Un élève en service civil dans le quart-monde
Depuis 1970 la cité du Château de France, à Noisy-le-Grand, accueille des centaines de familles du quart-monde dans ses 78 logements. Ces familles sont accompagnées par le Mouvement ATD Quart- Monde, qui a fait de ce lieu une cité de promotion familiale.
Très démunies, elles n’ont souvent même pas accès à leurs droits fondamentaux. Pour obtenir un logement, elles doivent affronter des obstacles qu’elles ne peuvent franchir, étant incapables de remplir un certain nombre de conditions fixées par les bailleurs.
Elles sont accueillies quasiment sans condition dans la cité de promotion familiale, pour une période qui, théoriquement, varie entre deux et quatre ans. Mais il ne suffit pas de loger les familles pauvres, il faut aussi les mettre en mesure de payer leur loyer et d’accéder aux autres droits fondamentaux.
C’est là qu’intervient l’équipe du mouvement ATD Quart-Monde, dont l’objectif est d’aider ces familles à lutter contre l’exclusion.
Thomas et son équipe. © ATD QUART-MONDE
Il s’agit de garantir à tous un accès effectif aux droits et aux responsabilités qui en découlent.
Les différents volontaires de l’équipe essaient d’entrer dans le rythme de vie des familles pour découvrir quels sont leurs projets et comment les réaliser avec eux (et non pour eux).
L’équipe est guidée par un réel souci de connaissance des familles, de leurs attentes et de leurs forces. Cette connaissance est absolument nécessaire pour faire une action “ ensemble ” et détacher ces familles de l’assistanat.
La plupart se sont habituées à vivre dans l’urgence, à ne voir que le court terme.
Tout l’enjeu de l’action de lutte contre l’exclusion revient à leur permettre de voir à long terme et d’établir un projet.
C’est dans ce cadre que j’ai effectué mon service civil pendant les premiers mois de ma scolarité à Polytechnique. Je travaillais deux journées par semaine avec des hommes de la cité au centre commercial des Arcades à Noisy-le-Grand.
Ils étaient embauchés par une entreprise d’insertion pour assurer le tri sélectif des ordures du centre commercial.
J’étais leur collègue à mi-temps, venant compléter l’équipe habituelle pour absorber l’accroissement des tâches résultant des fêtes de fin d’année. J’envisageais ce travail comme un moyen d’être au quotidien à leurs côtés. Je vivais les journées avec eux : à 6 heures 50 nous attendions le bus ensemble pour partir au travail et vers 15 heures 30 je revenais dans la cité avec eux.
Ma première découverte fut la réalité d’un travail manuel et l’effort physique important qu’il exige. Mais avec l’habitude la fatigue se faisait moins ressentir car un rythme s’installe. J’ai par contre pris conscience des mauvaises conditions de sécurité de ces emplois. Les travaux nécessaires pour assurer la conformité aux normes de sécurité ne sont pas terminés.
Les seules actions entreprises pour améliorer nos conditions de travail résultaient de la dynamique interne à notre équipe d’ouvriers : elle seule en assurait la plupart du temps la réalisation. Par ailleurs nos contacts humains sur le lieu de travail étaient nombreux et variés : avec les supérieurs, les autres employés du centre commercial, les commerçants, les clients du centre…
Le plus souvent, la plupart ne nous renvoyaient pas une image très positive de notre travail et de nous-mêmes. Nous travaillions sur des quais de livraison et le contact avec les livreurs était souvent difficile. Certains avaient des attitudes ou des regards qui nous rabaissaient, et avec leur camion, ils nous empêchaient de faire correctement notre travail.
Ce travail est psychologiquement dur, et il l’est d’autant plus pour ces hommes qu’ils ont déjà connu beaucoup d’échecs auparavant.
Malgré tout, ils prenaient leur travail à cœur, et une ambiance dynamique d’équipe soulageait ces difficultés. Je considérais que je pouvais apprendre d’eux autant qu’eux pouvaient attendre de moi.
Notre relation était fondée sur le respect mutuel et la confiance. Lorsque nous déjeunions ensemble à midi, nous avions souvent des discussions passionnées et très intéressantes sur l’organisation du travail ou sur des sujets de société. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu de crises individuelles ou de tensions au sein de l’équipe. Ces hommes avaient parfois des réactions passionnées qui compliquaient les situations.
Le cadre de l’entreprise d’insertion était assez souple et permettait de gérer ces problèmes. Cependant les ouvriers n’étaient pas toujours conscients de la particularité de ce type d’entreprise ni de celle du contrat qu’ils avaient passé avec elle.
Finalement, le plus important pour moi, et le plus instructif, est la certitude que j’ai acquise à leur contact de l’intelligence de ces hommes.
Ils ont une place à prendre dans le monde professionnel, ils ont besoin de se sentir utiles. Ils peuvent l’être.