Un diplômé de l'X au service des jeunes de l'aide sociale à l'enfance

Un diplômé de l’X au service des jeunes de l’aide sociale à l’enfance

Dossier : ExpressionsMagazine N°764 Avril 2021
Par Alix VERDET

L’aide sociale à l’enfance est sou­vent pré­sen­tée dans les médias comme le refuge de jeunes mal­trai­tés ou en per­di­tion. Louis Poin­si­gnon (M2018), un jeune alum­ni de 23 ans pas­sion­né d’orientation sco­laire, en pro­pose une tout autre image grâce à son enga­ge­ment asso­cia­tif au ser­vice de ces jeunes, pour lut­ter contre les inéga­li­tés dans l’accompagnement de leur par­cours scolaire.

Louis Poinsignon, fondateur de l'association Les Ombres qui oriente les jeunes de l'aide sociale à l'enfance
Louis Poin­si­gnon, fon­da­teur de l’as­so­cia­tion Les Ombres

Quel est ton parcours ?

J’ai fait une licence d’économie et sciences poli­tiques à l’université Boc­co­ni à Milan et j’ai rejoint l’X en 2018 pour le mas­ter d’économie ana­ly­tique et finance. La moi­tié des effec­tifs était com­po­sée de Poly­tech­ni­ciens en 3A, l’autre moi­tié venait d’un par­cours scien­ti­fique exté­rieur à poly­tech­nique. Nous avons été très bien inté­grés dans la pro­mo et les binets. Je me suis fait plu­sieurs amis par­mi les X que j’ai ren­con­trés. Actuel­le­ment je suis chez McKin­sey en conseil dans le sec­teur public. 

Pourquoi as-tu fondé l’association Les Ombres ? 

Depuis le lycée, j’aime don­ner des aides à l’orientation, à la rédac­tion de lettres de moti­va­tion, de CV. Même à l’X j’aidais mes amis à rédi­ger des lettres de moti­va­tion pour leur 4A. C’est une com­pé­tence que j’ai déve­lop­pée, j’ai même mon­té une boîte qui existe tou­jours – Your Orien­ta­tion – pour faire de l’orientation sco­laire auprès de lycéens. Sou­vent, il existe une asy­mé­trie d’information entre ce qui est deman­dé par l’école et ce que l’étudiant exprime de son parcours. 

Face à ce constat, j’ai com­men­cé à faire de l’orientation béné­vo­le­ment pour des lycéens qui n’avaient pas les moyens d’avoir recours à un conseiller d’orientation et l’on m’a pro­po­sé de mon­ter une asso­cia­tion. J’ai réflé­chi et je me suis dit qu’il fal­lait d’abord s’adresser aux élèves les plus dému­nis en termes d’informations sur l’enseignement supé­rieur. J’ai ain­si ren­con­tré les direc­tions des centres de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et je leur ai pro­po­sé mes ser­vices. Cet accom­pa­gne­ment des cur­sus ne fait pas par­tie des com­pé­tences ni de la mis­sion des édu­ca­teurs, qui sont déjà – nous en sommes témoins – très inves­tis auprès des jeunes.


Les trois objectifs de l’association Les Ombres

  • Favo­ri­ser l’insertion aca­dé­mique dans le supé­rieur : Can­di­da­ture Par­cour­sup, bourses, quelles études pour quels métiers ?
  • Lut­ter contre l’illectronisme : Apprendre à maî­tri­ser les outils numé­riques stan­dards et à s’en ser­vir pour com­mu­ni­quer de manière efficace.
  • Accom­pa­gner les jeunes dans leur recherche d’emploi : Com­ment se pré­sen­ter en entre­tien, com­ment rédi­ger son CV, sa lettre de moti­va­tion, et mettre en avant ses compétences ?

Comment s’est établi ce partenariat avec l’aide sociale à l’enfance ?

Nous sommes allés les démar­cher en contac­tant les centres par cour­riel, en les relan­çant chaque semaine. Ils ont fini par nous rece­voir grâce à notre insis­tance. Pour ces jeunes, c’est une honte d’être dépen­dants de l’aide sociale, ça leur apporte un sen­ti­ment très néga­tif, ils ne veulent pas en par­ler. Ils ont l’impression d’être caté­go­ri­sés, et c’est vrai. Il y a vingt ans on par­lait des pupilles de la Nation, aujourd’hui on les appelle les enfants pla­cés. Ils sont vus presque comme des délin­quants, en marge de la socié­té, alors que ce n’est pas ça du tout. Au contraire, nous les invi­tons à dire dans leur par­cours qu’ils viennent de l’aide sociale pour en faire une force dans leur dos­sier. Ça a été très com­pli­qué à leur faire com­prendre parce qu’on ne maî­trise pas bien l’aspect psy­cho­lo­gique de la situation.

