Un diplômé de l’X au service des jeunes de l’aide sociale à l’enfance
L’aide sociale à l’enfance est souvent présentée dans les médias comme le refuge de jeunes maltraités ou en perdition. Louis Poinsignon (M2018), un jeune alumni de 23 ans passionné d’orientation scolaire, en propose une tout autre image grâce à son engagement associatif au service de ces jeunes, pour lutter contre les inégalités dans l’accompagnement de leur parcours scolaire.
Quel est ton parcours ?
J’ai fait une licence d’économie et sciences politiques à l’université Bocconi à Milan et j’ai rejoint l’X en 2018 pour le master d’économie analytique et finance. La moitié des effectifs était composée de Polytechniciens en 3A, l’autre moitié venait d’un parcours scientifique extérieur à polytechnique. Nous avons été très bien intégrés dans la promo et les binets. Je me suis fait plusieurs amis parmi les X que j’ai rencontrés. Actuellement je suis chez McKinsey en conseil dans le secteur public.
Pourquoi as-tu fondé l’association Les Ombres ?
Depuis le lycée, j’aime donner des aides à l’orientation, à la rédaction de lettres de motivation, de CV. Même à l’X j’aidais mes amis à rédiger des lettres de motivation pour leur 4A. C’est une compétence que j’ai développée, j’ai même monté une boîte qui existe toujours – Your Orientation – pour faire de l’orientation scolaire auprès de lycéens. Souvent, il existe une asymétrie d’information entre ce qui est demandé par l’école et ce que l’étudiant exprime de son parcours.
Face à ce constat, j’ai commencé à faire de l’orientation bénévolement pour des lycéens qui n’avaient pas les moyens d’avoir recours à un conseiller d’orientation et l’on m’a proposé de monter une association. J’ai réfléchi et je me suis dit qu’il fallait d’abord s’adresser aux élèves les plus démunis en termes d’informations sur l’enseignement supérieur. J’ai ainsi rencontré les directions des centres de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et je leur ai proposé mes services. Cet accompagnement des cursus ne fait pas partie des compétences ni de la mission des éducateurs, qui sont déjà – nous en sommes témoins – très investis auprès des jeunes.
Les trois objectifs de l’association Les Ombres
- Favoriser l’insertion académique dans le supérieur : Candidature Parcoursup, bourses, quelles études pour quels métiers ?
- Lutter contre l’illectronisme : Apprendre à maîtriser les outils numériques standards et à s’en servir pour communiquer de manière efficace.
- Accompagner les jeunes dans leur recherche d’emploi : Comment se présenter en entretien, comment rédiger son CV, sa lettre de motivation, et mettre en avant ses compétences ?
Comment s’est établi ce partenariat avec l’aide sociale à l’enfance ?
Nous sommes allés les démarcher en contactant les centres par courriel, en les relançant chaque semaine. Ils ont fini par nous recevoir grâce à notre insistance. Pour ces jeunes, c’est une honte d’être dépendants de l’aide sociale, ça leur apporte un sentiment très négatif, ils ne veulent pas en parler. Ils ont l’impression d’être catégorisés, et c’est vrai. Il y a vingt ans on parlait des pupilles de la Nation, aujourd’hui on les appelle les enfants placés. Ils sont vus presque comme des délinquants, en marge de la société, alors que ce n’est pas ça du tout. Au contraire, nous les invitons à dire dans leur parcours qu’ils viennent de l’aide sociale pour en faire une force dans leur dossier. Ça a été très compliqué à leur faire comprendre parce qu’on ne maîtrise pas bien l’aspect psychologique de la situation.
Quel est le profil des jeunes de l’aide sociale à l’enfance ?
Les jeunes sont tous très différents. Une moitié est placée en famille d’accueil, l’autre moitié est en foyer. Une moitié à des origines étrangères, l’autre moitié a des origines françaises. Ce sont des jeunes de la débrouille car ils ont une réalité difficile. La moitié de ces jeunes, lorsqu’ils atteignent la majorité, sont un peu laissés-pour-compte. Le système appelé contrat jeune majeur permet à des jeunes de recevoir, de l’âge de 18 à l’âge de 21 ans, une aide à la scolarité, un soutien psychologique et une aide au logement. Or ce contrat jeune majeur est géré par les départements et certains n’en fournissent pas assez.
Pour bénéficier d’un contrat jeune majeur, les jeunes doivent passer chaque année un entretien qui n’est vraiment pas facile. Il y a trois critères : il faut soit avoir un logement, et souvent à 18 ans on n’a pas de logement ; soit il faut avoir des ressources financières ; soit il faut avoir un travail ou être en études académiques. Mais sans argent, impossible de postuler à des études ; sans études, impossible d’obtenir un emploi qualifié, etc. Donc c’est un peu un cercle vicieux. J’entends parler d’un RSA jeune mais il me semble préférable d’envisager un contrat jeune majeur automatique. Car ce n’est pas une aide financière de l’État, c’est une liberté de pouvoir faire des études. J’ai parfois l’impression que l’oral des grandes écoles est moins difficile à vivre que la situation de ces jeunes-là. Nous faisons le constat qu’on en demande plus à ceux qui ont moins au départ.
Comment modélises-tu cette aide que l’association leur apporte ?
Nous avons établi un mode d’emploi que nous avons envoyé aux centres avec lesquels nous travaillons en demandant de l’imprimer pour chaque jeune, car tous n’ont pas d’adresse e‑mail. Les jeunes, parfois avec l’aide de leur référent, nous contactent eux-mêmes via le site Internet : www.les-ombres.com et cliquent sur un formulaire très simple pour faire leur demande. Nous traitons ces demandes en liaison avec le référent du jeune dans un délai d’un mois, un mois et demi. Nous avons une chaîne de suivi de chaque bénévole. Un bénévole s’engage à suivre un jeune et ne peut se contenter d’une aide ponctuelle.
