Un homme de paix, le général Dufour
Dans un numéro de mars 1988 de La Jaune et la Rouge, notre camarade Pierre Stroh (31)1 a consacré un long article à la vie de Guillaume Henri Dufour, ancien élève de l’École, de la promotion 1807. Nous avons choisi d’y revenir dans ce numéro pour souligner dans quelles conditions, assurant en période de crise un commandement militaire, il a décidé de se comporter en homme de paix alors que s’offrait l’occasion de remporter une glorieuse victoire.
Il était originaire de Genève qui, annexée à la France en 1798, était devenu un département. Issu d’une famille populaire, son père horloger et sa mère brodeuse, il entre à l’X en 1807, puis étudie les fortifications à l’École d’application du génie de Metz. En 1817, il prend à Genève le poste d’ingénieur cantonal, dans le cadre duquel il dirige l’aménagement des quais du Rhône et réalise plusieurs ponts et passerelles dont le premier pont suspendu au monde. Il participe aussi à la création de l’École militaire de Thoune et crée le » Bureau topographique fédéral » qui doit mener à bien la cartographie de son pays.
Au XIXe siècle, la Révolution française avait été perçue de façon différente dans les cantons catholiques et les cantons protestants, lesquels s’affrontent, à partir de 1832, sur la question du fédéralisme. La tension monte entre Lucerne et Argovie et, en 1844–1845, deux expéditions de » radicaux » étrangers au canton tentent de renverser le gouvernement de Lucerne.
En réaction à cette agression, les sept cantons catholiques (Lucerne, Uri, Schwyz, Obwald Unterwald, Zoug, Fribourg et Valais) se regroupent en une alliance de protection que leurs adversaires désignent sous le nom de » Sonderbund « . En 1847, la Diète où les protestants sont majoritaires, condamne et dissout l’alliance, mais la décision est déclarée illégale par les sept cantons, qui se retirent de la Diète, et les deux camps se préparent à la guerre. Le commandement de l’armée fédérale est confié à Guillaume Henri Dufour, qui a reçu, de la Diète, la consigne de veiller à la discipline de ses troupes. Il leur adressa, lors de l’entrée en campagne, un ordre du jour dont P. Stroh cite quelques phrases :
» … Le pays réclame aussi votre intervention et le secours de vos bras pour le tirer d’un état d’incertitude et d’angoisse qui ne saurait se prolonger sans causer une ruine générale… Soldats ! il faut sortir de cette lutte, non seulement victorieux, mais sans reproches ; il faut que l’on puisse dire de vous : ils ont vaillamment combattu quand il l’a fallu, mais ils se sont montrés partout humains et généreux… Il y a souvent plus de mérite à supporter les privations qu’à se déployer sur le champ de bataille. »
Ses ordres du jour rappelaient » les inexorables lois de la guerre, mais aussi l’identité de l’adversaire, ces confédérés, ces frères que vous devez faire rentrer dans le devoir « 2. L’armée fédérale vint rapidement à bout des troupes géographiquement dispersées du Sonderbund, en manœuvrant pour les affronter successivement.
Restait l’armée du Valais, » les deux partis s’invectivaient et se lançaient des pierres par-dessus le Rhône à Saint-Maurice « 1, écrit P. Stroh. Le commandant des troupes révoltées se tenait sur la défensive et, de leur côté, les officiers fédéraux avaient établi plusieurs plans d’attaque que Dufour éludait. Il prit finalement la décision d’éviter les hostilités et de sauver la face aux Valaisans, dont il obtint la reddition par la négociation. C’est ainsi qu’a pu s’engager en 1848, d’abord dans le cadre de la Diète puis par la consultation des cantons, un débat national qui a abouti à la mise au point d’une constitution, charte de l’État fédéral moderne, qui » ne pouvait être qu’un partage de souveraineté entre la Confédération et les cantons « 2.
» En découvrant l’histoire suisse à travers Guillaume Henri Dufour, nous ouvrons une fenêtre de l’humanisme par laquelle le citoyen et l’homme d’État actuel peuvent jeter un coup d’œil neuf sur la formation de l’Europe » écrivait P. Stroh en 1988. Mais cette histoire nous invite aussi à réfléchir sur les moyens de sauver la paix sans sacrifier le droit.
__________________________
1 — N° 433 de mars 1988.
2 — La Quête d’un État national de G. Andrey dans Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, Éditions Payot, Lausanne, 1986.