Trois aspects de la protection juridique des logiciels
REPÈRES
Les logiciels peuvent constituer une part très importante du patrimoine intellectuel d’une entreprise. Si c’est une évidence dans l’industrie des TIC, cela s’applique aussi aux autres secteurs de l’économie, où l’utilisation de logiciels est présente dans tous les processus internes de l’entreprise, notamment la conception et la fabrication. Les logiciels peuvent ainsi concentrer une partie importante du savoir-faire de l’entreprise.
Droit d’auteur
Tout logiciel bénéficie à sa création du droit d’auteur. Cette protection est gratuite, longue (typiquement soixante-dix ans) et mondiale. Le logiciel est, en fait, essentiellement assimilé à une œuvre littéraire, même s’il fait l’objet de quelques articles de loi spécifiques dans le code de la propriété intellectuelle.
Le droit d’auteur est peu adapté au monde du logiciel
L’auteur, et donc le propriétaire initial du logiciel, est celui qui écrit concrètement les lignes de code – comme l’auteur d’un roman. La contribution d’autres personnes physiques ou morales à ces spécifications et à l’algorithme ou à toute autre activité en amont de l’écriture proprement dite du code source n’est pas prise en compte. Ainsi, le propriétaire initial du logiciel n’est pas celui qui a spécifié le logiciel, même si cette spécification était détaillée, et le travail de codage une simple activité de transcription en langage informatique avec une valeur ajoutée faible.
Le droit d’auteur, qui a été développé pour protéger les créations littéraires, est ainsi peu adapté au monde du logiciel, et les lois spécifiques au logiciel sont insuffisantes à cet égard. Certes la loi a prévu un transfert automatique des droits patrimoniaux de l’employé à l’employeur quand l’employé a développé le logiciel dans le cadre de son travail. L’exception est cependant strictement limitée à une relation entre employé et employeur. En particulier elle ne s’applique donc pas à la sous-traitance à une SSII, aux dirigeants non salariés d’une entreprise, aux associés… et aux stagiaires, qui sont donc propriétaires à titre personnel des logiciels dont ils ont écrit le code. Un contrat correctement rédigé transférant les droits patrimoniaux du logiciel de l’auteur vers l’entreprise concernée – on parle de cession des droits – est donc toujours indispensable.
Les dispositifs contractuels
Cession
La cession du logiciel devrait être limitée au cas où l’essentiel du savoir-faire capturé dans le code développé provient du client. Celui-ci a, dans ce cas, fortement contribué aux spécifications fonctionnelles détaillées quand il ne les a pas écrites lui-même. Le logiciel cédé est sauf exception entièrement nouveau.
En l’absence de référentiel législatif suffisant, la nécessité du recours systématique à des clauses contractuelles peut conduire à des négociations longues et complexes entre le fournisseur et son client, où le rapport de force peut primer sur l’équité. La concession devrait être le régime adopté dès que le code développé contient du savoir-faire du fournisseur au-delà de ses capacités de codage. Ce savoir-faire se manifeste notamment dans l’algorithme, les spécifications fonctionnelles détaillées, et souvent dans la réutilisation de codes existants. Ce cas concerne en particulier les sociétés où la production de logiciel n’est pas la principale activité, ou les développements où le logiciel n’est pas l’objet principal du contrat. L’étendue des droits concédés doit alors être définie pour couvrir les besoins du client tout en permettant au fournisseur de préserver son savoir-faire. En particulier, l’accès au code source est un point de négociation délicat.
Le recours au brevet
Si le droit d’auteur assure une bonne protection de la forme du logiciel, il n’en protège pas du tout les fonctionnalités, qui peuvent être reproduites moyennant un nouveau codage sans violer le droit d’auteur.
La guerre des brevets autour des smartphones et tablettes
Certaines fonctions d’Androïd semblent violer des brevets d’Apple, et de nombreux procès viennent ainsi de s’engager depuis quelques mois entre Apple et ses concurrents utilisant Androïd. Certains petits développeurs d’applications sont également poursuivis par des patent trolls.
Si l’on souhaite protéger l’aspect fonctionnel, un brevet du logiciel est à envisager. Certes les logiciels « en tant que tels » sont explicitement exclus de la brevetabilité en droit européen et français. Mais le droit en général et la PI en particulier sont pleins de subtilités, et en pratique il est tout à fait possible de breveter des logiciels en Europe, à condition que cela ne soit pas en tant que tel. Les revendications de « produit-programme d’ordinateur » sont ainsi acceptées par l’OEB dans certaines conditions. Les possibilités de breveter un logiciel sont cependant plus réduites qu’aux États-Unis.
Il y a actuellement de nombreux logiciels brevetés en Europe, et certains sont utilisés dans la vie de tous les jours, par exemple dans les normes JPEG, MPEG. Apple utilise également de nombreux brevets pour protéger ses produits.
Des risques liés aux logiciels libres
À l’opposé des problématiques précédentes, les logiciels libres ont connu un développement important. Un exemple célèbre est le logiciel d’exploitation Androïd, développé par Google pour les tablettes et smartphones. De nombreux autres logiciels libres, moins connus, sont utilisés dans les entreprises par décision stratégique ou à l’initiative de développeurs individuels. Malgré tout leur intérêt en termes de coût, de qualité et de transparence, il convient d’être bien conscient de leurs inconvénients potentiels.
