Trois courriers de lecteurs
Comment j’ai piégé une pensée unique
Cela m’a pris dix ans, mais je suis parvenu à piéger une pensée unique. Pourtant ce type de conformisme, que renforce notre civilisation médiatique, est évanescent : sitôt qu’une pensée unique cède la place, sans laisser de bilan, une autre la remplace.
Dans mon cas, j’ai eu affaire au dogme, affirmé en 1987, sous l’impulsion de la Commission européenne, selon lequel il suffisait, pour établir le marché unique, de supprimer les contrôles fiscaux aux frontières. Or je savais bien que des TVA européennes, même harmonisées, ne pourraient pas se prêter à cet exercice. J’avais été l’initiateur de la TVA, en France, et j’avais dirigé le contrôle fiscal pendant sept ans.
Mon expérience me permettait de prédire un développement incoercible de la fraude. La TVA, en effet, ne peut pas se passer de frontières, et la seule solution, pour réaliser le marché unique, est d’avoir une TVA unique, perçue au profit d’un budget européen. Il faut aussi qu’elle soit assise et contrôlée par une administration unique.
Dès la fin de l’année 1987, j’ai entrepris de lancer des avertissements, pour tenter d’influer sur la décision que les gouvernements européens devaient prendre à la suite des propositions de la Commission. Aidé principalement par l’Institut du Commerce et de la Consommation, ainsi que par le Conseil national du Commerce, j’ai multiplié la publication d’études, dont certaines ont été diffusées à des milliers d’exemplaires et traduites en anglais.
Le Gouvernement, les administrations centrales, les assemblées, les groupes de réflexion des partis politiques, les journalistes économiques ont été abondamment servis. J’ai donné des dizaines d’articles à la presse quotidienne et à la presse économique. J’ai participé à force colloques, ainsi qu’à des commissions consultatives organisées par la Commission européenne…
Rien n’y a fait : je ne rencontrais pas d’objections, mais les choses suivaient leur cours comme si les problèmes que je soulevais n’avaient pas existé. Finalement, courant 1990, le conseil ECOFIN des ministres des Finances adoptait à l’unanimité (qui est de rigueur en matière fiscale) une position commune sur les modalités de la suppression des frontières intraeuropéennes le 1er janvier 1993. M. Bérégovoy, qui présidait, avait réuni ses collègues à Eden Roc. L’événement fut salué par un dîner chez Vergé, au “ Moulin de Mougins”.
Je ne voulais cependant pas que mes objections tombent dans l’oubli. Afin d’en laisser une trace dans les annales, j’ai proposé et obtenu de procéder, le 10 juin 1991, à une communication à l’Académie des sciences morales et politiques sur le thème “ Le rapprochement des TVA européennes ”. Cette communication a pris rang dans le numéro du troisième trimestre 1991 de la Revue des Sciences morales et politiques.
La mesure dont le principe avait été approuvé en 1990 est entrée en application le 1er janvier 1993. Simultanément, à partir de ce moment, les recettes des TVA européennes ont flanché. D’après Eurostat, organisme statistique de la Communauté européenne, les 15 pays membres auraient, en 1996, au vu des déclarations de TVA, exporté les uns chez les autres 350 milliards de francs de plus qu’ils n’en auraient importé. Telle est la dimension des opérations frauduleuses : si la France en a sa quote-part, cela met en cause la réalité d’une fraction importante de l’amélioration de notre balance commerciale au cours des années récentes.
Faut-il continuer à se laisser fasciner par des pensées uniques ?
Maurice LAURÉ (36)
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La localisation d’Alésia
Il faut d’abord féliciter K. Rossillon d’avoir émis quelques arguments contre la localisation d’Alésia à Chaux-des-Crotenay, présentée dans le numéro 520 de La Jaune et la Rouge de décembre 1996, et corrélativement d’avoir défendu la localisation traditionnelle à Alise-Sainte-Reine. Ce n’est pas très fréquent. Mais voyons quels sont les arguments principaux.
La toponymie
Croire que “la continuité de noms (de lieux) obéit à des règles simples et établies” c’est sous-estimer la complexité de cette science, et faire peu de cas de la liste des lieux cités dans les Commentaires et dont la forme est bien établie (les trois Noviodunum par exemple) mais dont l’identification est discutée.
Quant à l’inscription dite de Martialis, on y lit in Alisiia (et non in Aliisia !) et donc, en gaulois, se prononce “ in Alisia ” ou même “ in Alisea ”, c’est-à-dire “ à Alise ”.
Citons enfin un Alisien convaincu, M. Le Gall (aujourd’hui décédé) qui, dans la Revue historique des Armées (1987, n° 2), écrivait :
“ Si la thèse du mont Auxois ne pouvait s’appuyer que sur la toponymie, elle présenterait une sérieuse faiblesse… Il serait même possible que la véritable Alésia de César eût perdu son nom et se dissimulât aujourd’hui sous un autre, sans rapport avec lui. ”
La philologie
Pas d’objection à supprimer le membre de phrase : “ peut-être (César) répugnait-il à avouer clairement… ” Mais il serait sans doute peu convenable de supprimer uniquement le “ peut-être ”. Quant au portrait-robot, il n’est pas “ encombré d’hypothèses tactiques ou stratégiques ” puisque dans leur très grande majorité elles n’interviennent pas et que, en tout cas, il s’agit du texte de César.
