Un panda

Un aperçu de la pensée chinoise à partir de Confucius et de Laozi

Dossier : Regards sur la ChineMagazine N°589 Novembre 2003Par : Xiaowei Hervé SUN (80)

Connaître la Chine, c’est aus­si connaître l’his­toire de la pen­sée chi­noise, his­toire vieille de plus de deux mille cinq cents ans.
Dans un pay­sage extrê­me­ment riche et diver­si­fié, trois écoles de pen­sée ont joué un rôle majeur dans l’his­toire de la pen­sée chinoise :
• le confu­cia­nisme issu de l’en­sei­gne­ment de Confu­cius (551−479 av. J.-C.),
• le taoïsme issu de Lao­zi (570−490 av. J.-C.)
• et le boud­dhisme fon­dé par Boud­dha (563−483 av. J.-C.) en Inde, dif­fu­sé ulté­rieu­re­ment vers la Chine au Ie siècle de notre ère.
Le pré­sent article four­nit une intro­duc­tion au confu­cia­nisme et au taoïsme qui prennent leurs racines dans les cultures et tra­di­tions des dynas­ties antiques chinoises.
Cet article s’at­tache, en s’ap­puyant sur des extraits les plus repré­sen­ta­tifs des deux œuvres prin­ci­pales (Entre­tiens pour le confu­cia­nisme et Livre de la Voie et de sa Ver­tu ou Tao To King selon la tra­duc­tion pho­né­tique pour le taoïsme), à four­nir une vue sim­pli­fiée mais néan­moins signi­fi­ca­tive de ces deux écoles de pensée.Confucius et le confucianisme.

Confucius et le confucianisme

Confu­cius a vécu vers la fin de la dynas­tie Zhou antique dite Prin­temps et Automnes et au début d’une longue période de guerres en Chine entre les dif­fé­rentes prin­ci­pau­tés féo­dales appe­lées Royaumes com­bat­tants par les his­to­riens chi­nois. Cette période trouble (Ve-IIIe siècle avant Jésus-Christ), qui s’a­che­va par l’u­ni­fi­ca­tion de la Chine en 221 avant J.-C. avec la fon­da­tion de la dynas­tie Qin, a été un âge d’or de la pen­sée chi­noise. Le confu­cia­nisme, né dans ce contexte, se don­na pour mis­sion de four­nir des conseils aux princes et d’é­du­quer les hommes afin de pré­ser­ver et res­tau­rer le sys­tème ances­tral de la Chine féo­dale, sys­tème idéal, conforme à la Voie du Ciel, aux yeux de Confucius.

Confu­cius n’a rien écrit de son vivant. Il trans­met son ensei­gne­ment dans les écoles qu’il a fon­dées de manière orale. Confor­mé­ment à son ensei­gne­ment, « faire d’a­bord ce qu’il veut ensei­gner, ensuite il enseigne », il est lui-même l’exemple à suivre pour ses dis­ciples. Les oeuvres connues de nos jours ont été écrites par ses dis­ciples : Entre­tiens (terme chi­nois Lunyu), Grande Étude (terme chi­nois Daxue), Juste milieu (terme chi­nois Zhon­gyong). Entre­tiens est un livre qui rap­porte les dis­cours et les vécus de Confu­cius. C’est le témoi­gnage le plus vivant qui nous soit par­ve­nu sur sa per­son­na­li­té et son enseignement.

Ain­si, le confu­cia­nisme s’ar­ti­cule autour des axes de pré­oc­cu­pa­tion suivants :

  • l’homme de bien (terme chi­nois Jun­zi),
  • la ver­tu (terme chi­nois Ren),
  • l’art de gouverner.

Le confu­cia­nisme consi­dère l’homme de bien comme un idéal. Un homme de bien est doté de toutes les qua­li­tés. C’est un homme qui agit sui­vant la Ver­tu. Il s’op­pose à l’homme de peu (terme chi­nois Xiao­ren). L’art de gou­ver­ner réside dans la qua­li­té du prince en tant qu’­homme de bien et qui agit sui­vant les rites ances­traux confor­mé­ment à la Voie du Ciel.

L’homme de bien

Un homme quel­conque peut deve­nir un homme de bien ou au moins s’en appro­cher par l’é­tude et l’ap­pren­tis­sage et par la pra­tique sans relâche. Entre­tiens four­nit un ensemble de pra­tiques (cf. extraits ci-après) concrètes per­met­tant d’a­gir en homme de bien.

