Trois courriers de lecteurs

Dossier : ExpressionsMagazine N°526 Juin/Juillet 1997Par : Maurice LAURÉ (36), A. WARTELLE et M. WARTELLE (40), Pierre JAMET (53)

Comment j’ai piégé une pensée unique

Cela m’a pris dix ans, mais je suis par­ve­nu à pié­ger une pen­sée unique. Pour­tant ce type de confor­misme, que ren­force notre civi­li­sa­tion média­tique, est éva­nes­cent : sitôt qu’une pen­sée unique cède la place, sans lais­ser de bilan, une autre la remplace.

Dans mon cas, j’ai eu affaire au dogme, affir­mé en 1987, sous l’impulsion de la Com­mis­sion euro­péenne, selon lequel il suf­fi­sait, pour éta­blir le mar­ché unique, de sup­pri­mer les contrôles fis­caux aux fron­tières. Or je savais bien que des TVA euro­péennes, même har­mo­ni­sées, ne pour­raient pas se prê­ter à cet exer­cice. J’avais été l’initiateur de la TVA, en France, et j’avais diri­gé le contrôle fis­cal pen­dant sept ans.

Mon expé­rience me per­met­tait de pré­dire un déve­lop­pe­ment incoer­cible de la fraude. La TVA, en effet, ne peut pas se pas­ser de fron­tières, et la seule solu­tion, pour réa­li­ser le mar­ché unique, est d’avoir une TVA unique, per­çue au pro­fit d’un bud­get euro­péen. Il faut aus­si qu’elle soit assise et contrô­lée par une admi­nis­tra­tion unique.

Dès la fin de l’année 1987, j’ai entre­pris de lan­cer des aver­tis­se­ments, pour ten­ter d’influer sur la déci­sion que les gou­ver­ne­ments euro­péens devaient prendre à la suite des pro­po­si­tions de la Com­mis­sion. Aidé prin­ci­pa­le­ment par l’Institut du Com­merce et de la Consom­ma­tion, ain­si que par le Conseil natio­nal du Com­merce, j’ai mul­ti­plié la publi­ca­tion d’études, dont cer­taines ont été dif­fu­sées à des mil­liers d’exemplaires et tra­duites en anglais.

Le Gou­ver­ne­ment, les admi­nis­tra­tions cen­trales, les assem­blées, les groupes de réflexion des par­tis poli­tiques, les jour­na­listes éco­no­miques ont été abon­dam­ment ser­vis. J’ai don­né des dizaines d’articles à la presse quo­ti­dienne et à la presse éco­no­mique. J’ai par­ti­ci­pé à force col­loques, ain­si qu’à des com­mis­sions consul­ta­tives orga­ni­sées par la Com­mis­sion européenne…

Rien n’y a fait : je ne ren­con­trais pas d’objections, mais les choses sui­vaient leur cours comme si les pro­blèmes que je sou­le­vais n’avaient pas exis­té. Fina­le­ment, cou­rant 1990, le conseil ECOFIN des ministres des Finances adop­tait à l’unanimité (qui est de rigueur en matière fis­cale) une posi­tion com­mune sur les moda­li­tés de la sup­pres­sion des fron­tières intraeu­ro­péennes le 1er jan­vier 1993. M. Béré­go­voy, qui pré­si­dait, avait réuni ses col­lègues à Eden Roc. L’événement fut salué par un dîner chez Ver­gé, au “ Mou­lin de Mougins”.

Je ne vou­lais cepen­dant pas que mes objec­tions tombent dans l’oubli. Afin d’en lais­ser une trace dans les annales, j’ai pro­po­sé et obte­nu de pro­cé­der, le 10 juin 1991, à une com­mu­ni­ca­tion à l’Académie des sciences morales et poli­tiques sur le thème “ Le rap­pro­che­ment des TVA euro­péennes ”. Cette com­mu­ni­ca­tion a pris rang dans le numé­ro du troi­sième tri­mestre 1991 de la Revue des Sciences morales et politiques.

La mesure dont le prin­cipe avait été approu­vé en 1990 est entrée en appli­ca­tion le 1er jan­vier 1993. Simul­ta­né­ment, à par­tir de ce moment, les recettes des TVA euro­péennes ont flan­ché. D’après Euro­stat, orga­nisme sta­tis­tique de la Com­mu­nau­té euro­péenne, les 15 pays membres auraient, en 1996, au vu des décla­ra­tions de TVA, expor­té les uns chez les autres 350 mil­liards de francs de plus qu’ils n’en auraient impor­té. Telle est la dimen­sion des opé­ra­tions frau­du­leuses : si la France en a sa quote-part, cela met en cause la réa­li­té d’une frac­tion impor­tante de l’amélioration de notre balance com­mer­ciale au cours des années récentes.

