Twitter en classe : gadget ou innovation ?
Les réseaux sociaux sont plébiscités par le grand public et plus particulièrement par les jeunes qui, de 13 à 18 ans, sont 75 % à disposer d’un » profil « . Les institutions sont en revanche très embarrassées par ce phénomène de société résolument peu professionnel et connu pour sa capacité à mobiliser rapidement des foules. De l’interdiction des » apéros Facebook » dans les lieux publics au blocage pur et simple de l’accès au service dans plus de la moitié des entreprises, les réseaux sociaux sont, sinon diabolisés, du moins considérés avec suspicion et tenus à l’écart des choses dites sérieuses.
Les réseaux sociaux sont, sinon diabolisés, du moins considérés avec suspicion
Alors que l’école n’en peut plus de traîner derrière elle une image d’immobilisme, on peut se réjouir de voir fleurir de multiples initiatives de terrain visant à installer ces outils numériques au coeur d’une pédagogie active, décomplexée et efficace et, mieux encore, de voir l’école réussir là où tant d’autres institutions peinent à saisir les opportunités de ces technologies.
Une authentique expérimentation
Parmi les nombreuses expérimentations de Twitter en classe, celle initiée par Laurence Juin, 36 ans, professeur de français, d” histoiregéographie et d’éducation civique, est l’une des plus anciennes en France et des mieux documentées. Une expérience menée au lycée professionnel Doriole de La Rochelle deux années de suite avec une classe de terminale préparant le bac pro commerce, et rééditée en 2010–2011 avec une classe de bac pro logistique et une autre de première de comptabilité. Deux blogs animés par Laurence Juin en retracent l’initiative, l’un intitulé Ma dixième année , l’autre Ma onzième année .
L’expérimentation » Twitter en classe »
Twitter en classe permet de favoriser le difficile apprentissage (surtout en lycée professionnel) de la prise de notes : les 140 caractères imposés par Twitter permettent une prise de notes active : les élèves apprennent ainsi à synthétiser leurs réflexions, exercice qui leur servira dans une possible poursuite d’études et dans leur vie professionnelle.
Twitter en classe permet une prise de parole de tous dans les débats. L’inclusion de tous les élèves est totale . Twitter est support de productions d’écrit en français. Il permet à chaque élève d’écrire (même courte, la production écrite existe) et il permet à l’enseignant de les corriger en syntaxe, en orthographe . Le langage SMS est proscrit, seules les abréviations classiques sont autorisées.
Quand le bac pro donne l’exemple
L’auteur insiste sur le fait que son expérience a été menée dans une terminale pro. « En lycée professionnel l’accent est mis à tous les niveaux sur la remotivation et le réinvestissement d’élèves qui nous arrivent plus ou moins cassés par le système et les problèmes sociaux. Nous avons donc l’habitude de travailler en projet et nous bénéficions de réelles libertés d’innovation. Le profil des enseignants est également différent. »
Twitter apporte de vraies contributions à la maîtrise de l’argumentation
Sans la soutenir à proprement parler, sa hiérarchie l’a « laissée faire » : « D’abord dans l’ignorance de la portée exacte de l’expérimentation, puis en répondant plutôt positivement à mes suggestions. Cette évolution d’attitude est sans doute liée à la reconnaissance extérieure de notre projet qui a très vite été soutenu comme un projet innovant par Educnet , un site référent du Ministère. Les résultats obtenus ont fini de convaincre. »
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les plus difficiles à convaincre ont été les élèves eux-mêmes qui connaissaient Facebook mais pas Twitter , et surtout qui considéraient les réseaux sociaux comme un espace bien à eux, complètement dévolu à autre chose que l’école. Du côté des professeurs, les choses sont claires : on est passé d’une absence totale d’intérêt la première année à l’adhésion franche d’un grand nombre l’année suivante.
