Trouvailles : une petite moisson d« automne
L’on peut éprouver une intense jouissance à comparer dix versions différentes du Concerto de l’Empereur, mais point trop n’en faut , et c’est un plaisir au moins aussi grand que d’explorer l’inconnu, même si l’on doit accepter le risque du temps perdu (les génies méconnus se font rares, même dans les réserves des bibliothèques et des conservatoires).
Ainsi, deux petites merveilles à découvrir, à l’occasion d’un CD consacré à la musique de chambre avec piano pour la main gauche (Wittgenstein a beaucoup sévi) : la Suite pour deux violons, violoncelle, et piano main gauche de Korngold (1897−1957), et le Quintette pour quatuor et piano main gauche de Schmidt (Franz) (1874−1939), la première très fin de siècle, le second quelque peu brahmsien1 qui vous surprendront l’une et l’autre, dans un enregistrement avec Leon Fleisher, et, notamment, Yo-Yo Ma
De même, vous ignorez tout de Boëllmann (1862- 1897} (sauf si vous êtes organiste), et vous avez tort : le camarade Jean-Pierre Ferey (75) en joue des pièces pour piano2 agréables et subtiles et qui, dans un style très personnel, valent bien Déodat de Séverac.
Bernstein, le compositeur, éclipsé par le fabuleux chef qu’il fut, ne s’est pas limité à West Side Story. Quatre de ses œuvres les moins connues, pêchées dans une rétrospective Bernstein Century, exaltent le plaisir d’écrire, sans référence à aucune école : The Age of Anxiety, symphonie pour piano et orchestre, et la Sérénade pour violon, cordes, harpe et percussion, d’après le Banquet de Platon3 ; puis Kaddish (symphonie n° 3) à la mémoire de J. F. Kennedy, et les Psaumes de Chichester4. Musique libre d’un homme libre et généreux, extraordinairement doué.
Saviez-vous que le compositeur de la musique du Chant des Partisans était une chanteuse russe, Anna Marly ? Sous le titre Figure Humaine, Ferey a réuni des chants de la Résistance et de la Déportation, dont le Chant des Marais, et d’autres, beaucoup moins connus, sur des musiques de Joseph Kosma, Milhaud, Louis Durey, Poulenc, Jean Wiener, avec, in fine, Liberté dit par Éluard lui-méme5. C’est fort et émouvant.
Enfin, les Symphonies de Gautier de Marseille (1642- 1696) sont une des plus jolies découvertes de ces derniers mois6. Musique élégante et fine, qui s’affranchit de la tutelle tyrannique de Lully, et qui fait regretter que l’on ait perdu tous les opéras de Gautier, manuscrits non publiés et disparus avec Gautier, les machines et les décors de ses opéras, dans le naufrage du navire qui le ramenait d’une tournée de Montpellier à Marseille.
Pour terminer, signalons que l’on édite à tour de bras les enregistrements de Celibidache, réalisés au cours de concerts (puisque Celibidache s’était toujours refusé à enregistrer pour la diffusion discographique). [intégrale des symphonies de Bruckner, à la tête du Philharmonique de Munich – et tout particulièrement la Huitième7 – laisse pantois par la luminosité de l’interprétation de celui qui aura été à la direction d’orchestre ce que Richter fut au piano : non un apôtre de l’austérité, mais un musicien rigoureux et exigeant, respectueux et du compositeur qu’il interprète, et du public qui l’écoute, espèce hélas en voie de disparition.
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1. 1 CD SONY SK 482S3.
2. 1 CDSKARBOSK 1987.
3. 1 CD SONY SMK 60558.
4. 1 CD SONYSMK 60595.
5. 1 CD SKARBO SK 2980.
6. 1 CD AlNlDIS ASTREE E 8637.
7. 2 CO 7 243 5 56696 2.