Un défi colossal pour la recherche, la formation et l’innovation
L’humanité est confrontée à un défi climatique d’ampleur inégalée, et dont l’origine humaine ne fait plus de doute. Dix laboratoires de l’X se sont regroupés au sein du programme Trend‑X afin de répondre collectivement aux enjeux de la transition énergétique impliquée par ce défi.
La figure 1, issue du dernier rapport du groupe 1 du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sur la physique du climat, illustre le défi climatique. Elle montre le changement de la température moyenne globale à la surface de la Terre par rapport à la fin du xxe siècle pour différents scénarios d’émission de gaz à effet de serre, dénommés RCP (pour Representative Concentration Pathway).
Des scénarios préoccupants
Ces scénarios correspondent à quatre trajectoires du forçage radiatif jusqu’à l’horizon 2300.
Ils ont été établis par le Giec pour son cinquième rapport d’évaluation, AR5 (IPCC Fifth Assessment Report). Un scénario RCP permet de modéliser le climat futur. Dans l’AR5, sur la base de quatre hypothèses différentes concernant la quantité de gaz à effet de serre qui sera émise dans les années à venir (période 2000–2100), chaque scénario RCP donne une variante jugée probable du climat qui résultera du niveau d’émission choisi comme hypothèse de travail. Les quatre scénarios sont nommés d’après la gamme de forçage radiatif ainsi obtenue pour l’année 2100 : le scénario RCP2.6 correspond à un forçage de +2,6 W/m2, le scénario RCP4.5 à +4,5 W/m2, et de même pour les scénarios RCP6 et RCP8.5. Plus cette valeur est élevée, plus le système Terre-atmosphère gagne en énergie et se réchauffe. La figure 1 montre que, selon le scénario, le réchauffement pourrait être de 1 °C à 4 °C en moyenne. En 2009, lors de la COP 15, la communauté internationale réunie à Copenhague s’est accordée sur un objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 °C. Ce seuil a été proposé en référence à une période du passé, où cette température moyenne avait été atteinte sans qu’il se produise de catastrophe climatique. Néanmoins, comme l’évolution du climat n’est pas linéaire, il n’y a aucune certitude qu’au-delà d’un réchauffement global de 2 °C ne survienne un emballement climatique, en réponse à des phénomènes encore mal appréciés comme l’augmentation des émissions de méthane dans l’atmosphère – un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2 – provoquée par la fonte du permafrost. La prudence incite donc à respecter cette limite des 2 °C, qui n’est pas absolue mais qui, si elle était dépassée, augmenterait le risque d’une bifurcation aux conséquences potentiellement dramatiques.
De l’analyse scientifique à la politique énergétique
L’analyse des modèles climatiques a abouti à un résultat d’une simplicité trompeuse : le réchauffement climatique dépend presque linéairement de la quantité de carbone émise, plutôt que des détails du scénario d’émission particulier. Cela est dû au fait que le facteur le plus important du réchauffement planétaire est la quantité totale de gaz à effet de serre émise depuis l’ère préindustrielle, et non les variations des émissions chaque année. La figure 2 représente l’augmentation de température moyenne à la surface de la Terre par rapport à l’ère préindustrielle rapportée aux émissions cumulées de CO2 depuis 1870. Pour connaître la valeur du réchauffement climatique global en 2100, il suffit de connaître la quantité totale de carbone émise jusque-là. Ce que l’on constate c’est que, quel que soit le scénario, un réchauffement global d’environ 2 °C est atteint autour de 2050. C’est à partir de ce seuil que l’on peut observer une différenciation nette des trajectoires. Ce comportement est également très net sur la figure 1.
L’enjeu donc est de mettre en œuvre des politiques permettant à l’augmentation de température de tangenter le seuil des 2 °C sans le dépasser.
En 2017, le secteur de l’énergie représente près de 50 % des émissions de CO2 dont environ 40 % pour la production d’électricité. Le secteur des transports représente environ 25 à 30 % des émissions. Limiter le réchauffement climatique global nécessite donc de revoir en profondeur les politiques énergétiques.
Maintenir le réchauffement global en dessous de la limite de 2 °C est un défi colossal qui doit se traduire par une modification radicale de nos comportements et passe en grande partie par une révolution à imaginer dans le contexte énergétique : pour le seul secteur électrique, le défi à relever est considérable puisque la fraction des technologies bas carbone, qui incluent entre autres énergie nucléaire et énergies renouvelables, devra atteindre près de 65 % dans la production d’énergie primaire et près de 100 % pour le seul secteur électrique.
