Un intérêt bien compris pour la lutte en faveur du climat
Longtemps rétive à tout engagement international en matière de climat, la Chine a radicalement changé de position au cours des deux années qui ont précédé la COP 21. Ce revirement répond à des nécessités économiques, politiques et diplomatiques.
Alors que les négociations de la COP 24 de Katowice du 2 au 15 décembre 2018 semblaient s’enliser, le site internet de l’agence de presse nationale chinoise Xinhua publiait le 14 décembre un article intitulé « La Chine est l’un des rares pays à respecter les engagements de l’Accord de Paris pour lutter contre les changements climatiques, selon Al Gore ». Partant des déclarations de l’ancien vice-président américain, l’article brossait le portrait d’une Chine verte à la pointe des énergies renouvelables et respectueuse de ses engagements internationaux en matière de climat. Il est vrai que, depuis la défection américaine de l’Accord de Paris en juin 2017, Pékin se présente comme le pays leader en matière de lutte contre le changement climatique.
REPÈRES
Le régime climatique international se compose de trois textes : la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (1992), le Protocole de Kyoto (1997) et l’Accord de Paris (2015). Le premier est entré en vigueur en 1994, le deuxième en 2005 et le troisième en 2016.
Une croissance énergivore
Depuis le lancement du processus de réforme et d’ouverture par Deng Xiaoping en 1978, la Chine a connu quatre décennies d’une croissance exceptionnellement forte et ininterrompue.
Entre 1980 et 2015, le PIB chinois (avec Hong Kong) est passé de 395,7 à 9 174,1 milliards de dollars (à leur valeur de 2010). Une multiplication par 23 qui correspond à un taux de croissance annuel avoisinant 9,4 %. Une telle augmentation de la richesse produite n’a été possible que grâce à une extraordinaire consommation d’énergie. Et c’est ainsi qu’entre 1980 et 2015 l’offre totale d’énergie primaire en Chine a progressé de 602 à 2 987 millions de tonnes équivalent pétrole, la Chine dépassant les États-Unis en 2009.
Naturellement, le volume de rejets de gaz à effet de serre a littéralement explosé : les émissions annuelles de CO2 résultant de la combustion d’énergies fossiles sont passées de 789 millions de tonnes en 1971 à un peu plus de 9 milliards de tonnes en 2016, la Chine dépassant le niveau américain en 2007 et devenant, par là même, le premier « contributeur » mondial au changement climatique.
“La Chine est devenue en 2007
le premier « contributeur » mondial
au changement climatique”
Un mix énergétique très carboné
Une telle évolution est principalement due à la part du charbon dans le mix énergétique chinois. En effet, en 2012, celui-ci représentait 66 % de la consommation d’énergie primaire contre 20 % pour le pétrole, 5 % pour le gaz, 8 % pour l’hydroélectricité, 1 % pour les autres énergies renouvelables et moins de 1 % pour le nucléaire. Le charbon est donc, bien avant tout autre combustible, à l’origine de l’essentiel des rejets de CO2 chinois.
Une prise de conscience tardive
La véritable prise de conscience de l’importance de la « question environnementale » par les autorités va avoir lieu au cours des années 2000 sous l’effet de la multiplication des phénomènes de pollution et du mécontentement que ces derniers entraînent au sein de la population, mécontentement susceptible de miner à terme la légitimité du Parti communiste.
Il est vrai que la situation est devenue particulièrement alarmante. Elle est résumée par un néologisme qui apparaît au cours des années 2000 et qui se passe de commentaire : « airpocalypse » ! Au milieu des années 2000, il était généralement admis que la pollution de l’air causait en Chine environ 650 000 décès par an. Or, une étude parue en 2015 aboutit au chiffre effarant de 1,6 million de morts par an, soit 17 % des décès comptabilisés en Chine. 83 % des Chinois sont exposés à des niveaux de pollution de l’air qui sont considérés, aux États-Unis, comme dangereux pour la santé, ou dangereux pour des personnes fragiles. En 2012, la Commission nationale pour le développement et la réforme publie son premier Plan national pour le changement climatique. L’année suivante, un Plan d’action de contrôle et de prévention de la pollution de l’air est adopté. En 2015, la loi (nationale) sur l’environnement qui date de 1979 et qui a déjà été revue en 1989 est de nouveau révisée en profondeur. Par ailleurs, les trois derniers plans quinquennaux (l’actuel est le 13e et couvre la période 2016–2020) contiennent des objectifs environnementaux de plus en plus contraignants.
Tout cela conduit naturellement Pékin à s’inscrire dans le processus qui va conduire à l’adoption de l’Accord de Paris.
