Un exemple d’engagement bénévole : le management d’une association de quartier
L’association Accomplir réunit depuis 1999 des habitants du quartier des Halles à Paris, autour de deux objectifs principaux, développer la convivialité dans le quartier et renforcer la citoyenneté des habitants.Avec près d’une centaine d’adhérents, elle réalise un programme annuel d’activités relativement important pour une association comprenant uniquement des bénévoles. Du côté des animations conviviales, il s’agit de l’organisation de la » Fête du Jardin extraordinaire « , un grand spectacle présenté dans le Jardin des Halles avec la participation de nombreux habitants, associations et institutions du quartier, du » Goûter des enfants musiciens des Halles » et de deux vide-greniers par an. Du côté de la citoyenneté, en 2004, outre sa participation aux instances de concertation d’arrondissement classiques, l’Association s’est particulièrement impliquée sur le projet de rénovation des Halles et s’est fortement engagée en faveur du projet présenté par l’architecte urbaniste David Mangin, qui a finalement été retenu par la mairie de Paris.
Une des entrées du Forum PHOTO A.T.
Cet engagement s’est traduit par la participation à cinquante-sept réunions organisées par d’autres acteurs du quartier ou de la Ville, par dix-huit entretiens avec divers acteurs, et par l’organisation de huit réunions publiques ouvertes à tous les habitants. Accomplir a également fondé le Collectif pour la Rénovation des Halles, destiné à soutenir le projet Mangin, qui réunit trente-trois associations : la plupart des associations locales d’habitants et de commerçants, mais aussi une quinzaine d’associations de tout Paris. Le rythme des réunions internes est également soutenu : en 2004, l’Association a tenu son Assemblée générale mais aussi neuf réunions plénières (ouvertes à tous les adhérents), douze réunions de travail, onze réunions de bureau.
La communication interne comprend un bulletin, dont six numéros sont parus en 2004 pour un total de cent quatre-vingt-dix pages, une douzaine de courriers aux adhérents et deux groupes de discussion Internet, totalisant près de quatre mille cinq cents messages en 2004.
La communication externe repose sur la Lettre d’Accomplir, une feuille recto verso dont sept numéros ont été diffusés en 2004, à la fois dans la rue sous forme papier et adressés par mail à un millier de destinataires (particuliers, institutionnels, élus, presse…). S’y ajoute un site Internet, créé en 2001, qui compte mille cinq cents pages et met à la disposition du public toutes les informations recueillies sur les questions touchant au quartier.
Une telle activité demande bien sûr à être managée, même s’il s’agit d’une organisation de bénévoles, voire même parce qu’il s’agit d’une organisation de bénévoles : en l’absence de tout objectif et de tout résultat économique ou financier, la motivation des bénévoles repose essentiellement sur leur sentiment d’agir de façon efficace pour peser sur la vie et le destin de leur quartier.
Pour moi, l’efficacité d’Accomplir repose sur les principes » managériaux » suivants.
L’articulation entre citoyenneté et convivialité
Participer à des réunions à la mairie peut être fastidieux ; la place importante donnée aux animations et à la convivialité permet de mieux supporter les tâches ingrates. Par ailleurs, l’organisation de fêtes de quartier a permis de nouer de nombreux contacts avec d’autres acteurs institutionnels ou associatifs et ainsi de développer le réseau de l’Association et d’accroître sa visibilité.
La recherche de la démocratie interne est un facteur important de motivation
Les tours de table systématiques permettent de valoriser la contribution de chacun ; le respect des décisions prises et l’exercice permanent d’intelligence collective sont gages d’une action éclairée et efficace.
La place centrale accordée à l’écrit
L’un des principes de l’Association est » On fait ce qu’on dit, on dit ce qu’on fait « , ce qui passe par la capitalisation écrite de toutes les décisions prises et de toutes les démarches effectuées. L’écrit sert également d’outil de travail, par exemple à travers le tableau comparatif des quatre projets des architectes pour la rénovation des Halles, analysés par l’Association sur la base de cinquante et un critères. Ce document de dix-huit pages, abondamment diffusé vers les institutionnels et la presse, a fortement crédibilisé et rendu visible l’engagement de l’Association en faveur de l’un des projets. La place donnée à l’écrit permet également une communication régulière et abondante, notamment par le biais du site Internet, ce qui explique le grand écho médiatique dont bénéficie l’Association, avec quatre-vingt-quatre articles de presse ou émissions radio ou télévision en 2004.
La proactivité est essentielle pour une organisation dont les moyens d’action sont malgré tout limités : si une association commence à s’intéresser à un sujet lorsque ses interlocuteurs lui demandent son point de vue, il y a fort à parier que tout sera déjà arrêté et qu’elle n’aura plus aucun impact sur la décision. Elle doit donc continuellement anticiper.
Le travail en réseau, à la fois en interne et en externe, est capital pour trouver les ressources nécessaires, d’autant plus précieuses que l’Association a très peu de moyens financiers (son budget est de sept mille euros en 2004) ; il permet également de renforcer le poids de l’Association grâce à son partenariat avec d’autres, et de développer les liens sociaux sur lesquels repose la convivialité recherchée.
Quartier des Halles PHOTO A.T.
Le bénévolat, qui peut apparaître comme une faiblesse de l’organisation si l’on ne parvient pas à mobiliser suffisamment les adhérents, est dans le cas contraire un levier extraordinaire, car les ressources qu’il apporte sont a priori illimitées. Il est également gage d’indépendance : personne ne peut faire pression sur des bénévoles, puisqu’ils travaillent pour rien et n’attendent rien d’autre de leur action que le résultat de cette action elle-même.
Les citoyens qui veulent » changer la vie » et sortir du sentiment d’impuissance que la plupart d’entre nous éprouvent face à la marche du monde sont très vite confrontés à de redoutables défis. Face à des problèmes de plus en plus complexes, la bonne volonté ne suffit pas et il est d’autant plus nécessaire de s’organiser que cette bonne volonté elle-même risque de s’éteindre en cas de manque d’efficacité. Certains rechignent cependant à appliquer au travail non lucratif les méthodes du travail lucratif.
Une adhérente d’Accomplir, qui a depuis quitté l’Association, déclarait ainsi : » Je fais du management toute la semaine à mon boulot ; je ne vais pas en faire encore le soir et le week-end dans l’Association. » Cette attitude traduit et renforce une confusion entre bénévolat et amateurisme d’un côté, activités marchandes et professionnalisme de l’autre. De mon activité au sein d’Accomplir, j’ai tiré la conclusion suivante : pour résister à la marchandisation de tous les biens, il est urgent de devenir professionnels dans le bénévolat…
* Association Accomplir (www.accomplir.asso.fr).