Mais l’argument principal tient en une phrase : “ César n’a pas décrit Alésia (au contraire de Gergovie) comme un site montagneux. ” Cela provient certainement de ce que :
- Alésia est in colle summo, admodum edito loco que l’on traduit “ au sommet d’une colline, lieu tout à fait élevé ”,
- et Gergovie posita in altissimo monte, “ placée sur une montagne très élevée ”,
d’où l’on déduit : Alésia en pays de collines, Gergovie en pays de montagnes.
Cependant César peut utiliser, pour la même “hauteur”, successivement les deux mots. Deux exemples, entre autres, B.G. I, 24, César rassemble ses troupes sur une “ colline ”… de sorte que toute la “ montagne ” était occupée… B.G. VII, 36, 2, à Gergovie : à mihauteur de cette “ colline ”, un mur…
L’observation et la fouille
Nous avons été étonnés de voir résumées en deux expressions (“ quelques objets gaulois ”, “ les structures non fouillées interprétées comme monuments religieux ”) deux colonnes de la revue consacrées à l’archéologie de Chaux-des Crotenay.
Surprise encore que la liste proposée pour Alise-Sainte-Reine :
- les “ nombreuses armes romaines ” (pas de gauloises ?), qui sont très rigoureusement enfermées dans les réserves du Musée de Saint-Germain,
- “ les monnaies de Vercingétorix (et les centaines d’autres ?) : jamais on n’a trouvé sur un champ de bataille une telle quantité de monnaies” (docteur Colbert de Beaulieu, spécialiste de la numismatique de l’époque),
- mais surtout, “ les monuments antiques dégagés ”… ils sont galloromains ! Et peut-on vraiment faire une comparaison entre ces deux agrégats, lacunaires d’ailleurs ? On se croirait dans le cadre d’une autre discipline que l’archéologie !
À propos de la fouille
À Chaux-des-Crotenay, les autorisations ont été très souvent refusées ou transformées en autorisations de sondages (sur quelques mètres carrés) ; l’État n’a fourni aucun subside.
À Alise-Sainte-Reine, depuis 1991, deux mois par an ont lieu des fouilles richement dotées :
- le rapport de fouilles de 1992 a fait l’objet d’une présentation en séance de l’Académie des inscriptions et belles-lettres,
- à la même époque une déclaration du Directeur des fouilles à une revue (Historia n° 561, septembre 1993) dont on peut retenir ceci : “ il y a distorsion entre le terrain et le texte ” (de César),
- depuis, à notre connaissance, aucune publication significative.
A. WARTELLE et M. WARTELLE (40)
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La bicyclette, c’est sérieux
C’est avec une grande satisfaction que j’ai lu l’article de notre camarade Jean Sivardière publié dans La Jaune et la Rouge de mars 1997.
Je suis sans doute un “ autophobe irréductible ”. Jusqu’à ma retraite, j’ai utilisé sans cesse ma bicyclette comme moyen de déplacement de mon domicile à mon lieu de travail (pour des distances nettement supérieures aux 5 à 10 kilomètres quotidiens indiqués dans l’article). Cela me privait d’ailleurs de la prime de pollution appelée “ indemnités kilométriques ” et accordée à ceux qui font leurs trajets en auto.
Maintenant que je dispose de plus de temps, j’utilise mon vélo pour de plus grands déplacements, utilitaires ou touristiques (tels que la traversée intégrale de l’Australie ou les trajets pour aller voir en province mes enfants et petits-enfants).
Je voudrais seulement faire quelques remarques.
1) Routes interdites
L’usage du vélo ne doit pas être limité aux seuls déplacements en ville. Je m’insurge contre la transformation progressive des routes nationales en autoroutes interdites aux cyclistes et surtout très dangereuses, ce qui est encore plus dissuasif ! Je revendique le droit, pour les générations présentes et futures, de rouler à vélo à travers la France.
2) Pistes cyclables
Les anciennes pistes cyclables, dont certaines étaient excellentes, ont été systématiquement supprimées (par exemple du Petit Clamart à Versailles, de Choisy-le- Roi à Fresnes, de Créteil à Boissy- Saint-Léger…).
Les soi-disant pistes “ cyclables ”, qui ont été récemment aménagées, sont généralement inutilisables et dangereuses. Leur seul but semble bien être de chasser les cyclistes hors de la route au profit des automobilistes.
3) Train et vélo
Compte tenu des difficultés de circulation sur les grands axes routiers et de la difficulté croissante de trouver des itinéraires de substitution, et aussi dans le but de gagner du temps, il serait évidemment très utile de pouvoir prendre le train entre les grands centres urbains et de n’utiliser son vélo que localement, le vélo étant le complément indispensable du train.
Mais, sur presque toutes les lignes de la SNCF, il est maintenant interdit de voyager avec un vélo, même en payant un supplément. (Les trains auto-couchettes permettent par contre d’emporter sa voiture !) Ceci est à comparer avec le transport aérien : j’ai transporté mon vélo en Australie, en Nouvelle- Zélande et aux îles Hawaï sans même payer aucun supplément.
Ce ne sont que quelques réflexions basées sur mes expériences personnelles. Il est grand temps de réhabiliter la bicyclette comme moyen efficace et sanitaire de se déplacer en ville et ailleurs.
Pierre JAMET (53)
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