Ainsi, si une fonction d’un logiciel libre est protégée par un brevet, l’utilisateur se retrouve contrefacteur.
En outre, l’utilisation d’un logiciel libre impose cependant le respect de la licence avec laquelle il est distribué. Dans le cas de licences libres dites à copyleft fort, l’ensemble du code, y compris la partie propriétaire, doit être diffusé sous la même licence et donc devenir un logiciel libre : c’est, le plus souvent, inacceptable. Dans ce cas, il sera nécessaire de redévelopper le code, avec des impacts coûts et plannings, sauf à accepter de prendre le risque de mettre l’entreprise dans l’illégalité : la jurisprudence montre que les licences libres sont solides du point de vue légal, et l’entreprise pourrait être forcée par un tribunal à se conformer à la licence ou à renoncer à diffuser son logiciel.
Il est tout à fait possible de breveter des logiciels en Europe
Des dispositifs efficaces mais délicats
En résumé, tout logiciel est ipso facto protégé par le droit d’auteur. Moyennant des dispositifs contractuels adaptés, qui peuvent être difficiles à négocier, le droit d’auteur assure une bonne protection juridique du code développé contre la copie. Si le code comprend des fonctionnalités nouvelles et inventives, un brevet doit être envisagé, ce qui en assurera la protection indépendamment du code développé. Les logiciels libres, sauf si leurs fonctionnalités sont brevetées, représentent pour l’entreprise des opportunités d’accès à moindre coût à un code de bonne qualité. Néanmoins, leur incorporation dans le logiciel propriétaire d’une entreprise peut, en cas de diffusion hors de l’entreprise, en compromettre la protection juridique.
4 Commentaires
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Enfin un exposé clair sur le sujet
Merci pour cet article plutôt complet tout en restant assez court et surtout extrêmement clair !
Reste à savoir quels arguments peuvent être avancés pour justifier de la brevetabilité d’un logiciel, en Europe. Quelqu’un aurait-il des ressources à ce sujet ?
brevetabilité d’un logiciel
Merci pour le compliment.
Il me semble tout à fait justifié de breveter un logiciel quand l’effet a un caractère très technique (par exemple une commande d’asservissement).… et bien sur s’il est nouveau et inventif au sens du droit des brevets.
Dans d’autres cas c’est nettement moins clair.
Est-ce que la limite pratique définie par la jurisprudence de l’OEB est correcte, trop lâche, trop rigide ? .…Je n’ai pas d’avis.
Emmanuel Ajdari
Parle-t-on bien de logiciels libres ?
Je m’étonne, vu votre bio, que vous puissiez affirmer de telles choses à propos du logiciel libre.
D’abord, la licence de brevet et non seulement prévue par le texte de la plupart des licences de logiciel libre mais elle est « nécessaire » à leur fonctionnement et les personnes qui développent ce genre de logiciels recherchent cette transférabilité de connaissance. L’idée même d’un « utilisateur de logiciel libre contrefacteur » est une erreur juridique dans la mesure ou l’usage privé (même dans le cadre privé de l’entreprise) est illimité.
Ensuite, dans un logiciel libre, il n’y a pas (par définition) de « part de code propriétaire ». De plus, il existe des licences libres qui autorisent de “propriétariser” leur code et leur modification (type BSD).
Enfin, je rappelle qu’une licence est pour partie un contrat, et qu’il n’y a rien d” »inacceptable » à imposer à une entreprise de respecter la licence du logiciel qu’elle utilise, notamment en ce qui concerne le copyleft.
Si je peux me permettre, pour un « responsable propriété intellectuelle » ça marque mal…
Je serai ravi de pouvoir discuter avec vous afin de mieux comprendre votre point de vue.
Bien cordialement.
Mais oui je parle bien de logiciels libres !
e prends connaissance aujourd’hui de votre commentaire.
« Je m’étonne, vu votre bio, que vous puissiez affirmer de telles choses à propos du logiciel libre »
Je n’ai pas tout compris dans vos affirmations et vos questions ; il me semble que vous mélangez beaucoup de choses ce qui explique peut-être votre étonnement. Quelques éléments de réponse à ce que j’ai compris de votre commentaire.
« L’idée même d’un « utilisateur de logiciel libre contrefacteur » est une erreur juridique.… »
Samsung utilisateur d’Android logiciel libre vient d’être reconnu coupable aux USA de contrefaçon d’un brevet Apple ! ce n’est donc pas une erreur juridique.
Je vous invite aussi à lire l’article de Lair et Agosti dans cette revue et surtout la conclusion : … le logiciel libre pourrait s’imposer de fait. À moins que le brevet logiciel, tant contesté, n’arrive à le museler.
« ll n’y a rien d” »inacceptable » à imposer à une entreprise de respecter la licence du logiciel notamment le copyleft » .
Vous avez tout à fait raison.…je n’ai pas écrit le contraire !