Faut-il conti­nuer à se lais­ser fas­ci­ner par des pen­sées uniques ?

Maurice LAURÉ (36)

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La localisation d’Alésia

Il faut d’abord féli­ci­ter K. Ros­sillon d’avoir émis quelques argu­ments contre la loca­li­sa­tion d’Alésia à Chaux-des-Cro­te­nay, pré­sen­tée dans le numé­ro 520 de La Jaune et la Rouge de décembre 1996, et cor­ré­la­ti­ve­ment d’avoir défen­du la loca­li­sa­tion tra­di­tion­nelle à Alise-Sainte-Reine. Ce n’est pas très fré­quent. Mais voyons quels sont les argu­ments principaux.

La toponymie

Croire que “la conti­nui­té de noms (de lieux) obéit à des règles simples et éta­blies” c’est sous-esti­mer la com­plexi­té de cette science, et faire peu de cas de la liste des lieux cités dans les Com­men­taires et dont la forme est bien éta­blie (les trois Novio­du­num par exemple) mais dont l’identification est discutée.

Quant à l’inscription dite de Mar­tia­lis, on y lit in Ali­siia (et non in Alii­sia !) et donc, en gau­lois, se pro­nonce “ in Ali­sia ” ou même “ in Ali­sea ”, c’est-à-dire “ à Alise ”.

Citons enfin un Ali­sien convain­cu, M. Le Gall (aujourd’hui décé­dé) qui, dans la Revue his­to­rique des Armées (1987, n° 2), écrivait :

“ Si la thèse du mont Auxois ne pou­vait s’appuyer que sur la topo­ny­mie, elle pré­sen­te­rait une sérieuse fai­blesse… Il serait même pos­sible que la véri­table Alé­sia de César eût per­du son nom et se dis­si­mu­lât aujourd’hui sous un autre, sans rap­port avec lui. ”

La philologie

Pas d’objection à sup­pri­mer le membre de phrase : “ peut-être (César) répu­gnait-il à avouer clai­re­ment… ” Mais il serait sans doute peu conve­nable de sup­pri­mer uni­que­ment le “ peut-être ”. Quant au por­trait-robot, il n’est pas “ encom­bré d’hypothèses tac­tiques ou stra­té­giques ” puisque dans leur très grande majo­ri­té elles n’interviennent pas et que, en tout cas, il s’agit du texte de César.

Mais l’argument prin­ci­pal tient en une phrase : “ César n’a pas décrit Alé­sia (au contraire de Ger­go­vie) comme un site mon­ta­gneux. ” Cela pro­vient cer­tai­ne­ment de ce que :

  • Alé­sia est in colle sum­mo, admo­dum edi­to loco que l’on tra­duit “ au som­met d’une col­line, lieu tout à fait élevé ”,
  • et Ger­go­vie posi­ta in altis­si­mo monte, “ pla­cée sur une mon­tagne très élevée ”,
    d’où l’on déduit : Alé­sia en pays de col­lines, Ger­go­vie en pays de montagnes.


Cepen­dant César peut uti­li­ser, pour la même “hau­teur”, suc­ces­si­ve­ment les deux mots. Deux exemples, entre autres, B.G. I, 24, César ras­semble ses troupes sur une “ col­line ”… de sorte que toute la “ mon­tagne ” était occu­pée… B.G. VII, 36, 2, à Ger­go­vie : à mihau­teur de cette “ col­line ”, un mur…

L’observation et la fouille

Nous avons été éton­nés de voir résu­mées en deux expres­sions (“ quelques objets gau­lois ”, “ les struc­tures non fouillées inter­pré­tées comme monu­ments reli­gieux ”) deux colonnes de la revue consa­crées à l’archéologie de Chaux-des Crotenay.

Sur­prise encore que la liste pro­po­sée pour Alise-Sainte-Reine :

  • les “ nom­breuses armes romaines ” (pas de gau­loises ?), qui sont très rigou­reu­se­ment enfer­mées dans les réserves du Musée de Saint-Germain,
  • “ les mon­naies de Ver­cin­gé­to­rix (et les cen­taines d’autres ?) : jamais on n’a trou­vé sur un champ de bataille une telle quan­ti­té de mon­naies” (doc­teur Col­bert de Beau­lieu, spé­cia­liste de la numis­ma­tique de l’époque),
  • mais sur­tout, “ les monu­ments antiques déga­gés ”… ils sont gal­lo­ro­mains ! Et peut-on vrai­ment faire une com­pa­rai­son entre ces deux agré­gats, lacu­naires d’ailleurs ? On se croi­rait dans le cadre d’une autre dis­ci­pline que l’archéologie !

