prenantes : entreprise, salariés et créanciers.
Lorsque la trésorerie de l’entreprise le permet, il est, en effet, préférable de trouver des solutions sans passer par une procédure collective et en privilégiant le mandat ad hoc ou encore la conciliation. D’ailleurs, ce rééquilibrage entre l’entreprise en difficulté et ses créanciers les incitent à rechercher d’abord un accord amiable avant de s’engager dans une procédure collective beaucoup plus contraignante.
Aujourd’hui, les entreprises en difficulté de taille importante doivent construire leurs projets de retournement à la lumière de ces évolutions. Elles doivent dorénavant entamer les discussions avec leurs créanciers dès la phase de conception du plan afin de réfléchir en amont à la constitution des classes de créanciers selon les intérêts et enjeux économiques, stratégiques et financier, mais également au regard du rôle et de l’importance du créancier pour leur activité.
Elles peuvent notamment prévoir des accords avec chaque créancier afin de les différencier, en gardant néanmoins à l’esprit que les créanciers qui bénéficient des mêmes sûretés doivent être traités de la même manière.
C’est, par ailleurs, une démarche qui doit être adoptée afin d’élaborer des plans plus pertinents, mais aussi garantir le vote favorable de la majorité de leurs créanciers.
Plus que jamais, la phase de négociation avec les créanciers est devenue un des facteurs clés du succès d’un plan de restructuration.
Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs en ce sens ?
Si cette réforme apporte de nouvelles difficultés, elle est également porteuse d’opportunités. Pour les dirigeants d’entreprises en difficulté, c’est la possibilité de construire une stratégie de retournement et de redressement plus fine et plus réfléchie sur le plan industriel, commercial et organisationnel. Au-delà de leur conseil juridique et financier, ils peuvent maintenant impliquer leurs créanciers dès les premières phases afin de trouver un accord amiable qui préserve les intérêts de chacun.