Trois axes de lutte contre le cancer : prévention, dépistage, optimisation de l’organisation des soins
Le cancer est un fléau qui touche à tout âge avec 260 000 nouveaux cas et environ 150 000 décès par an en France. Son coût est considérable : humain d’abord, mais aussi thérapeutique et économique. En effet, entre 35 et 75 ans, il est la première cause de mortalité.
Le Président de la République en a fait une priorité nationale et un vaste programme, le » Plan cancer » est mis en place.
Tous les aspects de la lutte contre le cancer ne peuvent être abordés. La recherche, l’enseignement, les soins, la prise en charge sociale ont chacun une part importante, avec des transferts de l’un vers l’autre. Plutôt que de les décliner, trois grands chapitres de la lutte contre le cancer paraissent être des priorités car leur impact est vraisemblable rapidement. Il s’agit de la prévention, du dépistage et de l’organisation en réseaux autrement dit de l’optimisation de la prise en charge des patients une fois le diagnostic fait.
Une évolution contrastée
Le suivi de la population depuis les années cinquante montre la progression des cancers dans notre pays. Cette évolution est différente selon les sexes. Chez l’homme la mortalité est passée de 200⁄100 000 à 300⁄100 000 en 1990 pour redescendre à 260 environ au milieu des années quatre-vingt-dix. Chez la femme le taux de mortalité est passé de 150⁄100 000 à 130 environ dans le même intervalle. Cette évolution globale ne doit pas cacher l’évolution spécifique selon les localisations tumorales. Ainsi chez l’homme, le cancer du poumon n’a cessé de progresser jusque dans les années quatre-vingt-dix pour ensuite stagner. Par contre chez la femme il a continué à progresser pour devenir la troisième cause de mortalité. Il représente 28 000 cas environ dont la majorité trouve son origine dans la consommation de tabac.
Pour d’autres l’évolution est différente. Ainsi chez l’homme la mortalité par cancer de l’ensemble bouche-pharynx-larynx-œsophage est partie d’un taux de 35 environ pour atteindre un pic à 60 au milieu des années soixante-dix et redescendre à 35 à la fin des années quatre-vingt-dix. De même le cancer de l’estomac n’a cesser de décroître depuis les années cinquante. Chez la femme la mortalité par cancer de l’utérus et de l’estomac a considérablement diminué. Par contre celle par cancer du sein s’est accrue, passant de 20⁄100 000 à 30⁄100 000 environ mais ce chiffre tend à se stabiliser. Cette évolution contrastée n’est pas propre à la France. Il n’est pas inutile de mentionner l’évolution du cancer du poumon très différente selon que l’on s’adresse à des pays où une lutte contre le tabagisme est menée et les autres.
Le mélanome, bien que peu fréquent en France, au 9e rang chez la femme et au 13e chez l’homme, atteint environ 7 200 personnes par an. Son incidence augmente d’environ 5 % par an.
Ces quelques chiffres peuvent être l’origine d’une réflexion à plusieurs dimensions car d’une part des facteurs environnementaux ont un rôle dans la genèse de certains cancers et d’autre part il est possible qu’une intervention humaine puisse modifier le développement de certains d’entre eux.
Des éléments d’action
Le mélanome est notoirement lié à l’exposition solaire. Son impact est d’autant plus important que les populations ont un phénotype clair comme dans les pays du nord de l’Europe. La manière dont l’exposition a lieu et l’âge de début ont une influence importante. Ainsi les expositions intermittentes, brutales, traumatisantes dès l’enfance sont particulièrement à risque. Depuis longtemps les UVB ont été incriminés mais de nombreux arguments plaident aussi contre les UVA utilisés dans les cabines de bronzage.
La consommation de tabac, ancienne, s’est accentuée avec l’usage de la cigarette. Il a fallu de nombreuses années pour démontrer sur le plan épidémiologique le parallélisme entre la consommation de tabac et l’incidence du cancer du poumon. En effet plusieurs facteurs sont en cause : l’âge de début, le nombre de cigarette fumées par jour, la durée de l’exposition au risque. Par ailleurs le temps de latence peut atteindre une dizaine d’années. De nombreux carcinogènes sont présents dans la fumée du tabac et leur rôle démontré in vitro ou sur des modèles animaux.
Dans l’industrie de nombreux agents sont utilisés dont le rôle dans le développement des cancers est reconnu. Dans certaines situations il s’agit de pathologie professionnelle. L’exemple le plus connu est l’amiante qui a été très largement utilisée avant que l’on ait montré qu’elle pouvait provoquer des cancers du poumon. L’utilisation d’une certaine essence de bois dans la menuiserie est responsable du développement d’une tumeur très particulière de l’ethmoïde au niveau de la face.
