UN AMOUR BÂTI SUR LE ROC
« Nous sommes en 1938, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Dans un milieu bourgeois : lui, ingénieur dans une aciérie ; elle, jeune fille vivant au sein de sa famille dans l’attente du prince charmant » (extrait de la préface de Jean Allemand).
Ces lettres échangées pendant cinq mois par deux fiancés vivant assez loin l’un de l’autre sont un véritable torrent d’eau claire qui donne au lecteur le double sentiment de l’émerveillement et de la nostalgie. Ils se disent bien sûr leurs sentiments et un amour réciproque qui les dépasse en même temps qu’il les révèle. Dans un échange presque quotidien, les deux fiancés expriment tour à tour leurs préoccupations, leurs projets, évoquant au passage les détails savoureux de la vie quotidienne, en usine pour lui, qui s’efforce en bon ingénieur sorti de Centrale de maîtriser les problèmes techniques et relationnels dont il a la charge, à Paris ou Annecy pour elle dont on devine bien vite qu’elle est tout autre chose qu’une jeune bourgeoise naïve ; mais aussi les événements plus graves, comme la lutte du père de Charles contre la maladie, ou l’imminence du déclenchement de la guerre.
Charles a perdu très tôt sa mère, alors qu’il était âgé de 12 ans. Sa maturité étonnamment précoce doit sans doute beaucoup à l’intimité qu’il a eue très jeune avec son grand-père Henry Le Chatelier, X 1869. Le père de Geneviève, René Dargnies, X1893, était ingénieur en chef aux Chemins de fer du PLM. La mère de René, après le décès de son mari Georges Dargnies, X 1858, s’était remariée avec Gustave Noblemaire, X 1851, directeur général de la Compagnie PLM depuis 1882. À cette époque le réseau ferré Paris-Lyon-Méditerranée comptait déjà 8 000 kilomètres sur 37 départements, animé par un personnel de 77000 agents, dont 88 polytechniciens : c’est dire que les X ne seront pas dépaysés face à ces acteurs de l’avant-guerre.
Ces lettres heureusement conservées et retranscrites dans leur intégralité ont valeur de témoignage. Elles racontent une époque, et un milieu familial assez aisé et très sérieux face à ses responsabilités ; elles mettent en scène des jeunes gens qui se parlent de leurs lectures – par exemple, mais pas seulement L’Imitation de Jésus-Christ –, et s’interrogent sur les fins du mariage, avec un sérieux qui n’empêche pas modestie et humour ; elles prennent donc toutes les formes du roman par lettres, récit, analyse, confidence, suggestion, négociation, déclarations d’amour répétées et de plus en plus impatientes. Donc, aucune mièvrerie comme on pouvait en trouver dans les ouvrages d’il y a cinquante ans chargés d’expliquer aux fiancés ce qui les attendait après la cérémonie ; mais une sorte de chant, parfois proche du Cantique des cantiques qui devrait émouvoir et peut-être éclairer les lecteurs, jeunes et moins jeunes, à l’heure des choix comme à celle des bilans !
Il y a des mélodies que l’on ne peut oublier…
Post-scriptum : Charles et Geneviève décéderont respectivement en 1986 et 2000 ; ils eurent neuf enfants. L’aînée Chantal, qui reçut par testament de sa mère ce paquet de lettres, raconte en avant-propos son émotion devant ce cadeau. Le livre ne dit pas, mais c’est un ajout intéressant, que Charles Royer fut, tout au long de sa carrière d’ingénieur aciériste, fidèle à sa vocation première. Son refus de toute espèce de compromission lui attirait sans doute quelques inimitiés dans son milieu professionnel, mais ses qualités de justice et d’honnêteté, ainsi que sa grande compétence, lui valurent la confiance du Conseil d’administration des Aciéries de Champagnole qui lui confia la direction des usines, puis rapidement la direction générale de la Société.
À la retraite, il mit ses qualités humaines au service d’un tribunal des prud’hommes. Il se dévoua dans cette tâche jusqu’à ce qu’un cancer l’emporte prématurément à l’âge de 73 ans.