Étude et apprentissage

  • Apprendre quelque chose pour pou­voir le vivre à tout moment, n’est-ce pas là source de grand plai­sir ? Rece­voir un ami qui vient de loin, n’est-ce pas la plus grande joie ? Être mécon­nu des hommes sans en prendre ombrage, n’est-ce pas le fait de l’homme de bien ?
  • Apprendre sans éprou­ver la satié­té, ensei­gner sans se lasser.
  • Mon inquié­tude : ne pas édu­quer le sens moral, ne pas pro­gres­ser dans l’é­tude, ne pas appli­quer la jus­tice et accom­plir la géné­ro­si­té, ne pas cor­ri­ger les fautes commises.
  • Si je voyage avec deux com­pa­gnons, tous deux peuvent me ser­vir de maîtres. J’exa­mine ce que le pre­mier a de bon et je l’i­mite ; les défauts du second, je tâche de les cor­ri­ger en moi-même.
  • Étu­dier sans réflé­chir est vain, réflé­chir sans étu­dier est dangereux.

Connais­sance et savoir

  • Savoir véri­table : sait ce que l’on sait et sait ce que l’on ne sait pas.
  • Exa­mi­ner ce qu’il fait, exa­mi­ner com­ment il s’y prend pour faire ce qu’il fait, exa­mi­ner la rai­son pour laquelle il fait ce qu’il fait : com­ment peut-on ne pas le connaître ?

Parole et action

  • L’homme de bien parle avec cir­cons­pec­tion, agit avec promptitude.
  • Faire d’a­bord ce qu’il veut ensei­gner, ensuite il enseigne.

Soi et les autres

  • Ne faites pas à autrui ce que vous ne vou­driez pas qu’on vous fasse à vous-même.
  • L’homme de bien attend tout de lui-même. L’homme de peu attend tout des autres.
  • Ne crains pas d’être mécon­nu des autres (de ses propres qua­li­tés), crains de ne pas connaître les autres (leurs qualités).
  • L’homme de bien exprime son opi­nion pour convaincre afin de recher­cher l’adhé­sion et non le confor­misme. L’homme de peu recherche le confor­misme sans obte­nir l’adhésion.
  • Il y a trois sortes d’a­mis qui sont utiles et trois sortes d’a­mis qui sont nui­sibles. Amis utiles : amis intègres, amis sin­cères, amis culti­vés. Amis nui­sibles : amis qui flattent pour tirer des béné­fices, amis qui trompent par leur appa­rence, amis qui ont de belles paroles mais sans valeurs.
  • L’homme de bien ne com­met pas les quatre fautes sui­vantes : conclu­sion hâtive (sans véri­fier les faits), affir­ma­tion caté­go­rique, opi­niâ­tre­té, avoir rai­son (non fon­dée) seul contre tous.

Ama­bi­li­té, poli­tesse, dou­ceur, défé­rence, déter­mi­na­tion, cou­rage, compétence

  • L’homme de bien est affable, doux, poli, modeste et déférent.
  • L’homme de bien s’at­tache à la jus­tice et à la fra­ter­ni­té. L’homme de peu s’at­tache au profit.
  • L’homme de bien est affable mais ferme, impo­sant mais sans bru­ta­li­té, res­pec­tueux et serein.
  • L’homme de bien est déter­mi­né et cou­ra­geux. Le far­deau est lourd, le voyage est long. Son far­deau, c’est la pra­tique de la ver­tu, n’est-ce pas lourd ? Son voyage ne fini­ra qu’a­près la mort, n’est-ce pas long ?
  • L’homme éclai­ré ne doute pas, l’homme ver­tueux n’est pas anxieux, l’homme cou­ra­geux n’a pas peur.
  • Ne t’af­flige pas d’être mécon­nu des hommes, mais plu­tôt d’être incompétent.

Atti­tude envers des fautes commises

  • . Ne pas se cor­ri­ger après une faute, c’est là qu’est la faute.

Pré­voyance

  • Celui qui ne pré­voit pas loin aura des dif­fi­cul­tés de près.

Richesse et pauvreté

  • Être pauvre sans l’a­vi­di­té, être riche sans l’or­gueil, c’est bien. Être pauvre sans perdre la joie de vivre, être riche sans perdre la géné­ro­si­té, c’est mieux.
  • Il est plus dif­fi­cile de se défendre de l’a­mer­tume dans la pau­vre­té que de l’or­gueil dans l’opulence.