À propos de la fouille

À Chaux-des-Cro­te­nay, les auto­ri­sa­tions ont été très sou­vent refu­sées ou trans­for­mées en auto­ri­sa­tions de son­dages (sur quelques mètres car­rés) ; l’État n’a four­ni aucun subside.

À Alise-Sainte-Reine, depuis 1991, deux mois par an ont lieu des fouilles riche­ment dotées :

  • le rap­port de fouilles de 1992 a fait l’objet d’une pré­sen­ta­tion en séance de l’Académie des ins­crip­tions et belles-lettres,
  • à la même époque une décla­ra­tion du Direc­teur des fouilles à une revue (His­to­ria n° 561, sep­tembre 1993) dont on peut rete­nir ceci : “ il y a dis­tor­sion entre le ter­rain et le texte ” (de César),
  • depuis, à notre connais­sance, aucune publi­ca­tion significative.

A. WARTELLE et M. WARTELLE (40)

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La bicyclette, c’est sérieux

C’est avec une grande satis­fac­tion que j’ai lu l’article de notre cama­rade Jean Sivar­dière publié dans La Jaune et la Rouge de mars 1997.

Je suis sans doute un “ auto­phobe irré­duc­tible ”. Jusqu’à ma retraite, j’ai uti­li­sé sans cesse ma bicy­clette comme moyen de dépla­ce­ment de mon domi­cile à mon lieu de tra­vail (pour des dis­tances net­te­ment supé­rieures aux 5 à 10 kilo­mètres quo­ti­diens indi­qués dans l’article). Cela me pri­vait d’ailleurs de la prime de pol­lu­tion appe­lée “ indem­ni­tés kilo­mé­triques ” et accor­dée à ceux qui font leurs tra­jets en auto.

Main­te­nant que je dis­pose de plus de temps, j’utilise mon vélo pour de plus grands dépla­ce­ments, uti­li­taires ou tou­ris­tiques (tels que la tra­ver­sée inté­grale de l’Australie ou les tra­jets pour aller voir en pro­vince mes enfants et petits-enfants).

Je vou­drais seule­ment faire quelques remarques.

1) Routes interdites

L’usage du vélo ne doit pas être limi­té aux seuls dépla­ce­ments en ville. Je m’insurge contre la trans­for­ma­tion pro­gres­sive des routes natio­nales en auto­routes inter­dites aux cyclistes et sur­tout très dan­ge­reuses, ce qui est encore plus dis­sua­sif ! Je reven­dique le droit, pour les géné­ra­tions pré­sentes et futures, de rou­ler à vélo à tra­vers la France.

2) Pistes cyclables

Les anciennes pistes cyclables, dont cer­taines étaient excel­lentes, ont été sys­té­ma­ti­que­ment sup­pri­mées (par exemple du Petit Cla­mart à Ver­sailles, de Choi­sy-le- Roi à Fresnes, de Cré­teil à Bois­sy- Saint-Léger…).

Les soi-disant pistes “ cyclables ”, qui ont été récem­ment amé­na­gées, sont géné­ra­le­ment inuti­li­sables et dan­ge­reuses. Leur seul but semble bien être de chas­ser les cyclistes hors de la route au pro­fit des automobilistes.

3) Train et vélo

Compte tenu des dif­fi­cul­tés de cir­cu­la­tion sur les grands axes rou­tiers et de la dif­fi­cul­té crois­sante de trou­ver des iti­né­raires de sub­sti­tu­tion, et aus­si dans le but de gagner du temps, il serait évi­dem­ment très utile de pou­voir prendre le train entre les grands centres urbains et de n’utiliser son vélo que loca­le­ment, le vélo étant le com­plé­ment indis­pen­sable du train.

Mais, sur presque toutes les lignes de la SNCF, il est main­te­nant inter­dit de voya­ger avec un vélo, même en payant un sup­plé­ment. (Les trains auto-cou­chettes per­mettent par contre d’emporter sa voi­ture !) Ceci est à com­pa­rer avec le trans­port aérien : j’ai trans­por­té mon vélo en Aus­tra­lie, en Nou­velle- Zélande et aux îles Hawaï sans même payer aucun supplément.

Ce ne sont que quelques réflexions basées sur mes expé­riences per­son­nelles. Il est grand temps de réha­bi­li­ter la bicy­clette comme moyen effi­cace et sani­taire de se dépla­cer en ville et ailleurs.

Pierre JAMET (53)

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