Un antique oublié : Eugène VERLANT (1867−1958)
Né dans une famille d’agriculteurs de la Somme, Eugène Verlant, reçu second à l’X en 1887, sort major de sa promotion.
Après quelques années au service des Mines, il entre en 1898 à la Compagnie des Chemins de Fer du PLM dont il devient en 1919 le directeur de l’exploitation ; promu au grade de commandeur de la Légion d’honneur, il prend sa retraite en 1932.
Le nom d’Eugène Verlant est attaché à l’unification de la signalisation des réseaux ferrés français, selon des principes qui, comme nous le verrons, sont toujours valables et sont d’application quasi universelle, au-delà même du chemin de fer.
La guerre de 1914–1918, qui avait multiplié les interpénétrations de trains entre réseaux, avait montré la nécessité de l’unification de leur signalisation. Telle est l’origine de la commission créée en mai 1926 sous la présidence d’Eugène Verlant, dont la haute autorité était reconnue dans le monde ferroviaire. Cette commission déposa, fin 1927, son rapport, qui reçut l’approbation définitive du ministre des Travaux publics le 1er août 1930.
La mise en oeuvre du nouveau code des signaux – dit Code Verlant – ne pouvait être que progressive ; retardée pour des raisons financières, elle ne fut achevée que fin 1936, quelques années plus tard sur le réseau d’Alsace-Lorraine, dont la signalisation était très différente de celle des autres réseaux français.
La tâche de la Commission Verlant n’était pas facile : d’une part, on ne pouvait faire table rase des situations existantes sans dépenses considérables et sans compliquer l’adaptation du personnel, d’autre part il fallait tenter un début d’unification sur le plan européen et se montrer prospectif en proposant des mesures propres à faciliter le développement de la signalisation lumineuse, encore embryonnaire ; Verlant avait en effet pressenti que, notamment par l’extension du bloc automatique, la signalisation lumineuse supplanterait la signalisation mécanique (par cibles de forme caractéristique), alors d’application très générale.
Il n’est pas possible, dans ce court article, d’entrer dans le détail des mesures proposées, qui ne concernaient pas seulement l’aspect des signaux, mais aussi leur implantation et leurs conditions d’utilisation. Citons simplement deux principes portant sur la signalisation lumineuse (et la signalisation mécanique de nuit) :
1) l’adoption des trois couleurs de base, vert, jaune, rouge,
- vert pour l’indication de voie libre,
- jaune pour l’indication d’annonce d’arrêt et de ralentissement,
- rouge pour l’indication d’arrêt,
cette trilogie nous paraît aller de soi de nos jours ; elle n’était pas évidente il y a soixante-dix ans. En France, la voie libre était le plus souvent indiquée par le feu blanc lunaire (elle le sera pendant de longues années encore sur le métro de Paris), tandis que le feu vert était utilisé pour l’avertissement ;
2) la généralisation du groupement des signaux et l’adoption de la combinaison des feux, c’est-à-dire la présentation de la seule indication la plus impérative (ou, exceptionnellement, des deux les plus impératives), afin de faciliter l’observation des signaux par le personnel de conduite.
Il est remarquable que ces principes demeurent valables dans le code actuel des signaux de la SNCF ; celui-ci n’a apporté au Code Verlant que des modifications mineures, sauf en ce qui concerne l’introduction du clignotement des feux – que l’on ne savait pas réaliser de façon fiable à l’époque de Verlant.
Il est également remarquable que les principes définis par la Commission Verlant ont été repris par la quasi-totalité des réseaux ferroviaires mondiaux et que certains de ces principes, notamment l’utilisation des trois couleurs, vert, jaune, rouge, ont été adoptés pour la signalisation routière sur le plan international.
On peut donc dire qu’Eugène Verlant a été un précurseur ; à ce titre, l’oeuvre de cet homme modeste méritait d’être rappelée à la communauté polytechnicienne.