Développer l’art de l’argumentation
L’expérimentation Twitter conduit les élèves à se documenter de manière collaborative sur un sujet, puis à prendre position, à débattre en respectant les règles fixées. » Il est vrai que Twitter apporte de vraies contributions à la maîtrise de l’argumentation, rapporte Laurence Juin, mais j’ai toujours enseigné l’argumentation. Je n’oublie pas que je suis également professeur d’éducation civique. La maîtrise de l’argumentation est un axe fondamental de l’enseignement général dans les classes pro. Peut-être devrais-je parler au passé, car cette spécificité par rapport à la filière générale est en train de disparaître. Au lieu de préparer le bac en quatre ans, ce qui était vraiment indispensable pour la majeure partie des élèves, on va devoir le préparer en trois ans et l’argumentation sur les textes va laisser place aux savoirs classiques. Nous voyons réapparaître au programme l’étude classique de textes du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Je ne dis pas que c’est un mal en soi. »
L’art de l’argumentation, qui faisait partie des fameuses « humanités », n’est plus enseigné en classes générales. On va donc le supprimer de la filière pro, au motif de revaloriser cette dernière. « Je crains en effet que cela finisse ainsi. Car je n’ai pas de doute que mes collègues et moimême continuerons à mettre l’accent sur l’argumentation avec ou sans l’aide de Twitter . Mais que feront les nouvelles générations de professeurs avec d’autres consignes ? »
Quelques clés
Twitter est une plateforme gratuite de microblogging , site Internet sur lequel on ouvre gratuitement un compte. On définit son profil (comme sur Facebook) puis on peut tweeter , c’est-à-dire écrire des messages courts (limités à moins de 140 caractères). Twitter est la plateforme, les messages s’appellent des tweets : envoyer des tweets , c’est tweeter . Les messages sont envoyés en priorité à ceux qui » vous suivent » (les followers ). Ce sont des gens, des amis, des admirateurs qui se sont abonnés à votre flux pour suivre ce que vous avez à dire (informations, émotions, digressions). Les messages sont présentés sur la Time Line (TL) personnelle de chaque suiveur. La TL est une sorte de boîte de réception dans laquelle les messages de tous ceux que vous suivez s’inscrivent par ordre chronologique. Vous pouvez décider de la consulter ou non, vous pouvez lire tous les messages ou seulement ceux qui attirent votre attention.
Mais vos messages sont également accessibles à tous ceux qui interrogent le moteur de recherche de Twitter (recherche plein texte) même s’ils ne sont pas inscrits comme vos amis. Ils sont également accessibles sur des Time Lines spécifiques ( géolocalisées , thématiques) créées pour une occasion. En effet, en inscrivant à la fin de votre message une étiquette ou hashcode (le signe # plus un mot-clé choisi), tous les messages seront consultables avec ce hashcode . C’est une fonctionnalité très utilisée pour un événement ponctuel comme un colloque, un séminaire, un salon… mais aussi un scoop.
Pour amplifier le bouche-à-oreille, vous pouvez retweeter (RT) un tweet que vous trouvez intéressant en le faisant suivre à vos « amis », et ainsi de suite. Si vous êtes nombreux à retweeter , l’information sera observée par tous ceux qui cherchent à connaître les tendances du moment, les actus « chaudes », et qui scrutent les sujets les plus tweetés par l’intermédiaire du moteur de recherche ou par les tweets mis en avant par Twitter . Mais il est aussi possible de communiquer exclusivement avec une seule personne en s’adressant à elle par un « @ » + nom d’utilisateur.
Compte tenu de la notion de » fil continu d’information » et du caractère limité des messages, Twitter s’utilise aussi bien à partir d’un ordinateur que d’un téléphone relié à Internet, ce qui explique le caractère récent mais explosif du phénomène.
Hors du temps scolaire
Les stages sont une période considérée comme cruciale dans les filières pro. Or, ces périodes qui s’étendent jusqu’à six semaines peuvent être très stressantes pour des adolescents plongés dans un monde d’adultes et éloignés de leurs camarades et de l’équipe éducative qui peut les accompagner. En recréant le groupe-classe en dehors des murs et des horaires de l’école, Twiter apporte une véritable valeur ajoutée.