Ces quelques exemples montrent que le cancer n’est pas une fatalité et qu’il est possible de modifier son développement. La prévention met en œuvre toutes les actions qui agissent avant que les carcinogènes n’aient agi sur la cellule en supprimant ou en minimisant les sources d’exposition. Après l’identification par des études épidémiologiques ou en laboratoires de facteurs de risque, une réflexion politique et de santé publique doit être menée pour définir les axes et identifier les leviers d’action. L’Europe a proposé un code simple avec sept actions individuelles qui peut améliorer la santé et éviter le développement de certains cancers. Citons-les brièvement : ne pas fumer, éviter l’obésité, avoir une activité physique quotidienne, limiter la consommation d’alcool, éviter les expositions solaires excessives, prévenir l’exposition aux substances cancérigènes connues.
La prévention : une place primordiale dans la lutte contre les cancers, éviter les cancers évitables
Plutôt que d’agir une fois que le cancer s’est développé, il a été proposé d’agir en amont et de mettre en place une politique de prévention primaire. L’éducation et l’exclusion de facteurs de risque en sont les deux fers de lance.
Pour les cancers cutanés, et en particulier le mélanome, plusieurs études internationales ont décrit les facteurs de risque. Aux États-Unis, on évalue à environ 30 % le nombre d’adultes qui rapportent avoir eu dans l’année des brûlures liées à l’exposition solaire. Chez les adolescents de 11 à 18 ans : 72 % d’entre eux ont présenté au moins une brûlure liée au soleil et 40 % environ des enfants âgés de moins de 11 ans ont présenté le même type d’accident. À l’opposé, l’étude de ces populations vis-à-vis de la protection solaire montre que seulement un tiers des adultes utilisent des crèmes solaires ou portent des vêtements protecteurs. Chez les adolescents, il en est de même. Seulement, 20 % environ recherchent l’ombre ou portent des vêtements protecteurs. Chez les enfants de 1 an, l’utilisation de la crème protectrice est retrouvée chez 62 % d’entre eux, 26 % recherchant de l’ombre. Cependant, l’utilisation de crèmes solaires à titre de protection doit être discutée car il n’y a pas actuellement de preuve que leur utilisation influence directement le risque de cancers cutanés mais, à l’opposé, peut induire des comportements » à risque « , car elles sont généralement sous-utilisées.
La prévention doit donc être basée sur l’éducation, d’autant plus efficace qu’elle est précoce. Les recommandations du » Code européen de lutte contre le cancer » sont d’éviter les expositions excessives au soleil, particulièrement chez l’enfant et les adolescents. Le fait que la stratégie de dépistage précoce soit en échec devant des mélanomes à croissance très rapide est un élément de plus pour justifier la nécessité de campagne de prévention en contradiction avec le souhait de chacun de présenter » un bronzage parfait « . Les effets de cette stratégie ne seront visibles qu’à long terme.
Ces campagnes s’opposent aux comportements communs qui, d’une part, tergiversent entre les bénéfices immédiats, comme celui d’être bronzé, valorisé par notre société, et celui d’un danger à long terme incertain, difficile à préciser individuellement. Elles s’appuient sur tous les acteurs pertinents dans les domaines médicaux mais aussi de l’éducation, utilisent les relais des médias, et s’adressent en priorité aux personnes les plus jeunes dont les comportements ne sont pas fixés, et peuvent être infléchis. Cette prévention doit aussi prendre en compte l’utilisation des UVA, considérés jusqu’à présent comme moins dangereux que les UVB.
Le cancer du poumon a une évolution dissociée selon les pays, les sexes et les âges. Celle-ci se comprend si l’on prend en compte les comportements vis-à-vis du tabagisme et les politiques de santé qui ont été conduites depuis plusieurs décennies. Aux États-Unis l’incidence chez l’homme de ce cancer a diminué depuis une dizaine d’années environ, du fait de la politique agressive menée vis-à-vis du tabagisme. En Europe une évolution contrastée est retrouvée. Pour les hommes une diminution du cancer du poumon est notée dans la plupart des pays, au moins chez les jeunes, alors que chez les sujets âgés un plateau est atteint voire un léger déclin. En Grande-Bretagne cette diminution existe depuis plusieurs décennies dans toutes les tranches d’âge alors qu’en France ou en Espagne la réduction est moins nette.
Chez les femmes il y a une claire augmentation du taux chez les jeunes et les femmes âgées de plus de 65 ans à l’exception de la Grande-Bretagne et de l’Irlande où le taux de décès par cancer du poumon diminue chez les premières et atteint un plateau chez les secondes. Cette évolution est à mettre en perspective des modifications de la consommation de tabac. Plusieurs axes ont été mis en œuvre pour atteindre ce but, l’éducation ainsi que la modification de la législation d’une part mais aussi des contraintes économiques dont l’augmentation du prix du tabac d’autre part. Il a été montré en effet que cette augmentation, si elle atteignait un certain seuil, entraînait une limitation de la consommation.