Pourquoi ce nom de l’association Les Ombres ?
Parce que nous sommes constamment dans l’ombre du jeune, pour le suivre au cours de son insertion académique, sans vraiment être présents mais toujours en soutien de ses démarches, dans la boucle de mails, etc. Quand il s’agit de contacter une administration d’école, on constate qu’elle est plus encline à répondre à un X, à quelqu’un qui maîtrise les codes, qu’à un jeune qui vient de l’ASE. Le but est de mettre en avant les jeunes qui ont des capacités et en limitant la casse pour les autres, pour créer des exemples. Car ces jeunes ne s’identifient pas aux gens qui réussissent dans les magazines, ils s’identifient à l’ancien de l’aide sociale qui a réussi son CAP et qui a maintenant un appartement à Paris. En faire réussir un, c’est faire réussir tout le groupe. C’est important de montrer qu’il n’y a pas qu’une réussite mais des réussites.
L’association Les Ombres
- Création en septembre 2020
- Publication au JO le 6 janvier 2021
- 140 jeunes éligibles au service
- 25 bénévoles (en cours de recrutement)
- Partenariat avec huit centres de l’aide sociale à l’enfance : Paris, Enghien-les-Bains, Montfort l’Amaury, Bourg-la-Reine, Noisiel, Sens, Auxerre, Le Mans
- Objectif 2022 : Devenir le système d’insertion académique de référence pour l’aide sociale et établir un partenariat avec tous les centres de l’ASE en France
En quoi la communauté polytechnicienne peut t’aider ?
Proposer des disponibilités pour parler à un jeune des études d’ingénieur nous serait d’une grande aide. Nous pensons par exemple à un événement qui s’appelle Les pieds dans le plat, en juin 2021, où des personnes avec des carrières différentes vont raconter leur métier avec des mots faciles et concrets pour essayer de donner des idées aux jeunes. L’X est particulièrement adaptée pour cette aide, car la formation d’ingénieur requiert des savoir-faire alors qu’une école de commerce requiert plutôt des savoir-être. Il est donc plus compliqué de s’identifier à un étudiant en école de commerce qu’à un étudiant en école d’ingénieur.
Si deux ou trois polytechniciens avaient été pupilles de la Nation ou s’ils venaient de l’aide sociale à l’enfance, ce serait très fort pour eux. Et si d’autres sont prêts à relire une lettre de motivation dans la semaine, à parler 30 minutes sur zoom, à aider à rédiger un e‑mail pour postuler à une alternance et se poser en tuteur académique quand il y en a besoin, ce serait déjà beaucoup. Ça me permettrait de me coucher moins tard !
Pourquoi est-ce toi, Louis, qui as fondé cette association, en quoi ça te rejoint ?
Lorsque j’étais lycéen, je me suis rendu compte que des jeunes de mon âge, qui étaient plus doués que moi mais qui avaient accès à moins d’informations, se tournaient vers des études moins porteuses d’opportunités. Nous sommes partis avec à peu près les mêmes cartes, et eux-mêmes en avaient plus que moi, mais j’ai terminé dans une formation plus prestigieuse que la leur, par le fait d’une asymétrie d’information. Savoir où chercher l’information, ça s’apprend, cette aide je peux la transmettre. Ce n’est pas forcément les parents, a fortiori quand les jeunes n’en ont pas, qui peuvent les aider. Pour moi il est très important de rééquilibrer cette asymétrie d’information sur le monde académique le plus tôt possible. Car c’est au lycée que se construit le parcours des jeunes.
Ça compte vraiment pour moi que ces jeunes puissent se rendre compte que leur parcours n’est pas qu’un échec et qu’il peut même être utilisé comme une réussite. Ça compte pour moi car eux ne comptent nulle part, dans aucune statistique. Ils sont mineurs donc ils n’intéressent pas les projets électoraux. Ils n’ont pas forcément tous des papiers en règle donc ils n’apparaissent pas dans les fichiers. Et enfin ils sont pris en charge par le système, ce qui est perçu comme un don de la nation alors que je considère que c’est un dû.
Qu’est-ce que tu aimes chez ces jeunes ? Qu’est-ce qu’ils ont que nous n’avons pas ?
Ils ont beaucoup de choses que nous n’avons pas. Quand ils sont contents, ils sont vraiment contents. Et quand ça se passe mal, ils ne se plaignent pas, car c’est comme d’habitude. Leur attitude favorable face aux épreuves est un riche enseignement que l’on peut recevoir d’eux. Je pensais que ça allait être triste, parfois difficile, mais pas du tout. Leurs attentes étant beaucoup plus basses que les nôtres, dès qu’il se passe un petit événement intéressant dans leur vie, ils vont en parler avec joie pendant dix jours. Ils ont une logique d’émerveillement permanente qui est revigorante.
Ça nous demande d’être en phase avec leur réalité. Beaucoup de ces jeunes n’ont pas envie de faire dix ans d’études mais veulent pouvoir louer un appartement, avoir un chez eux, ce qui est déjà un grand pas dans leur vie. Ce principe de réalité, tous en sont pourvus. Aucun ne fait de plans sur la comète. Le revers de la médaille, c’est qu’ils partent toujours d’une hypothèse basse. Quand ça se passe bien, c’est presque l’anomalie. Cette attitude aide beaucoup les bénévoles à relativiser et ça leur fait beaucoup de bien.