Ce sont les élèves eux-mêmes qui ont fait comprendre à Laurence Juin et à ses collègues à quel point Twitter avait eu de l’importance pour eux pendant ces périodes.
Chacun dispose d’un compte Twitter personnel et la classe dispose d’un compte collectif. Les élèves ont donc la possibilité d’utiliser ce moyen pour communiquer avec les autres, mais également avec leur enseignant, ou seulement de suivre les nouvelles du groupe sans y prendre part. Les révisions sont ainsi optimisées. Un doute, hier bloquant, est vite levé par des camarades ou par l’enseignant.
Du côté des enseignants, l’écho est également plutôt positif : » Contrairement à une idée reçue, nous travaillons en dehors des cours. Twitter nous ajoute un peu de travail mais, soyons honnêtes, c’est de l’ordre de dix minutes chaque soir. Bien sûr, la question est souvent revenue et certains collègues refusent catégoriquement d’ajouter quoi que ce soit à leurs travaux hors temps scolaire qui ont tendance à s’allonger.
Mais, dans mes classes, ce sont désormais six enseignants sur huit qui pratiquent Twitter et acceptent cette extension du temps d’enseignement tellement bénéfique pour les élèves. Quand les résultats sont là pour les élèves, les enseignants sont massivement au rendez-vous. »
Twitter est la plateforme, les messages s’appellent des tweets .
Un gadget de plus ?
Si on ne cadre pas les pratiques avec ce genre d’outils on va au-devant de grandes catastrophes
« C’est un gadget au sens où je n’en ai pas absolument besoin. C’est mieux avec Twitter mais je me débrouillais sans auparavant, je pourrais donc continuer. En revanche, Twitter m’a apporté une aide considérable dans le questionnement sur ma propre pratique, sur ma place dans la classe, sur la façon de me caler physiquement dans la classe. Par ailleurs, je revendique une approche assez carrée des choses que certains qualifieraient de quasi militaire. Bien sûr, on ne lâche rien sur les fondamentaux, on reprend les fautes d’orthographe, le nonrespect des règles, même dans les échanges hors du temps scolaire. Si on veut aider les élèves, on doit ne rien lâcher. Si on ne cadre pas les pratiques avec ce genre d’outils, on va au-devant de grandes catastrophes. »
À écouter Laurence Juin, Twitter permettrait donc de réinstaller au sein de l’école des principes éducatifs que ne renieraient sans doute pas les tenants d’un retour aux fondamentaux.
Théâtre et argumentation
Twitter est utilisé lors de la diffusion de la pièce de théâtre filmée Seznec , de Robert Hossein. La pièce de théâtre est projetée par vidéoprojecteur ; les élèves sont répartis en 14 binômes ; à chaque binôme est affecté un compte Twitter . Les binômes ont comme consigne de regarder la pièce de théâtre et, simultanément, de tweeter #coupable ou #innocent en donnant obligatoirement un argument à l’appui de leur thèse qui peut évoluer au fur et à mesure de la pièce. Chaque binôme doit fournir au moins trois arguments sur la durée de la pièce ; il doit lire les tweets des autres élèves et éviter les redondances ; s’il approuve l’argument donné par un élève, il tweete « j’approuve l’argument de @… « ; s’il le désapprouve, il peut tweete r un contre-argument en s’adressant directement au binôme par un @…
Après la projection, l’enseignant reprend la liste des tweets horodatés pour évaluer chaque binôme. L’évaluation porte sur la pertinence des arguments ; la syntaxe, l’orthographe (abréviations classiques autorisées, pas de langage SMS) ; le respect des codes de communication Twitter ; l’interactivité que le binôme aura cherché à développer en réagissant aux tweets des autres binômes ; la non-redondance aux tweets des autres binômes ; la modération de la fréquence des tweets pour ne pas saturer le débat.
Remarque : la séance est préparée en binôme. Les élèves sont chargés de se documenter, de manière collaborative, via Twitter . Le travail préparatoire sert donc de répétition. Bien entendu, les tweets ne sont que des prises de notes d’arguments. L’ensemble est analysé à froid et développé en classe.