Les facteurs de risque quant au comportement vis-à-vis du tabagisme ont été résumés plus haut, et la meilleure prévention du cancer du poumon est l’arrêt du tabagisme mais aussi, et surtout, d’éviter de devenir fumeur. Le rôle de l’éducation et de l’exemple à cet égard est important à souligner. Rappelons que la législation actuelle limite la liberté de fumer en différents lieux, tels que les lieux publics, les établissements de soins mais aussi les écoles, qu’il s’agisse de lieux couverts ou non couverts.
La prévention repose donc sur l’éducation et l’exemple, l’apprentissage des effets toxiques et la remise en cause des bénéfices éventuels du tabac, la mise en œuvre de règles et le respect de celles-ci. Il est important, alors que les personnalités ne sont pas encore définitivement fixées et malléables, que les adultes responsables de l’éducation respectent les règles, en ne fumant pas dans les lieux interdits et en informant des risques.
Dans le milieu professionnel et industriel, un certain nombre de cancers professionnels a été décrit, liés à la mise en contact avec des agents cancérogènes.
Il n’est pas inutile de rappeler l’exemple de l’amiante dont l’utilisation a été interdite et qui doit être éliminée de tous les lieux. Dans les laboratoires, certains agents, tels que le benzène ou la benzidine sont interdits, et sont remplacés par des substituts ou d’autres techniques.
Dépistage : diagnostiquer des tumeurs guérissables
Le dépistage du cancer ou prévention secondaire a pour objectif la détection d’un cancer à un stade précoce, c’est-à-dire qui permet d’espérer une plus grande efficacité des traitements et donc, a priori, une survie plus longue. Il s’agit de proposer à des personnes en apparence bien portantes un test diagnostique afin d’identifier une maladie à un stade asymptomatique. Si des bénéfices sont à attendre d’une telle politique, par contre, on ne peut éviter un certain nombre d’effets indésirables sur la population, à qui est proposée cette stratégie. Avant de décider d’une politique de dépistage, il y a donc lieu d’évaluer mais aussi de présenter les bénéfices ainsi que les risques potentiels, afin que chacun puisse individuellement décider de sa participation active aux campagnes de dépistage.
Sur le plan des principes généraux, un dépistage doit être effectué dans le cadre d’un programme organisé permettant d’avoir un degré d’assurance de qualité important à tous les niveaux, une bonne information, une évaluation rigoureuse et une optimisation des moyens mis à disposition. Les bénéfices ne peuvent être atteints que si la couverture de la population est suffisante, ce qui ne peut être obtenu par un dépistage individuel ou spontané.
Ce dépistage s’adresse à des populations cibles pour lesquelles la maladie représente un problème important de santé publique, ayant un stade latent reconnaissable, et un traitement efficace. De même, le test utilisé doit être performant et acceptable. Il doit, en outre, être analysé en intégrant les facteurs économiques. Ces critères ont été proposés par l’OMS.
Il y a lieu de prendre en considération les effets délétères, en particulier sur le plan psychologique, un dépistage pouvant induire un état d’anxiété inutile en raison de faux diagnostics positifs ou négatifs. De plus il n’écarte pas la possibilité de la survenue d’un cancer entre deux examens programmés. Actuellement, le dépistage des cancers est recommandé dans le programme européen de lutte contre le cancer pour trois tumeurs : le cancer du sein, le cancer du col de l’utérus et le cancer colorectal.
Plutôt que d’exposer ces trois situations, il apparaît opportun de se centrer sur le dépistage du cancer du sein qui donne lieu actuellement à une campagne nationale, sous l’égide du ministère de la Santé.
Son intérêt a été démontré par plusieurs essais contrôlés, réalisés dans différents pays. Les auteurs ont montré une diminution de 30 % de la mortalité par cancer du sein chez les femmes de 50 à 69 ans. Il semble, en outre, que cette traduction sur la mortalité puisse bénéficier aux femmes de 40 à 49 ans. La mammographie est la méthode diagnostique de référence ce qui implique des problèmes d’organisation. En effet, il est fondamental qu’elle soit réalisée dans des conditions reproductibles et définies. Des règles ont été éditées par les sociétés savantes :
- lecture organisée avec si besoin confirmation par un ou deux observateurs indépendants,
- résultats remis aux personnes avec une explication médicale afin de les orienter si besoin est, vers les structures de soins appropriées,
- formation des radiologues et niveau d’activité suffisant,
- appareils contrôlés sur le plan de la radioprotection.