Har­mo­nie sociale

  • Ministre : ser­vir loya­le­ment son prince ; fils : avoir de la pié­té envers les parents ; femme : être fidèle à son mari ; cadet : res­pec­ter l’aî­né ; ami : être sin­cère envers ses amis.

La vertu

Un pan­da

La ver­tu sui­vant le confu­cia­nisme n’est rien d’autre que l’en­semble des qua­li­tés et des com­por­te­ments néces­saires à l’homme de bien. Agir en confor­mi­té sui­vant la ver­tu, c’est suivre la Voie du Ciel, en confor­mi­té avec les prin­cipes universels.

  • Acqué­rir de vastes connais­sances, for­ger une volon­té ferme, inter­ro­ger avec insis­tance, mettre en pra­tique les connais­sances acquises pour résoudre des pro­blèmes concrets : voi­là la ver­tu d’humanité.
  • L’homme de bien fait atten­tion à neuf choses : bien voir ce qu’il regarde, bien entendre ce qu’il écoute, être affable, être défé­rent, être sin­cère, être dili­gent, inter­ro­ger les autres dans le doute, se mettre en colère en exa­mi­nant les consé­quences, prendre les biens en exa­mi­nant l’équité.
  • Il ne faut pas s’é­car­ter des grands prin­cipes même si l’on com­met encore de petites fautes.

L’art de gouverner

Pour Confu­cius, bien gou­ver­ner, c’est gou­ver­ner en sui­vant la Voie du Ciel, c’est-à-dire en confor­mi­té avec la ver­tu, en sui­vant les rites des anciens. Il est plus impor­tant de gou­ver­ner en sui­vant la Voie que d’ap­pli­quer des lois et des châtiments.

  • L’art de gou­ver­ner, c’est d’être dans la Voie. Si vous êtes dans la Voie, qui ose­rait dévier ?
  • Gou­ver­ner à force de lois, main­te­nir l’ordre à coups de châ­ti­ments, le peuple se conten­te­ra d’ob­tem­pé­rer, sans éprou­ver la moindre honte. Gou­ver­ner par la ver­tu, har­mo­ni­ser par les rites, le peuple non seule­ment connaî­tra la honte, mais se régu­le­ra de lui-même.
  • Pour obte­nir l’adhé­sion du peuple : employer les hommes ver­tueux et écar­ter les hommes vicieux.
  • Si l’on gou­verne l’É­tat avec la ver­tu, on est consi­dé­ré comme une étoile polaire, soli­de­ment en place et entou­rée des autres astres.

Gou­ver­ner, c’est aus­si gagner la confiance du peuple, consi­dé­rée comme plus impor­tante encore que les vivres et les armes, comme en témoigne le dia­logue suivant :

« ZigongQu’est-ce que gouverner ? 
Le Maître - C’est veiller à ce que le peuple ait assez de vivres, assez d’armes et s’as­su­rer de sa confiance. 
Zigong - Et s’il fal­lait se pas­ser d’une de ces trois choses, laquelle serait-ce ? 
Le Maître - Les armes. 
Zigong - Et des deux autres, laquelle serait-ce ? 
Le Maître - Les vivres. De tout temps, les hommes sont sujets à la mort. Mais sans la confiance du peuple, l’É­tat n’exis­te­rait pas. »

Laozi et le taoïsme

Le taoïsme s’est déve­lop­pé à par­tir d’une oeuvre fon­da­trice, le Livre de la Voie et de sa Ver­tu ou tra­duc­tion pho­né­tique du titre chi­nois, Tao (la Voie) To (la Ver­tu) King. Ce livre, conte­nant 81 cha­pitres avec un total de 5000 carac­tères envi­ron, est attri­bué à Lao­zi (tra­duit éga­le­ment en Lao-tseu). En effet, même de nos jours, il n’existe pas de cer­ti­tude quant à l’au­then­ti­ci­té de Lao­zi ni la date pré­cise où Tao To King fut écrit. Néan­moins, les textes de Tao To King ont déjà fait l’ob­jet de com­men­taires dans des ouvrages datés de 280 avant Jésus-Christ témoi­gnant ain­si son exis­tence avant la fon­da­tion de la dynas­tie Qin, vers la fin de la période des Royaumes combattants.

