Trois polytechniciens de la bataille de Buzenval ont leur rue à Rueil
Outre le général de Miribel, dont la carrière a déjà été évoquée dans nos colonnes, trois polytechniciens de la guerre de 70 ont donné leurs noms à des rues de Rueil. Voici donc le rappel de leur mémoire, qui nous projette dans un monde à la fois si lointain et si proche.
Domicilié à Rueil-Malmaison depuis quarante ans et habitant à proximité du quartier de Buzenval de cette grande commune altoséquanaise (en superficie) abritant plus de 90 000 habitants désormais, je n’ai pas manqué lors des disponibilités induites par les confinements successifs de me pencher sur l’histoire des combats de Buzenval les 21 octobre 1870 et 19 janvier 1871, respectivement la deuxième et la sixième, et dernière tentative de sortie en force des militaires assiégés dans Paris, encerclé par les Prussiens privilégiant l’usure et le manque de ravitaillement à un assaut de vive force. Les cérémonies prévues pour le cent cinquantenaire de ces événements ont été au demeurant fort discrètes, en raison de la pandémie.
J’y étais d’autant plus enclin que la commune de Rueil a – tardivement – donné à plus d’une dizaine de rues le nom et le grade d’un héros dans ces combats sanglants qui ont vu la participation de polytechniciens, puisque au XIXe siècle l’École fournissait de gros contingents d’officiers des armes savantes de l’Artillerie et du Génie. La livraison de La Jaune et la Rouge numéro n° 770, rubrique HistoriX, a déjà permis de mentionner l’action de Joseph de Miribel commandant d’artillerie. Il sera colonel et deviendra par trois fois chef d’état-major de l’Armée. La voie qui relie la route de l’Empereur (entre Saint-Cloud et le château de Malmaison) au bois de Saint-Cucufa se nomme rue du Général-de-Miribel (antérieurement rue des Longs Boyaux, ce qui est moins relevé…). Trois autres X partagent ce privilège ruellois d’une mémoire toponymique.
Paul Nismes (X1854)
Selon la magistrale représentation ci-jointe du peintre Alphonse de Neuville, la porte à claire-voie de Longboyau, à Rueil, donnait accès au bois de Saint-Cucufa, qui était maîtrisé par les Prussiens. Le 21 octobre 1871, une batterie de quatre pièces mobiles prépositionnées était commandée, sous les ordres du commandant Joseph de Miribel, par le capitaine Nismes (Paul Arthur), né dans le Lot-et-Garonne en juillet 1834 et entré à l’X vingt ans plus tard, optant à la sortie pour l’école d’artillerie alors sise à Vincennes.
Il avait participé à la brève campagne d’Italie en 1859, puis à la fin de l’expédition du Mexique entre octobre 1865 et avril 1867, y étant promu chevalier de la Légion d’honneur le 1er février. De tempérament inclinant à la technique, il avait été affecté, hors corps de troupe, dans des établissements d’armement, à la Manufacture d’armes de Châtellerault et à la poudrerie du Bouchet (dans l’Essonne, chargée alors d’expérimentations pour l’artillerie, alors que les Poudres et Salpêtres dépendaient à l’époque du ministère des Finances).
« Son comportement à la porte de Longboyau fut héroïque. »
Son comportement à la porte de Longboyau fut héroïque : il chargea à la baïonnette après avoir perdu deux canons et tous ses chevaux, pour repousser complètement une compagnie prussienne, puis ramena ses derniers hommes survivants après l’épuisement de ses munitions. Il sera promu chef d’escadrons pour cet exploit dès le 8 décembre suivant, d’où le grade retenu pour la rue du Commandant-Nismes baptisée tardivement en sa mémoire par la municipalité de Rueil-Malmaison, en 1965.
Sous la IIIe République, il poursuivra une brillante carrière, un peu comparable à celle de Miribel, mais un demi-ton en dessous : lieutenant-colonel en 1876 après avoir dirigé l’établissement du Havre, promu colonel en 1880 à la tête du 6e régiment d’artillerie, il devient officier général le 20 mai 1885, commandant la 19e brigade d’artillerie. Il fera campagne en Annam et au Tonkin entre avril 1887 et septembre 1888, puis deviendra divisionnaire en avril 1890. Il entre au comité technique du Génie et à celui de l’Artillerie, dont il prend la présidence en 1895.
Promu grand officier de la Légion d’honneur, il reçoit la plaque sur le front des troupes l’année suivante, des mains du général Charles Peaucellier (1832−1919, X1850), son collègue alors président du comité technique du Génie et spécialiste reconnu en mécanique, notamment pour le procédé permettant de passer d’une force linéaire à une force circulaire et vice versa. Le dispositif de Peaucellier-Lipkin (nom d’un Lithuanien arrivé parallèlement à la même invention), est appliqué en premier dans les locomotives à vapeur. Le général Nismes décède en mai 1912 à Asnières.
Gustave Lambert (X1843)
Lambert (Marie Joseph Gustave Adolphe), né à Pont-de-Veyle (Ain) le 1er juillet 1824, présente cette caractéristique d’être entré à Polytechnique en 1843 mais de n’en être pas sorti, car l’élève fut exclu « pour indiscipline ». À l’inverse du fils de Simon Bernard, radié par son ministre de la Guerre de père (cf. La Jaune et la Rouge n° 759, rubrique HistoriX), il ne retentera pas le concours d’entrée. Comptons-le tout de même comme ancien élève !