À la COP 21 à Paris, 195 pays adoptent le premier accord mondial concernant le climat, dans lequel les pays s’engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre en rendant publique une contribution décidée à l’échelle nationale (Intended Nationally Determined Contributions, INDC). Ces contributions sont néanmoins encore bien insuffisantes car les solutions globales n’existent pas. De nombreux freins existent encore à la mise en œuvre de politiques d’ambition suffisante pour amener les émissions nettes de carbone à zéro entre 2050 et 2100 : le choix du bouquet énergétique et en particulier la part respective de l’énergie nucléaire par rapport aux énergies renouvelables, la capacité d’injecter des sources d’énergies intermittentes dans le réseau, la décentralisation des actifs de production, le marché de l’électricité…
Un programme de recherche interdisciplinaire au cœur de l’École polytechnique
Le regroupement de dix laboratoires du centre de recherche de l’École au sein du programme Trend‑X s’est fait dans une démarche de répondre collectivement aux enjeux de la transition énergétique en apportant des expertises variées. Il permet une approche multidisciplinaire unique de la transition énergétique allant des sciences sociales et économiques, aux sciences des matériaux et de l’ingénieur, aux mathématiques appliquées et informatique jusqu’aux géosciences. Ce programme rassemble environ 30 chercheurs, enseignants chercheurs et ingénieurs et autant de doctorants et postdoctorants. Cette recherche doit être le socle de l’innovation de demain et doit également irriguer les formations de l’École polytechnique pour former les ingénieurs et décideurs de demain.
En quatre ans, le programme s’est largement développé avec le soutien de la Fondation de l’École polytechnique et s’est structuré autour de trois grands axes : les « matériaux et systèmes de conversion et de stockage » avec pour objectif de développer des composants innovants pour des systèmes de conversion énergétique et de stockage afin d’améliorer leur rendement, leur durée de vie et de diminuer leur coût ; les « bâtiments intelligents », réseaux électriques de petite taille qui alimentent des bâtiments et des quartiers en énergies renouvelables avec des moyens de stockage, avec pour objectif d’analyser, de modéliser et de mettre en œuvre la production, le stockage et les pratiques de consommation pour une gestion optimale de ces microréseaux ; et enfin la « prospective énergétique » avec pour objectif d’appréhender de façon plus globale et contextualisée la question de la transition énergétique. Cet axe intègre la ville comme « objet » au cœur de la mutation énergétique, la gestion intelligente et sécurisée des réseaux électriques et de leur interconnexion à différentes échelles spatiales (du régional au continental) et l’élaboration de scénarios de bouquet énergétique dans un contexte de changement climatique.
La recherche au service de la formation et de l’innovation
Trend‑X constitue également le support d’une offre d’enseignement large s’adressant à trois publics différents. Il s’agit tout d’abord des parcours polytechniciens, « Science et Défis pour l’Environnement » et « Énergies du xxie siècle », qui se sont progressivement élargis aux étudiants des masters WAPE sur l’environnement ou REST sur les énergies renouvelables. L’offre de formation de l’École s’est élargie au niveau international avec le graduate degree STEEM (Science and Technology for Environment and Energy Management) et le graduate degree Smart Cities and Urban Policy. Enfin, les enjeux de la transition énergétique doivent maintenant irriguer la société et doivent pouvoir déboucher au niveau local sur des projets d’infrastructures dans un cadre réglementaire contraint. Les acteurs de ces projets sont l’État, les collectivités territoriales, les petits et gros industriels du secteur de l’énergie. C’est le public visé dans un projet de formation continue sur la transition énergétique fondé sur la recherche interdisciplinaire de Trend‑X et élaboré avec l’Executive Education de l’École polytechnique.
Enfin, au regard de l’urgence à réduire très significativement les émissions de gaz à effet de serre, il est essentiel de réduire très significativement le temps entre la découverte de la solution innovante et le déploiement industriel de cette innovation. C’est pour cela que le programme Trend‑X est engagé dans l’innovation et le transfert par l’accompagnement de start-up dans leur développement dans le domaine de la transition énergétique et par le partenariat industriel.
Une dimension internationale
En quatre ans, le programme Trend‑X a réussi à acquérir une visibilité forte à l’international avec en particulier une collaboration avec l’université de Berkeley en cours de discussion dans le cadre du programme Écoblock. En associant centres d’enseignement et de recherche, municipalités et industriels, ce programme vise à développer des démonstrateurs d’écobâtiments ou écoquartiers et, une fois la preuve de concept démontrée, les déployer largement à l’échelle mondiale. Le programme Trend‑X porte la contribution française au projet international Écoblock.
REPÈRES
Le groupe d’experts intergouvernemental (Giec) sur l’évolution du climat a publié le 8 octobre dernier son rapport spécial sur le réchauffement planétaire à 1,5 °C. Ce rapport sous-tendra les travaux de la 24e COP (conférence de parties)
qui se réunit début décembre à Katowice, en Pologne, au moment même où paraît ce numéro de La Jaune et la Rouge.
Forçage radiatif
En climatologie, le forçage radiatif est approximativement défini comme la différence entre l’énergie radiative reçue et l’énergie radiative émise par un système climatique donné. Appliqué au réchauffement climatique, il mesure la propension d’un facteur à perturber l’équilibre énergétique de la Terre (source : Wikipedia).
2 000 MILLIARDS DE TONNES DE CO2 ACCUMULÉES
Jusqu’à aujourd’hui, environ 2 000 GtCO2 ont été cumulés dans l’atmosphère, dont environ 35 % proviennent du charbon en lien étroit avec la production d’électricité et de chaleur, 25 % du pétrole, 10 % du gaz et 30 % de la déforestation.
Une démarche fédératrice pour NewUni
Cette démarche Trend‑X s’est étendue à six autres laboratoires de l’Ensae, l’Ensta ParisTech, de Télécom Paris-Tech et Télécom SudParis qui constituent avec l’École polytechnique le projet de nouvelle université provisoirement intitulé NewUni.