Beau­coup de légendes existent aus­si bien autour de Lao­zi que du livre Tao To King. Ain­si, on raconte que le livre Tao To King fut écrit par Lao­zi, lors­qu’il déci­da de quit­ter le pays Zhou où il vivait et tra­vaillait en tant qu’ar­chi­viste royal. En arri­vant à la der­nière passe avant de péné­trer dans la steppe, l’of­fi­cier gar­dien lui deman­da de com­po­ser un livre pour lui. Ain­si est né Tao To King. Après avoir écrit le livre, Lao­zi s’en alla vers l’Ouest et nul ne sait où il mourut.

La pensée de Laozi

Les pen­seurs chi­nois avaient la tra­di­tion d’ob­ser­ver les phé­no­mènes natu­rels et d’en tirer les règles de conduite de la socié­té humaine à par­tir de leur obser­va­tion. C’est ce que fit Lao­zi dans Tao To King. Ce livre aborde d’a­bord le Tao, une sorte de prin­cipe natu­rel. À par­tir de ce prin­cipe natu­rel, Lao­zi déduit des règles de conduite pour le prince en tant qu’art de gou­ver­ne­ment ou tout sim­ple­ment pour qui­conque vou­lant deve­nir plus sage. To est ain­si la mani­fes­ta­tion et l’ap­pli­ca­tion du Tao à l’homme et à toutes choses.

Tao selon Laozi

Pour Lao­zi, le Tao est la réa­li­té ultime, dans son tout, son prin­cipe et son ori­gine. Tao existe avant toute chose. Cepen­dant, Tao est imper­cep­tible, indes­crip­tible. Tao To King com­mence ainsi :

Un tao dont on peut par­ler n’est pas le Tao permanent.
Un nom qui peut ser­vir à nom­mer n’est pas le Nom permanent.
Ce qui est sans nom est ori­gine du Ciel et de la Terre.
Ce qui a un nom est Mère des dix mille êtres.
(§ 1)

Et le cha­pitre 14 pré­cise la pro­prié­té imper­cep­tible du Tao :

Vous regar­der le Tao et vous ne le voyez pas : on le dit incolore.
Vous l’é­cou­tez et vous ne l’en­ten­dez pas : on le dit aphone.
Vous vou­lez le tou­cher et vous ne l’at­tei­gnez pas : on le dit incor­po­rel.
(§ 14)

Tao, imper­cep­tible et insai­sis­sable, est à l’o­ri­gine de l’univers :

Le Tao engendre l’Un
Un engendre Deux
Deux engendre Trois
Trois les dix mille êtres
Les dix mille être portent le Yin sur le dos et le Yang dans les bras
Mêlant leurs souffles, ils réa­lisent l’har­mo­nie.
(§ 42)

Manifestation du Tao dans le monde sensible

Bien que Tao soit imper­cep­tible, sa mani­fes­ta­tion dans le monde sen­sible l’est. Et à par­tir de là, Lao­zi fit un cer­tain nombre d’ob­ser­va­tions, sou­vent ori­gi­nales et à l’en­contre des idées géné­ra­le­ment admises.

Le déve­lop­pe­ment de la nature

Bien que le Tao soit à l’o­ri­gine de la nature, celle-ci se déve­loppe sans l’in­ter­ven­tion expli­cite du Tao. La nature se déve­loppe par elle-même, pour elle-même. De là naît l’i­dée la plus impor­tante du taoïsme : le non-agir (wuwei).

Le Tao pro­duit les êtres, la Ver­tu les nour­rit. Ils leur donnent un corps et les per­fec­tionnent par une secrète impul­sion. C’est pour­quoi tous les êtres révèrent le Tao et honorent la Vertu. 
Per­sonne n’a confé­ré au Tao sa digni­té, ni à la Ver­tu sa noblesse : ils les pos­sèdent éter­nel­le­ment en eux-mêmes. 
C’est pour­quoi le Tao pro­duit les êtres, les nour­rit, les fait croître, les per­fec­tionne, les mûrit, les ali­mente, les protège. 
Il les pro­duit et ne se les appro­prie point ; il les fait ce qu’ils sont et ne s’en glo­ri­fie point ; il règne sur eux et les laisse libres. C’est là ce qu’on appelle une ver­tu pro­fonde. (§ 51)

