Un domaine interdisciplinaire pour les X
Un progrès en biologie s’appuie forcement sur une technique innovante. C’est un domaine où la pluridisciplinarité du polytechnicien fait merveille, mais le développement de la carrière passe par un cheminement exigeant, qui exige une réflexion sur le sens des valeurs. La thèse est obligatoire, il faut aller à l’étranger mais penser à en revenir, faire ses choix en adéquation avec ses valeurs.
Aujourd’hui, il est difficile de concevoir un progrès en biologie qui ne s’appuierait pas sur une technique innovante : séquençage d’ADN, spectrométrie de masse pour l’analyse des micro-organismes et protéines, microscopie de superrésolution, imagerie multimodale des tissus…
“ Les nouvelles techniques vont avoir un impact sur notre manière d’envisager la médecine ”
Sydney Brenner, prix Nobel de physiologie ou médecine en 2002, a affirmé en 1980 : « Progress in science depends on new techniques, new discoveries and new ideas, probably in that order. »
Force est de constater que c’est toujours le cas au XXIe siècle en biologie, et que ces nouvelles techniques vont avoir un impact sur notre manière d’envisager la médecine.
À titre d’illustration, la MIT Technology Review a sélectionné en 2015, parmi son palmarès annuel de dix breakthrough technologies, quatre technologies susceptibles de révolutionner la recherche biomédicale : l’imagerie 3D, la nanoarchitecture, la biopsie liquide et les organoïdes.
REPÈRES
De 2016 à 2021, on estime à 6,8 % le taux de croissance moyen annuel du marché de l’instrumentation pour les sciences de la vie, pour un volume de 64,52 Mds$ projeté en 2021 hors applications médicales (source : MarketResearch).
Ces technologies soutiennent la recherche, font avancer in fine la médecine, et ont un impact sociétal important.
« INTÈGRE DE MULTIPLES TECHNOLOGIES »
Associées à ce type de techniques, un ensemble de technologies issues de la physique, chimie et sciences de l’information jouent un rôle crucial.
Le développement d’une nouvelle technologie pour les sciences de la vie nécessite souvent l’intégration : de biotechnologies (ingénierie des systèmes et molécules biologiques), de physique, de chimie et physicochimie (molécules organiques, matériaux, colloïdes…) et de traitement du signal.
La technologie Illumina, à titre d’exemple, combine une réaction de séquençage, une surface nanostructurée pour densifier le nombre de réactions, des circuits microfluidiques, une imagerie de la surface en fluorescence multicouleur, et l’analyse de ces images permettant de les convertir en information génétique.
On peut également noter que le récent prix Nobel pour la microscopie superrésolutive STED était… un prix Nobel de chimie ! Cette technologie ne pourrait en effet exister sans les sondes fluorescentes associées, même si c’est leur combinaison avec l’optique qui a permis d’imager des molécules uniques.
« PARLE PLUSIEURS LANGAGES »
La R & D dans le domaine des technologies pour les sciences de la vie sont extrêmement pluridisciplinaires. Pour innover dans ce domaine, il faut assembler des équipes comprenant des experts de diverses compétences. Les polytechniciens ont cette capacité de « parler plusieurs langages techniques » de par leur solide formation initiale pluridisciplinaire, d’excellent niveau et assez unique internationalement, et leur rapidité à apprendre au contact de nouveaux sujets.
“ Le polytechnicien n’est rien dans ce domaine sans un PhD au niveau international ”
Ils peuvent de ce fait devenir des éléments moteurs au sein de ces équipes, après une spécialisation dans un domaine scientifique acquise lors d’une thèse.
Pour résumer rapidement mon parcours, après un master de biochimie et un double diplôme Chimie Paris, j’ai fait une thèse en ingénierie des protéines. J’ai ensuite travaillé en R & D chez Bertin Technologies puis à l’ESPCI sur des thématiques liées à la biodétection et la microfluidique.
Je suis maintenant coresponsable du Centre d’innovation et recherche technologique de l’Institut Pasteur. J’ai participé à des équipes de R & D en tant qu’experte en biochimie, mais j’ai pu constater à quel point la compréhension de phénomènes de physique ou bien de statistiques permettait de mieux interagir avec le reste de l’équipe pour optimiser l’approche technique globale.
L’expérience de cette vraie complémentarité, quand elle fait naître des idées et réalisations collectives, a été pour moi l’une de mes plus grandes satisfactions professionnelles.
« FAIS UNE THÈSE »
J’ai, déjà à l’époque, reçu et suivi certains des conseils suivants. Quinze ans après, leur importance est d’autant plus grande. D’abord : « Fais une thèse ». Je conseille à tous les élèves polytechniciens de faire une thèse de manière générale. Mais si vous voulez travailler dans le domaine des sciences de la vie, ce n’est plus une option. N’étant ni MD, ni PharmD, ni MBA, le polytechnicien n’est rien dans ce domaine sans un PhD au niveau international.
UNE R & D ESSENTIELLEMENT ÉTRANGÈRE
Les leaders du marché sont principalement nord-américains (Illumina, GE, Bio-Rad, Thermo Fisher Scientific…), et quasi absents du territoire français, du moins dans leur activité R & D. Un passage à l’étranger pendant les études ou après peut donc être bénéfique, voire simplement nécessaire pour trouver un emploi.
Dans tous les domaines, la thèse est un passage obligé pour travailler en R & D, mais dans les sciences de la vie/la santé, elle l’est même pour d’autres types de métiers.
Ensuite : « Tu apportes une plus-value à la biologie par ta formation en mathématiques et en physique ».
Aujourd’hui, on étudie les systèmes vivants avec des technologies plus complexes, qui génèrent des données plus riches, qui se partagent internationalement plus facilement. Il faut gérer des interfaces avec la physique/chimie en début de chaîne analytique et avec les mathématiques appliquées, les statistiques et l’informatique pour analyser les données en bout de chaîne.
La place de la paillasse de biologie dans tout cela diminue. La biologie a plus besoin que jamais d’étudiants venant des sciences « dures ». Vous apprendrez le reste sur le tas sans problème.
« VA À L’ÉTRANGER ? MAIS PENSE À REVENIR »
Aujourd’hui, on étudie les systèmes vivants avec des technologies plus complexes, qui génèrent des données plus riches, qui se partagent internationalement plus facilement.
Le tissu industriel français dans le domaine des technologies pour la biologie est actuellement assez clairsemé et majoritairement composé de TPE – PME, certes très innovantes, mais positionnées sur des niches.
Cependant, il y a une opportunité de continuer à développer cette industrie en France, où les compétences sont présentes (laboratoires académiques, ingénieurs…). Si nous créons autant d’entreprises d’instrumentation en sciences de la vie qu’aux États-Unis, nous aurons aussi notre Illumina national.
« CONSTRUIS EN ADÉQUATION AVEC TES VALEURS »
La quête du sens nous rattrape tôt ou tard. Bercés par le courant, certains amis polytechniciens de ma génération se réveillent après dix ans de carrière en se posant la question de leur place et contribution dans la société.
La R & D autour des sciences du vivant pouvant trouver directement des applications en médecine, le sens est plus prégnant que dans d’autres types de carrières. Il y a de nombreuses autres possibilités, mais n’oubliez pas de faire vos choix en gardant ce recul.