Trois règles pour croître de façon rentable
La plupart des grands groupes européens ne croissent pas… parce qu’ils n’ont pas décidé de croître. Ils réalisent en moyenne 80 % de leur activité dans des pays et des produits mûrs en faible croissance (5 % par an) et 20 % dans des marchés en forte croissance (pays émergents, produits ou activités en phase de développement) où ils croissent comme les marchés (environ 10 % par an). Leur croissance moyenne est donc de 6 % par an et peut difficilement dépasser ce plafond. L’observation statistique est cohérente avec l’analyse des portefeuilles d’activités. Il y a bien évidemment un lien étroit entre la croissance et le mix d’activités et de géographies d’un groupe.
Règle n° 1 : Chercher la croissance là où elle est
Les stratégies de consolidation des marchés mûrs – de façon lente et organique, ou par acquisitions – permettent d’augmenter ces croissances. Mais les TSR (« total shareholder return » : rentabilité pour l’actionnaire sur son investissement) supplémentaires gagnés par ces stratégies de consolidation sont souvent faibles (les gains de parts de marché dans des marchés mûrs nécessitent des investissements de marges, les acquisitions créent des synergies dont la valeur est souvent capturée par le client, etc.). Autrement dit, cette croissance additionnelle est souvent dilutive. Rien ne vaut un mix d’activités où les marchés sous-jacents sont en forte croissance. Un portefeuille d’activités où les pays ou produits en forte croissance représentent 35 % au moins de l’activité et où l’entreprise croît beaucoup plus vite que le marché dans ces pays ou produits est la seule façon de produire des croissances de 10 % par an dans la durée (cf. tableau). La croissance ne s’improvise donc pas. Avoir un tiers de son chiffre d’affaires dans des marchés ou activités en forte croissance nécessite de prendre des décisions fortes cinq ans ou plus à l’avance. Lorsque l’on constate que le portefeuille d’activités est tel, que structurellement, il ne permet pas de croître, il est trop tard. Il faut quatre à cinq ans au minimum ou une acquisition majeure pour se repositionner sur une trajectoire de croissance.
Règle n° 2 : Faire plus que la concurrence dans les domaines en croissance
Les leaders qui croissent (à 10 % par an et plus) allouent effectivement au moins la moitié de leurs investissements de toute nature (CAPEX, R & D, coûts commerciaux, investissements publipromotionnels…), dans des domaines en forte croissance, par opposition aux investissements de renouvellements et entretiens de capacités, maintien de parts de marché, amélioration de technologies, optimisation et renouvellement des gammes de produits…, dans les marchés mûrs.
Dans les marchés en forte croissance (10 % par an et plus), les risques sont naturellement plus élevés et la visibilité parfois plus faible. Il y a en revanche une règle incontournable. Aucun acteur ne croît à long terme comme la moyenne du marché. Soit il croît beaucoup plus vite et concentre le marché. Soit il croît moins vite et est contraint à terme de se retirer, faute de compétitivité et de rentabilité. Les entreprises occidentales qui croissent aujourd’hui fortement en Chine (avec des croissances de 20 à 30 % par an) mais deux à trois fois moins que leurs concurrents locaux (qui eux croissent à 50 à 100 % par an) se préparent des lendemains difficiles. Cet enjeu stratégique se traduit normalement dans les investissements. Sauf cas particuliers, les leaders qui concentrent leurs marchés dans les domaines en forte croissance investissent plus que leurs concurrents, en absolu bien évidemment, mais souvent également en pourcentage du chiffre d’affaires. Cette observation a un corollaire. Si l’on investit lourdement pour croître deux fois plus vite que le marché dans les activités en forte croissance et que celles-ci représentent au moins un tiers du portefeuille, on atteint rapidement un seuil où la moitié des investissements d’un groupe sont dédiés à la croissance. On ne peut consacrer l’essentiel de ses investissements à ses activités de base sans croissance et s’étonner de ne pas croître.
Règle n° 3 : Développer des modèles d’activité et des organisations spécifiques
Les investissements sont une condition nécessaire. Mais la force du modèle d’activité et sa résilience dans le temps sont critiques. Trois dimensions caractérisent un modèle d’activité :
Faire la même chose que ses concurrents, mais deux fois plus vite, est la clé du succès
- – son attractivité et sa force de pénétration vis-à-vis des clients : produit, prix, marque, mode de distribution… ; dans les marchés en forte croissance, à la différence des marchés mûrs, il ne s’agit pas de microsegmenter et d’optimiser les gammes pour chaque niche de clientèle, mais de développer le produit ou le service le plus attractif pour capturer le coeur de marché (souvent 60 à 80 % du marché total) et établir très vite une part de marché incontournable ; la simplicité et la force du modèle et des produits associés valent plus que la suroptimisation et la multiplication des fonctionnalités souvent peu valorisées ;
- – sa compétitivité face aux concurrents ; elle est liée à la vitesse de croissance et aux investissements décrits ci-dessus. Les coûts compétitifs permettent de réinvestir dans les fonctionnalités, les marques, et les niveaux de prix les plus attractifs vis-à-vis du marché et de concentrer progressivement le marché au détriment des concurrents ;
- – sa vitesse de déploiement : dans la plupart des pays émergents ou dans les nouvelles technologies, cette dimension est critique ; le temps de développement et de mise sur le marché d’un nouveau produit, le temps de développement d’un nouvel hôtel ou d’un nouveau magasin, la capacité à développer 100 nouveaux points de vente par an au lieu de vingt sont des enjeux essentiels… La question n’est pas d’avoir le produit ou le service parfait. C’est d’avoir le produit ou le service adéquat aujourd’hui permettant d’assurer 30 à 60 % de croissance par rapport à hier. Faire la même chose que ses concurrents mais deux fois plus vite est la clé du succès si l’on veut préempter les meilleurs emplacements, capturer la » share of mind » des clients, établir très vite des effets d’échelle et des coûts permettant d’ajuster les prix aux pouvoirs d’achats locaux.
Dans les marchés en forte croissance, les modèles d’activité, organisations, équipes, façons de travailler sont donc forcément différents de ceux des marchés mûrs et la vitesse d’exécution est critique. On ne travaille pas avec les mêmes réflexes, processus et équipes lorsqu’il faut croître à 30 % par an, plus rapidement que ses concurrents, ou lorsqu’il s’agit de se battre dans un marché sans croissance très concurrentiel pour simplement préserver le chiffre d’affaires et optimiser les marges.
ESTIN & CO est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres, Genève et Shanghai. Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens et nord-américains dans leurs stratégies de croissance, ainsi que les fonds de private equity dans l’analyse et la valorisation de leurs investissements.