L’al­ter­nance des événements

Les phé­no­mènes natu­rels sont sou­vent cycliques et les dif­fé­rents états alternent : le jour et la nuit ; les quatre sai­sons : prin­temps, été, automne, hiver ; le cycle de vie d’une plante : le grain, la plante, la fleur et de nou­veau le grain ; la nais­sance et la mort… Ain­si, toute chose est for­mée d’un couple de poten­tiels : le Yin et le Yang. Elle évo­lue de l’un vers l’autre sans fron­tière claire.
Les dix mille êtres se déve­loppent ; je contemple les allées et venues. (§ 16)

Le para­doxe

Nos sens de per­cep­tion et nos juge­ments sont par­fois trom­peurs. Aus­si, dans cer­taines cir­cons­tances, ce qui est juste et utile n’est pas néces­sai­re­ment ce que nous croyons. Par exemple, entre le vide et la matière, c’est par­fois le vide qui est plus utile que la matière.

Les trente rayons d’une roue ont en com­mun un seul moyeu : or c’est là où il n’y a rien que réside l’u­ti­li­té du char. On façonne l’ar­gile en forme de vase : or c’est là où il n’y a rien que réside l’u­ti­li­té du vase. 
On perce des portes et des fenêtres pour faire une mai­son : or c’est là où il n’y a rien que réside l’u­ti­li­té de la maison. 
Ain­si, nous croyons béné­fi­cier des choses sen­sibles, mais c’est là où nous n’a­per­ce­vons rien que réside l’u­ti­li­té véri­table. (§ 11)

La rela­ti­vi­té des valeurs

Lao­zi pense que les pro­prié­tés du monde sen­sible sont rela­tives : à chaque pro­prié­té existe son oppo­sé et les deux pro­prié­tés existent simul­ta­né­ment par cette oppo­si­tion. Ain­si sont éga­le­ment les valeurs humaines.

Quand cha­cun tient le beau pour beau vient le laid. 
Quand cha­cun tient le bien pour bien vient le mal. 
Il y a et il n’y a pas s’engendrent. 
Aisé et mal­ai­sé se complètent. 
Long et court ren­voient l’un à l’autre. 
Haut et bas se penchent l’un vers l’autre. 
Musique et bruit consonent ensemble. 
Devant et der­rière se suivent. (§ 2)

La méta­phore de l’eau

L’eau consti­tue une source d’ins­pi­ra­tion inta­ris­sable pour Lao­zi. Par exemple, pour illus­trer la posi­tion humble de l’eau pour­tant béné­fique à tout :

L’eau béné­fique à tout n’est rival de rien. Elle séjourne aux bas-fonds dédai­gnés de cha­cun. (§ 8)

Pour illus­trer la posi­tion infé­rieure du fleuve et de la mer pour­tant rois des eaux :

Pour­quoi les fleuves et les mers peuvent-ils être les rois de toutes les eaux ? 
Parce qu’ils savent se tenir au-des­sous d’elles. 
C’est pour cela qu’ils peuvent être les rois de toutes les eaux. (§ 66)

Pour illus­trer le doux triom­phant du dur :

Rien au monde n’est plus souple et plus faible que l’eau, 
Mais pour enta­mer dur et fort, rien ne la surpasse. 
Rien ne sau­rait prendre sa place. 
Que fai­blesse prime force. 
Et sou­plesse dureté. 
Nul sous le ciel qui ne le sache. (§ 78)

Tao appliqué à l’art de gouverner et à la conduite de l’homme

Le non-agir

À l’ins­tar du Tao qui engendre les dix mille êtres tout en étant imper­cep­tible, un sou­ve­rain idéal est celui qui « gou­verne sans que le peuple per­çoive son exis­tence » (§ 17). Com­ment fait-il pour y par­ve­nir ? La méthode prin­ci­pale à suivre est celle de non-agir. Non-agir non pas pour ne rien faire, mais faire de sorte « qu’il n’est rien qui ne se fasse » (§ 48). Selon Lao­zi, « gou­ver­ner un grand pays, on doit imi­ter celui qui cuit un petit pois­son » (§ 60). En effet à force de remuer, on ne peut pas le pré­ser­ver entier.