Quel est le profil des jeunes de l’aide sociale à l’enfance ?

Les jeunes sont tous très dif­fé­rents. Une moi­tié est pla­cée en famille d’accueil, l’autre moi­tié est en foyer. Une moi­tié à des ori­gines étran­gères, l’autre moi­tié a des ori­gines fran­çaises. Ce sont des jeunes de la débrouille car ils ont une réa­li­té dif­fi­cile. La moi­tié de ces jeunes, lorsqu’ils atteignent la majo­ri­té, sont un peu lais­sés-pour-compte. Le sys­tème appe­lé contrat jeune majeur per­met à des jeunes de rece­voir, de l’âge de 18 à l’âge de 21 ans, une aide à la sco­la­ri­té, un sou­tien psy­cho­lo­gique et une aide au loge­ment. Or ce contrat jeune majeur est géré par les dépar­te­ments et cer­tains n’en four­nissent pas assez. 

Pour béné­fi­cier d’un contrat jeune majeur, les jeunes doivent pas­ser chaque année un entre­tien qui n’est vrai­ment pas facile. Il y a trois cri­tères : il faut soit avoir un loge­ment, et sou­vent à 18 ans on n’a pas de loge­ment ; soit il faut avoir des res­sources finan­cières ; soit il faut avoir un tra­vail ou être en études aca­dé­miques. Mais sans argent, impos­sible de pos­tu­ler à des études ; sans études, impos­sible d’obtenir un emploi qua­li­fié, etc. Donc c’est un peu un cercle vicieux. J’entends par­ler d’un RSA jeune mais il me semble pré­fé­rable d’envisager un contrat jeune majeur auto­ma­tique. Car ce n’est pas une aide finan­cière de l’État, c’est une liber­té de pou­voir faire des études. J’ai par­fois l’impression que l’oral des grandes écoles est moins dif­fi­cile à vivre que la situa­tion de ces jeunes-là. Nous fai­sons le constat qu’on en demande plus à ceux qui ont moins au départ.

Comment modélises-tu cette aide que l’association leur apporte ?

Nous avons éta­bli un mode d’emploi que nous avons envoyé aux centres avec les­quels nous tra­vaillons en deman­dant de l’imprimer pour chaque jeune, car tous n’ont pas d’adresse e‑mail. Les jeunes, par­fois avec l’aide de leur réfé­rent, nous contactent eux-mêmes via le site Inter­net : www.les-ombres.com et cliquent sur un for­mu­laire très simple pour faire leur demande. Nous trai­tons ces demandes en liai­son avec le réfé­rent du jeune dans un délai d’un mois, un mois et demi. Nous avons une chaîne de sui­vi de chaque béné­vole. Un béné­vole s’engage à suivre un jeune et ne peut se conten­ter d’une aide ponctuelle. 

Pourquoi ce nom de l’association Les Ombres ?

Parce que nous sommes constam­ment dans l’ombre du jeune, pour le suivre au cours de son inser­tion aca­dé­mique, sans vrai­ment être pré­sents mais tou­jours en sou­tien de ses démarches, dans la boucle de mails, etc. Quand il s’agit de contac­ter une admi­nis­tra­tion d’école, on constate qu’elle est plus encline à répondre à un X, à quelqu’un qui maî­trise les codes, qu’à un jeune qui vient de l’ASE. Le but est de mettre en avant les jeunes qui ont des capa­ci­tés et en limi­tant la casse pour les autres, pour créer des exemples. Car ces jeunes ne s’identifient pas aux gens qui réus­sissent dans les maga­zines, ils s’identifient à l’ancien de l’aide sociale qui a réus­si son CAP et qui a main­te­nant un appar­te­ment à Paris. En faire réus­sir un, c’est faire réus­sir tout le groupe. C’est impor­tant de mon­trer qu’il n’y a pas qu’une réus­site mais des réussites.


L’association Les Ombres

  • Créa­tion en sep­tembre 2020
  • Publi­ca­tion au JO le 6 jan­vier 2021
  • 140 jeunes éli­gibles au service
  • 25 béné­voles (en cours de recrutement)
  • Par­te­na­riat avec huit centres de l’aide sociale à l’enfance : Paris, Enghien-les-Bains, Mont­fort l’Amaury, Bourg-la-Reine, Noi­siel, Sens, Auxerre, Le Mans
  • Objec­tif 2022 : Deve­nir le sys­tème d’insertion aca­dé­mique de réfé­rence pour l’aide sociale et éta­blir un par­te­na­riat avec tous les centres de l’ASE en France

En quoi la communauté polytechnicienne peut t’aider ?

