UN AMOUR BÂTI SUR LE ROC

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°666 Juin/Juillet 2011Par : Correspondance de fiançailles – 1938 recueillie par leur fille Chantal de Molliens (épouse de Paul Poujol de Molliens, X 56)Rédacteur : Christian Marbach (56)

« Nous sommes en 1938, à la veille de la Seconde Guerre mon­diale. Dans un milieu bour­geois : lui, ingé­nieur dans une acié­rie ; elle, jeune fille vivant au sein de sa famille dans l’attente du prince char­mant » (extrait de la pré­face de Jean Allemand).

Couverture du livre : Un amour bâti sur le rocCes lettres échan­gées pen­dant cinq mois par deux fian­cés vivant assez loin l’un de l’autre sont un véri­table tor­rent d’eau claire qui donne au lec­teur le double sen­ti­ment de l’émerveillement et de la nos­tal­gie. Ils se disent bien sûr leurs sen­ti­ments et un amour réci­proque qui les dépasse en même temps qu’il les révèle. Dans un échange presque quo­ti­dien, les deux fian­cés expriment tour à tour leurs pré­oc­cu­pa­tions, leurs pro­jets, évo­quant au pas­sage les détails savou­reux de la vie quo­ti­dienne, en usine pour lui, qui s’efforce en bon ingé­nieur sor­ti de Cen­trale de maî­tri­ser les pro­blèmes tech­niques et rela­tion­nels dont il a la charge, à Paris ou Anne­cy pour elle dont on devine bien vite qu’elle est tout autre chose qu’une jeune bour­geoise naïve ; mais aus­si les évé­ne­ments plus graves, comme la lutte du père de Charles contre la mala­die, ou l’imminence du déclen­che­ment de la guerre.

Charles a per­du très tôt sa mère, alors qu’il était âgé de 12 ans. Sa matu­ri­té éton­nam­ment pré­coce doit sans doute beau­coup à l’intimité qu’il a eue très jeune avec son grand-père Hen­ry Le Cha­te­lier, X 1869. Le père de Gene­viève, René Dar­gnies, X1893, était ingé­nieur en chef aux Che­mins de fer du PLM. La mère de René, après le décès de son mari Georges Dar­gnies, X 1858, s’était rema­riée avec Gus­tave Noble­maire, X 1851, direc­teur géné­ral de la Com­pa­gnie PLM depuis 1882. À cette époque le réseau fer­ré Paris-Lyon-Médi­ter­ra­née comp­tait déjà 8 000 kilo­mètres sur 37 dépar­te­ments, ani­mé par un per­son­nel de 77000 agents, dont 88 poly­tech­ni­ciens : c’est dire que les X ne seront pas dépay­sés face à ces acteurs de l’avant-guerre.

Ces lettres heu­reu­se­ment conser­vées et retrans­crites dans leur inté­gra­li­té ont valeur de témoi­gnage. Elles racontent une époque, et un milieu fami­lial assez aisé et très sérieux face à ses res­pon­sa­bi­li­tés ; elles mettent en scène des jeunes gens qui se parlent de leurs lec­tures – par exemple, mais pas seule­ment L’Imitation de Jésus-Christ –, et s’interrogent sur les fins du mariage, avec un sérieux qui n’empêche pas modes­tie et humour ; elles prennent donc toutes les formes du roman par lettres, récit, ana­lyse, confi­dence, sug­ges­tion, négo­cia­tion, décla­ra­tions d’amour répé­tées et de plus en plus impa­tientes. Donc, aucune miè­vre­rie comme on pou­vait en trou­ver dans les ouvrages d’il y a cin­quante ans char­gés d’expliquer aux fian­cés ce qui les atten­dait après la céré­mo­nie ; mais une sorte de chant, par­fois proche du Can­tique des can­tiques qui devrait émou­voir et peut-être éclai­rer les lec­teurs, jeunes et moins jeunes, à l’heure des choix comme à celle des bilans !

Il y a des mélo­dies que l’on ne peut oublier…

Post-scrip­tum : Charles et Gene­viève décé­de­ront res­pec­ti­ve­ment en 1986 et 2000 ; ils eurent neuf enfants. L’aînée Chan­tal, qui reçut par tes­ta­ment de sa mère ce paquet de lettres, raconte en avant-pro­pos son émo­tion devant ce cadeau. Le livre ne dit pas, mais c’est un ajout inté­res­sant, que Charles Royer fut, tout au long de sa car­rière d’ingénieur acié­riste, fidèle à sa voca­tion pre­mière. Son refus de toute espèce de com­pro­mis­sion lui atti­rait sans doute quelques ini­mi­tiés dans son milieu pro­fes­sion­nel, mais ses qua­li­tés de jus­tice et d’honnêteté, ain­si que sa grande com­pé­tence, lui valurent la confiance du Conseil d’administration des Acié­ries de Cham­pa­gnole qui lui confia la direc­tion des usines, puis rapi­de­ment la direc­tion géné­rale de la Société.

À la retraite, il mit ses qua­li­tés humaines au ser­vice d’un tri­bu­nal des prud’hommes. Il se dévoua dans cette tâche jusqu’à ce qu’un can­cer l’emporte pré­ma­tu­ré­ment à l’âge de 73 ans.

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