Trop de pétrole !
Il est maintenant reconnu que la hausse de température de la planète de 0,6° au cours du xxe siècle est le fruit de l’activité humaine et que cette hausse a toutes chances de se poursuivre et de s’accélérer si on ne fait rien. Les scénarios présentés par les 400 experts du GIEC1 à la conférence de janvier 2007 à Paris a montré à ce sujet un consensus parmi les scientifiques qui a balayé les quelques opinions divergentes qui pouvaient se faire entendre auparavant : suivant les hypothèses, la température pourrait monter au xxie siècle de 2 à 8°, avec des conséquences proprement catastrophiques sur le niveau des mers, le climat, la végétation et corrélativement sur les mouvements de population.
Si la nécessité de contrôler les émissions de gaz à effet de serre est reconnue, les moyens d’y arriver sont loin de faire l’objet d’un consensus. Il y a d’un côté ceux qui disent « yaka » réduire la consommation d’énergie ou « faukon » développe les énergies renouvelables. De l’autre, ceux qui tiennent compte des réalités. L’intérêt du livre d’Henri Prévot (HP) est de faire une analyse claire et objective de la situation, en se gardant de tout a priori dogmatique.
HP explique simplement la situation actuelle (8 GtC/an2 rejetées dans l’atmosphère sous forme de CO2, dont 3,5 non absorbées par les océans ou les végétaux, d’où une augmentation de la concentration de CO2 de 280 à 370 ppm depuis le début de l’ère industrielle) et les conséquences en cascade de l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère (augmentation de la teneur en vapeur d’eau, autre gaz à effet de serre, fonte des glaciers, diminution corrélative de l’albédo3, diminution de la capacité d’absorption des forêts et des océans, libération du CO2 et du CH4 piégés dans les sols glacés…).
Or, selon les scénarios des experts du GIEC, la concentration de CO2 se stabiliserait à 650 ppm et la température moyenne de la terre augmenterait de 4° si on réussissait à maintenir au rythme actuel les émissions totales de CO2 au cours des deux siècles à venir, soit au total 1 500 GtC. La concentration de CO2 se stabiliserait à 450 ppm et la hausse de température serait encore de 2,7° si on réussissait à réduire ces émissions de moitié, à 850 GtC. Ce chiffre est très inférieur aux réserves exploitables de gaz, pétrole et charbon, estimées à 3 000 GtC. HP en conclut qu’il faut donc s’interdire de consommer toute l’énergie fossile disponible, ce qui suppose une intervention régulatrice pour internaliser l’effet externe du réchauffement de la planète.
Abordant le cas de la France, HP nous explique ensuite que nous pouvons diviser d’ici trente à quarante ans nos émissions par un facteur 2 voire 3, sans remettre en cause notre genre de vie.
S’appuyant sur une analyse détaillée de la demande d’énergie, HP montre qu’il est possible de stabiliser la consommation d’énergie à service rendu équivalent en utilisant des techniques connues comme les véhicules hybrides, l’isolation des bâtiments ou les pompes à chaleur, et cela pour un coût raisonnable, de l’ordre de 1 à 1,5 % du PIB futur. Il montre aussi qu’une forte augmentation du nucléaire – dont il analyse en détail les avantages et les risques – peut seule réduire sensiblement les émissions de CO2. L’utilisation de la biomasse agricole et forestière peut fournir un appoint plus en tant que source de chauffage que de carburant4. HP montre enfin que, compte tenu de la variabilité du vent, les éoliennes ne sont pas une solution, tordant ainsi le cou à des idées communément admises5. Les contradicteurs sont même invités à effectuer leurs propres simulations grâce à un tableur mis gracieusement à leur disposition sur Internet6 !
Sans remettre en cause la nécessité d’une action au niveau de l’Europe et d’une gouvernance mondiale, HP poursuit son implacable démonstration en expliquant pourquoi, par une sorte de pari de Pascal, la France aurait tout intérêt à prendre les devants sans attendre que l’ONUE (nouvelle organisation des Nations unies pour l’environnement) proposée par la France ait vu le jour7. Il compare ensuite les différents moyens d’arriver au résultat voulu : fiscalité, réglementation, subventions, marché des permis d’émettre, dont il propose une combinaison qui pourrait nous mener sans rupture d’aujourd’hui à demain.
On regrettera que HP se soit limité à l’exemple de la France qui ne représente que 1,5 % des émissions mondiales et 3 fois moins par habitant que les USA et qu’il n’ait pas abordé la question de la croissance démographique et économique des pays d’Afrique ou d’Asie qui risque de rendre nos efforts dérisoires. Mais on peut lui savoir gré d’avoir contribué à éclairer de manière rigoureuse mais très pédagogique un débat trop souvent obscurci en France par des considérations subjectives et à susciter, là comme ailleurs, un nécessaire sursaut !
1. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, mis en place par l’OMM et le PNUE. On trouvera un résumé du rapport des experts sur : http://www.effet-de-serre.gouv.fr/fr/etudes/SPM2007gr1.doc
2. 1 GtC = un milliard de tonnes de carbone (1 t de carbone = 3,66 t de CO2).
3. Coefficient de réflexion de la lumière du Soleil par la Terre ou l’atmosphère.
4. Pour diminuer les émissions avec de l’éthanol autant que le fait une seule tranche EPR, il faudrait 4 millions d’hectares de culture, soit 20 % de la surface arable française.
5. Couvrir la France d’éoliennes éviterait la construction de deux ou trois tranches EPR seulement, rendrait nécessaire la construction d’une puissance équivalente de moyens thermiques à flamme et serait générateur d’émissions de CO2.
6. http://www.2100.org/PrevotEnergie/vousmeme.html
7. Les ventes d’EPR à la Finlande et à la Chine sont des exemples concrets de ces avantages.