Pro­po­ser des dis­po­ni­bi­li­tés pour par­ler à un jeune des études d’ingénieur nous serait d’une grande aide. Nous pen­sons par exemple à un évé­ne­ment qui s’appelle Les pieds dans le plat, en juin 2021, où des per­sonnes avec des car­rières dif­fé­rentes vont racon­ter leur métier avec des mots faciles et concrets pour essayer de don­ner des idées aux jeunes. L’X est par­ti­cu­liè­re­ment adap­tée pour cette aide, car la for­ma­tion d’ingénieur requiert des savoir-faire alors qu’une école de com­merce requiert plu­tôt des savoir-être. Il est donc plus com­pli­qué de s’identifier à un étu­diant en école de com­merce qu’à un étu­diant en école d’ingénieur. 

Si deux ou trois poly­tech­ni­ciens avaient été pupilles de la Nation ou s’ils venaient de l’aide sociale à l’enfance, ce serait très fort pour eux. Et si d’autres sont prêts à relire une lettre de moti­va­tion dans la semaine, à par­ler 30 minutes sur zoom, à aider à rédi­ger un e‑mail pour pos­tu­ler à une alter­nance et se poser en tuteur aca­dé­mique quand il y en a besoin, ce serait déjà beau­coup. Ça me per­met­trait de me cou­cher moins tard ! 

Pourquoi est-ce toi, Louis, qui as fondé cette association, en quoi ça te rejoint ?

Lorsque j’étais lycéen, je me suis ren­du compte que des jeunes de mon âge, qui étaient plus doués que moi mais qui avaient accès à moins d’informations, se tour­naient vers des études moins por­teuses d’opportunités. Nous sommes par­tis avec à peu près les mêmes cartes, et eux-mêmes en avaient plus que moi, mais j’ai ter­mi­né dans une for­ma­tion plus pres­ti­gieuse que la leur, par le fait d’une asy­mé­trie d’information. Savoir où cher­cher l’information, ça s’apprend, cette aide je peux la trans­mettre. Ce n’est pas for­cé­ment les parents, a for­tio­ri quand les jeunes n’en ont pas, qui peuvent les aider. Pour moi il est très impor­tant de rééqui­li­brer cette asy­mé­trie d’information sur le monde aca­dé­mique le plus tôt pos­sible. Car c’est au lycée que se construit le par­cours des jeunes. 

Ça compte vrai­ment pour moi que ces jeunes puissent se rendre compte que leur par­cours n’est pas qu’un échec et qu’il peut même être uti­li­sé comme une réus­site. Ça compte pour moi car eux ne comptent nulle part, dans aucune sta­tis­tique. Ils sont mineurs donc ils n’intéressent pas les pro­jets élec­to­raux. Ils n’ont pas for­cé­ment tous des papiers en règle donc ils n’apparaissent pas dans les fichiers. Et enfin ils sont pris en charge par le sys­tème, ce qui est per­çu comme un don de la nation alors que je consi­dère que c’est un dû. 

Qu’est-ce que tu aimes chez ces jeunes ? Qu’est-ce qu’ils ont que nous n’avons pas ?

Ils ont beau­coup de choses que nous n’avons pas. Quand ils sont contents, ils sont vrai­ment contents. Et quand ça se passe mal, ils ne se plaignent pas, car c’est comme d’habitude. Leur atti­tude favo­rable face aux épreuves est un riche ensei­gne­ment que l’on peut rece­voir d’eux. Je pen­sais que ça allait être triste, par­fois dif­fi­cile, mais pas du tout. Leurs attentes étant beau­coup plus basses que les nôtres, dès qu’il se passe un petit évé­ne­ment inté­res­sant dans leur vie, ils vont en par­ler avec joie pen­dant dix jours. Ils ont une logique d’émerveillement per­ma­nente qui est revigorante. 

Ça nous demande d’être en phase avec leur réa­li­té. Beau­coup de ces jeunes n’ont pas envie de faire dix ans d’études mais veulent pou­voir louer un appar­te­ment, avoir un chez eux, ce qui est déjà un grand pas dans leur vie. Ce prin­cipe de réa­li­té, tous en sont pour­vus. Aucun ne fait de plans sur la comète. Le revers de la médaille, c’est qu’ils partent tou­jours d’une hypo­thèse basse. Quand ça se passe bien, c’est presque l’anomalie. Cette atti­tude aide beau­coup les béné­voles à rela­ti­vi­ser et ça leur fait beau­coup de bien.


Pour contacter ou soutenir Les Ombres

https://www.les-ombres.com/

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