Il devient professeur de mathématiques à Fécamp et se révèle un républicain ardent dans les derniers temps de la monarchie de Juillet. Il s’implique ensuite dans la marine marchande comme hydrographe réputé, installé à Brest pendant vingt ans. Dans les années 1860, il dresse une carte du détroit de Béring nécessitant plusieurs expéditions. Il y est même bloqué un temps en 1865, ce qui lui donne une certaine notoriété dans l’opinion publique. Il envisage alors de se rendre au pôle Nord, cherchant par un appel à la générosité publique, avec au rang des souscripteurs l’Empereur en personne, à acheter et à gréer un navire adéquat qu’il baptise Boréal, lorsque éclate la guerre avec la Prusse.
« Il envisage de se rendre au pôle Nord lorsque éclate la guerre avec la Prusse. »
Après le 4 septembre, il devient capitaine du 85e bataillon de la Garde nationale, puis responsable des vétérans parisiens.
Il s’engage comme simple soldat au 119e de ligne le 18 décembre, pour brillamment participer dès le lendemain 19 au combat du Bourget. Caporal sur le champ, puis sergent le 4 janvier 1871, il est grièvement blessé le 19 à Buzenval et en meurt le 27, après avoir eu la force de léguer ses effets au profit des pauvres, et le Boréal à la Marine, alors que la proposition de sa nomination au grade de sous-lieutenant était en cours de rédaction. Il est enterré au Père-Lachaise, dans une concession offerte par la Ville de Paris.
Le chemin du Monument, érigé à la mémoire des victimes des combats de 1870–1871 sur la commune de Rueil, devient en 1923 une rue départementale qui prend le nom de rue du Sergent-Gustave-Lambert en 1927, par décision du conseil général de la Seine sur pétition du conseil municipal de Rueil. Reclassée voie urbaine ruelloise en 1934, cette rue assez en pente mène toujours, depuis le centre du hameau de Buzenval, à ce monument de la guerre de 1870–1871.
Le terrain de 3 ares 54 centiares fut acheté à un particulier du nom de Sacristain pour 354,20 francs par la commune de Rueil, qui en fit don au préfet de la Seine par une délibération du 17 février 1873 « pour montrer sa reconnaissance à la Ville de Paris » en raison de son assistance et de son soutien à la population pendant la guerre, et pour permettre ainsi la concrétisation d’un vœu du Conseil général : une œuvre de Chipiez, architecte et professeur à l’École spéciale d’architecture, qui a la forme d’un obus en position verticale. Chaque 19 janvier s’y déroule une manifestation patriotique et du souvenir. Depuis une délibération municipale de juillet 1907, le chemin, qui longe le Monument, au tracé sinueux à mi-pente, est devenu la rue du Général-Colonieu.
Victor Colonieu (X1843 aussi)
Colonieu (Victor Martin), né à Orange (Vaucluse) en janvier 1826, entre à Polytechnique dès octobre 1843, opte à la sortie pour le Génie et participe à partir de 1847 à l’implantation française en Algérie, en Kabylie notamment. Cette terre le passionne ; il apprend l’arabe dont il parviendra à maîtriser complètement la langue et s’imprègne de cette culture. Il est versé dans l’infanterie pour commander avec le grade de capitaine en 1854 une des premières compagnies de tirailleurs algériens.
Il explore au péril de sa vie les oasis du sud du Sahara et publiera plusieurs ouvrages sur ces découvertes sahariennes, contribuant à la réflexion qui conduira à la création au tournant du siècle des militaires français méharistes, illustrés par Fort Saganne, roman comme film de qualité. On pense aussi à la figure de Charles de Foucauld, officier puis ermite. Colonieu établira également, fort de sa formation du Génie, un rapport circonstancié sur la création d’un chemin de fer transsaharien (prédécesseur sur ce terrain du gouverneur Ernest Roume : cf. La Jaune et la Rouge n° 768, rubrique HistoriX). Lieutenant-colonel depuis 1867, Victor Colonieu est blessé par deux fois dans les combats de Reichshoffen en Alsace, puis « on le retrouve dans Paris encerclé ».
« Il explore au péril de sa vie les oasis du sud du Sahara et publiera plusieurs ouvrages sur ces découvertes sahariennes. »
Il y organise le 36e régiment de marche qui devient le 136e de ligne et commande une forte unité lors des combats du 21 octobre 1870 dans le secteur de La Malmaison, ce qui entraîne sa promotion comme colonel « plein ». Le 19 janvier 1871, sous les ordres du général Carrey de Bellemarre, il commande à Rueil la seule des trois « colonnes », qui réussit à atteindre Garches, le jour de ses 45 ans. Son attitude lors de ces combats lui vaut la cravate de commandeur de la Légion d’honneur dès le 7 février suivant.
La même année, il retraverse la Méditerranée pour commander le 2e RTA (régiment de tirailleurs algériens) stationné à Mostaganem. Il réprime ensuite l’insurrection de Bou Amama dans le Sud-Oranais en 1879 et reçoit les étoiles de général de brigade. Promu ensuite divisionnaire en 1887, il commande la 22e subdivision militaire de Vannes et est élevé à la dignité de grand officier de la Légion d’honneur en mai 1889. À la retraite, il repart s’installer à Mostaganem dans cette terre algérienne qu’il chérissait tant, où il décède en 1902.
En illustration :
Défense de la porte de Longboyau, au château de Buzenval, le 21 octobre 1870
Fantassins du 24e régiment d’infanterie 14613 ; Eb 1158
De Neuville (dit), Deneuville Alphonse Marie (1835−1885)
Localisation : Paris, musée de l’Armée
© Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l’Armée