1 400 centrales à charbon
Dans un ouvrage paru en 2016, Jean-François Huchet indique qu’on recenserait environ 1 400 centrales à charbon en Chine, dont 700 « grandes » centrales (c’est-à-dire avec une capacité de production d’au moins 100 MW) sur les 2 300 enregistrées dans le monde. Depuis, un rapport du réseau de chercheurs CoalSwarm est paru en septembre 2018. Il met en évidence, en se fondant sur des photos satellitaires et l’examen de nombreux documents, qu’un total de 259 GW de capacités de production d’électricité par des centrales au charbon est en cours de construction en Chine. Un tel montant est à rapprocher de la capacité de production de la totalité des centrales au charbon américaines : 266 GW…
Un accord sur mesure
Durant de nombreuses années, les responsables chinois se sont fermement opposés à tout accord contraignant. Or, durant la COP 21 qui s’est conclue en décembre 2015 par l’Accord de Paris, la Chine s’est notamment engagée à deux choses : stabiliser ses rejets de CO2 autour de 2030 et réduire de 60 à 65 % son intensité carbone (CO2 par unité de PIB) d’ici 2030 par rapport à 2005. Comment expliquer un tel revirement ?
Tout d’abord, et de manière générale, l’Accord de Paris n’est guère contraignant puisqu’il repose sur les engagements volontaires des pays signataires. S’agissant de la Chine, compte tenu notamment de sa transformation progressive en économie de services (ces derniers étant passés de 40 % à 50 % du PIB entre 2008 et 2015) et du progrès technique qui conduit naturellement à une amélioration de l’efficience énergétique, et donc de l’intensité carbone de l’économie, tout porte à croire que les promesses faites à Paris seront tenues. Mais à cette première raison s’en ajoutent au moins trois autres : le danger que le réchauffement climatique fait courir à la Chine, les opportunités liées aux technologies vertes et enfin, la volonté d’améliorer l’image internationale du pays.
Au-delà du mécontentement social qu’engendre l’airpocalypse, le gouvernement chinois a pris conscience des risques que fait peser l’élévation des températures sur le pays : mise en danger des villes côtières, aggravation des sécheresses au nord, des inondations au sud… Or, même si la lutte contre la pollution de l’air et celle contre le changement climatique ne se superposent pas parfaitement, il est évident qu’en réduisant la consommation de charbon et de pétrole on diminue, par là même, les émissions de CO2, de microparticules et de carbone noir.
Des opportunités pour l’industrie « verte »
Par ailleurs, les dirigeants chinois sont parfaitement conscients que les technologies « vertes », indispensables pour lutter contre le changement climatique, offrent de fantastiques potentialités en termes d’exportations. En l’espace d’à peine vingt ans, la Chine est devenue le premier producteur au monde d’ampoules à basse consommation, d’éoliennes, de panneaux solaires, de batteries pour voitures électriques… En 2015, les entreprises chinoises ont investi plus de 100 milliards de dollars dans les énergies renouvelables contre seulement 44 milliards pour les firmes américaines. En janvier 2017, la China’s National Energy Administration annonçait des investissements de 360 milliards de dollars d’ici 2020 dans de nouvelles capacités de production d’énergie : 144 milliards dans le solaire, 100 milliards dans l’éolien, 70 milliards dans l’hydroélectricité…
Promouvoir l’image de la Chine
Enfin, la Chine compte bien utiliser la question climatique pour améliorer une image internationale que l’évolution actuelle du régime tend à dégrader. Contribuer à la mise en œuvre de l’Accord de Paris fait à l’évidence partie de ce plan et s’intègre dans la promotion de ce que l’on nomme à Pékin la « Solution chinoise », formule utilisée pour la première fois en public lors du 95e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois en juillet 2017. Dans le discours qu’il prononça à cette occasion, Xi Jinping déclara que le peuple chinois était « pleinement confiant dans sa capacité à apporter une solution chinoise à la recherche de meilleures institutions sociales par l’humanité ».
La Chine tente donc de s’approprier à bon compte une réputation qui devrait revenir à l’Europe sans la détermination de laquelle le régime climatique mondial n’existerait pas. En effet, si les engagements chinois vont dans le bon sens, ils sont non seulement peu contraignants mais encore correspondent étroitement aux intérêts économiques et politiques du pays. On rappellera, pour finir, que selon le dernier bilan du Global Carbon Project les émissions chinoises de CO2 ont dû connaître une augmentation de 4,7 % en 2018… À cela il faut ajouter les 240 centrales à charbon chinoises en projet ou en construction le long des « nouvelles routes de la soie ».
Références
- Huchet (Jean-François), La crise environnementale en Chine, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2016.
- Maréchal (Jean-Paul), La Chine face au mur de l’environnement ?, Paris, CNRS Éditions, 2017.
- Maréchal (Jean-Paul), Chine/USA. Le climat en jeu, Paris, Choiseul, 2011.
- Vermander (Benoît), Chine brune ou Chine verte ? Les dilemmes de l’État-parti, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007.
- « Civilisation écologique. Du slogan à la réalité », Monde Chinois – nouvelle Asie, n° 56, décembre 2018, éditions Eska, Paris.