Avec la droi­ture, on gou­verne le royaume ; avec la ruse, on fait la guerre ; avec le non-agir, on devient le maître de l’empire. Com­ment sais-je qu’il en est ain­si de l’empire ? Par ceci : 
Plus le roi mul­ti­plie les pro­hi­bi­tions et les défenses, et plus le peuple s’appauvrit. 
Plus le peuple a d’ins­tru­ments de lucre, et plus le royaume se trouble. 
Plus le peuple a d’a­dresse et d’ha­bi­le­té, et plus l’on voit fabri­quer des objets bizarres. Plus les lois se mani­festent, et plus les voleurs s’accroissent. 
C’est pour­quoi le Saint dit : Je pra­tique le non-agir, et le peuple se conver­tit de lui-même. 
J’aime la quié­tude, et le peuple se rec­ti­fie de lui-même. 
Je m’abs­tiens de toute occu­pa­tion et le peuple s’en­ri­chit de lui-même. 
Je me dégage de tous dési­rs, et le peuple revient de lui-même à la sim­pli­ci­té. (§57)

Res­pec­ter le prin­cipe et le rythme de la nature

Agir sui­vant le Tao, c’est res­pec­ter le prin­cipe natu­rel, suivre le rythme natu­rel, conduire des actions en confor­mi­té avec la réa­li­té. Sou­vent, à force de vou­loir aller vite, on obtient le résul­tat contraire.

Pour gou­ver­ner, il faut imi­ter la Terre. 
La Terre imite le Ciel. 
Le Ciel imite le Tao. 
Le Tao est le prin­cipe de la nature. (§25)

Qui se hisse sur la pointe des pieds ne tient pas debout. 
Qui met les enjam­bées doubles n’ar­rive pas à marcher. 
Qui se pousse aux yeux de tous est sans lumière. 
Qui se donne tou­jours rai­son est sans gloire. 
Qui se vante de ses talents est sans mérite. 
Qui se targue de ses suc­cès n’est pas fait pour durer. (§ 24)

Le sou­ve­rain, le peuple et son royaume

Tout comme le fleuve et la mer, rois des eaux, qui doivent occu­per une posi­tion basse, un sou­ve­rain doit imi­ter la nature. Ses inté­rêts per­son­nels doivent venir der­rière ceux du peuple. Il est au ser­vice de son royaume mais ne le pos­sède pas.

Pour­quoi les fleuves et les mers peuvent-ils être les rois de toutes les eaux ? 
Parce qu’ils savent se tenir au-des­sous d’elles. 
C’est pour cela qu’ils peuvent être les rois de toutes les eaux. 
Aus­si lorsque le Saint désire être au-des­sus du peuple, il faut que, par ses paroles, il se mette au-des­sous de lui. 
Lors­qu’il désire être pla­cé en avant du peuple, il faut que, de sa per­sonne, il se mette après lui. 
De là vient que le Saint est pla­cé au-des­sus de tous et il n’est point à la charge du peuple ; il est pla­cé en avant de tous et le peuple n’en souffre pas. 
Aus­si tout l’empire aime à le ser­vir et ne s’en lasse point. 
Comme il ne dis­pute pas le pre­mier rang, il n’y a per­sonne dans l’empire qui puisse le lui dis­pu­ter. (§ 66)

Le Tao et l’u­sage des armes

Lao­zi est fon­da­men­ta­le­ment un paci­fiste. Il est contre l’u­sage des armes pour régner ou conqué­rir un empire. Au cas où on est obli­gé d’u­ti­li­ser les armes, il faut le faire en restrei­gnant leur usage à la stricte néces­si­té. On ne se réjouit pas d’une vic­toire obte­nue par la nécessité.

Celui qui aide le maître des hommes par le Tao ne doit pas sub­ju­guer l’empire par les armes. 
Quoi qu’on fasse aux hommes, ils rendent la pareille. 
Par­tout où séjournent les troupes, on voit naître les épines et les ronces. 
À la suite des grandes guerres, il y a néces­sai­re­ment des années de disette. 
L’homme ver­tueux frappe un coup déci­sif et s’ar­rête. Il n’ose sub­ju­guer l’empire par la force des armes. 
Il frappe un coup déci­sif et ne se vante point, ne se glo­ri­fie point, ne s’e­nor­gueillit point. (§ 30)

Alter­nance appli­quée à la conduite de l’homme

Tout comme les phé­no­mènes de la nature, les affaires de l’homme alternent éga­le­ment entre la chance et la mal­chance, la force et la fai­blesse, la paix et la guerre, la vie et la mort, etc. Pour Lao­zi, « Le bon­heur peut naître du mal­heur, et le mal­heur peut naître du bon­heur. Qui peut en pré­voir la fin ? » (§ 58)