La mise en œuvre de ces programmes en France a été progressive. En effet, dès 1989, le Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaire a mis en place six programmes départementaux expérimentaux puis quatre autres en 1991, et en 1994, le ministre de la Santé a décidé de l’étendre. Un cahier des charges précis a été élaboré et deux programmes ont fait partie comme projet pilote du programme » Europe contre le Cancer « . La stratégie diagnostique et l’arbre décisionnel ont été établis, en cas de positivité ou de négativité. En 1996, les programmes ont été évalués. Les taux de participation variaient selon les départements de 21 à 46 %. Parallèlement le taux de dépistage s’est progressivement amélioré et le pourcentage de cancers invasifs de petite taille diagnostiqués a augmenté. En 1999, des recommandations ont été établies par l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) : un nouveau cahier des charges a été publié au Journal Officiel en 2001, définissant les niveaux d’organisation, la population cible ainsi que les modalités et impose un débit minimum annuel de mammographies par radiologue, ainsi que le contrôle du matériel radiologique afin de limiter l’irradiation. Ce dépistage s’adresse aux femmes de 50 à 74 ans. Le taux de participation est variable suivant les départements, et atteint environ 40 % de la population cible. Environ 10 000 cancers ont été détectés, dont les 2⁄3 au cours de la première mammographie. Dans 14 % des cas il s’agissait de tumeurs non invasives, et dans 70 % des cas le cancer était invasif mais n’était pas associé à un envahissement ganglionnaire c’est-à-dire majoritairement de pronostics favorables. Ce programme a permis la généralisation du dépistage sur tout le territoire français depuis le premier trimestre 2004.
Soulignons cet exemple de collaboration réussie entre l’État, les caisses d’assurance maladie et les professionnels de santé. Les résultats devront être analysés afin d’optimiser l’organisation des soins en cancérologie.
Une organisation de soins en réseau pour un accès équitable aux meilleurs soins
Dans le Plan cancer, l’organisation des soins autour des patients est l’objet de nombreuses propositions de mesures afin de rendre le système transparent, d’améliorer la coordination des structures de soins, de donner un accès équitable à chacun à l’information, aux innovations thérapeutiques et à une prise en charge globale et personnalisée. Cette organisation doit permettre à chacun de participer à des essais thérapeutiques cliniques, seule manière d’évaluer et de faire évoluer rapidement les modalités de prise en charge. En effet la qualité du résultat thérapeutique obtenu en cancérologie dépend, en partie, de la qualité des soins mais aussi de l’organisation de ces derniers.
De nombreux textes ont déjà été élaborés par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité afin de préciser l’organisation des soins en cancérologie avec, en particulier, la promotion de la pluridisciplinarité impliquant la participation des différents acteurs selon leurs compétences, à la décision thérapeutique et à l’optimisation de la séquence proposée.
Cette organisation reposait, jusqu’à présent, sur la reconnaissance de sites orientés vers la prise en charge de patients porteurs de cancers ou de sites de référence ainsi que d’établissements de proximité. Les critères d’identification reposent sur la présence de praticiens ayant une compétence en cancérologie, de plateaux techniques et de moyens adaptés et sur une activité de soins mais aussi d’enseignement et de recherche.
L’organisation de ces réseaux a été précisée dans une circulaire de 1999, une réflexion plus aboutie est en cours au ministère de la Santé.
Le Plan cancer a amplifié cette politique afin que la totalité des nouveaux patients atteints de cancers puisse bénéficier d’une concertation pluridisciplinaire, que son parcours thérapeutique prévisionnel lui soit présenté sous la forme d’un programme personnalisé au cours d’une consultation d’annonce.
Les établissements devront mettre en place des Centres de coordination en cancérologie (3C) et tous les patients devront bénéficier très prochainement d’un dossier commun communiquant au sein de chaque réseau de cancérologie.
Cette organisation ne pourra être fonctionnelle sans que l’ensemble des intervenants, et en particulier les médecins généralistes, ne participent aux soins afin de garantir la qualité, des référentiels devront être élaborés. Cela implique la mise en œuvre d’outils nouveaux.
En conclusion
À côté de la recherche fondamentale, qui amène une meilleure connaissance des processus tumoraux indispensable à l’élaboration de nouvelles stratégies et de l’amélioration des résultats des traitements, il est important d’agir dès maintenant afin de ralentir le développement des cancers dans notre société. Des actions de santé publique, d’organisation, d’amélioration de la prise en charge globale peuvent permettre d’obtenir des résultats. Améliorer et développer la prévention, dépister les tumeurs à un stade précoce, proposer aux patients des soins de qualité optimale sont trois dimensions qui devraient avoir un impact rapidement mesurable.