Influence du confucianisme et du taoïsme en Chine

Bien que Confu­cius lui-même n’ait joué qu’un rôle mineur sur la scène poli­tique chi­noise (il a été pen­dant une période le ministre de la Jus­tice de la Prin­ci­pau­té de Lou), le confu­cia­nisme, sou­vent adop­té en tant que doc­trine offi­cielle, a façon­né, en deux mille cinq cents ans, pro­fon­dé­ment l’es­prit des Chi­nois, notam­ment l’es­prit des intel­lec­tuels. Son appren­tis­sage est sou­vent obli­ga­toire pour deve­nir man­da­rins, hauts fonc­tion­naires de l’Em­pire du Milieu.

En tant qu’art de gou­ver­ner, l’ef­fi­ca­ci­té du confu­cia­nisme, notam­ment dans des périodes troubles des Royaumes com­bat­tants, est à com­pa­rer avec celle d’autres écoles qui ont joué un rôle au moins aus­si impor­tant sinon plus dans la des­ti­née des dynas­ties chi­noises. C’est le cas notam­ment de l’é­cole légiste dont l’o­ri­gine remonte à Xun­zi (300−235 av. J.-C.), qua­li­fié d’hé­ri­tier réa­liste de Confu­cius. Les pen­seurs de cette école, réa­listes et nova­teurs, recherchent l’ef­fi­ca­ci­té du gou­ver­ne­ment par la pro­mul­ga­tion de lois pénales valables pour tous et des sys­tèmes orga­ni­sa­tion­nels ration­nels. La fon­da­tion de la dynas­tie Qin aidée par les légistes est une preuve élo­quente de son effi­ca­ci­té. La pen­sée légiste, bien que radi­ca­le­ment dif­fé­rente de celle de Lao­zi à bien des égards, s’ins­pire néan­moins du taoïsme. On trouve ain­si les com­men­taires les plus anciens de Lao­zi dans l’ou­vrage de Han Fei­zi (280−233 av. J.-C.), par­mi des cen­taines de com­men­taires qui ont été écrits sur Lao­zi, dont un sous la plume d’un empe­reur de la dynas­tie Tang et un autre par un empe­reur de la dynas­tie Song.

Cepen­dant le confu­cia­nisme, four­nis­sant un modèle idéal de l’homme de bien, est cer­tai­ne­ment sous bien des aspects une pen­sée éthique avec ses carac­tères uni­ver­sels, donc une pen­sée durable.

On note par ailleurs la pro­fonde influence du taoïsme sur la lit­té­ra­ture chi­noise, l’art chi­nois ain­si que le déve­lop­pe­ment de la science et de la méde­cine en Chine.

Note : les extraits de Confu­cius et de Lao­zi cités dans le pré­sent article sont issus soit des ouvrages réfé­ren­cés ci-des­sous, par­fois avec adap­ta­tion, soit d’une tra­duc­tion per­son­nelle à par­tir du texte chi­nois.

Biblio­gra­phie

[1] Confu­cius, Entre­tiens du Maître avec ses dis­ciples, tra­duit du chi­nois par Sta­nis­las COUVREUR.
Tra­duc­tion revue et anno­tée par Muriel Baryo­sher- Che­mou­ny, Éd. Mille et une nuits, 1997.

[2] KALTENMARK Max, Lao Tseu et le Taoïsme sui­vi du Tao-To-King de Lao Tseu, tra­duc­tion de Sta­nis­las JULIEN, Éd. Robert LAFFONT, 1974.

[3] Xun Zi, tra­duit du chi­nois par Ivan P. KAMENAROVIC, Éd. du Cerf, 1987.

[4] Han-Fei-tse ou Le Tao du Prince pré­sen­té et tra­duit du chi­nois par Jean LEVI, Éd. du Seuil, 1999.

[5] CHENG Anne, His­toire de la pen­sée chi­noise, Éd. du Seuil, 1997.

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Robert Séguinrépondre
1 avril 2016 à 16 h 53 min

san­té et auto-gué­ri­son
Je vou­drais en savoir d’a­van­tage sur la san­té et la Chine. Par­ti­cu­liè­re­ment sur le Qi Gong où l’on parle beaucoup
de l’éner­gie (le chi) que l’on bouge et déplace. L’Oc­ci­dent et sa méde­cine cura­tive a peu déve­lop­pé l’i­dée que le patient peut se gué­rir lui-même.

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