Un itinéraire polytechnique : pour quoi ?
Signataires de cet article, nous avons formé, depuis trois ans, un petit groupe de réflexion sur l’avenir de l’École polytechnique. Cette action informelle résulte de l’attention passionnée et désintéressée que nous portons à l’École et repose sur les expériences diverses que nous pensons posséder dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Signataires de cet article, nous avons formé, depuis trois ans, un petit groupe de réflexion sur l’avenir de l’École polytechnique. Cette action informelle résulte de l’attention passionnée et désintéressée que nous portons à l’École et repose sur les expériences diverses que nous pensons posséder dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Nous avons eu l’occasion de faire part de nos premières réflexions à Marion Guillou alors qu’elle venait de prendre les fonctions de Présidente du Conseil d’administration de l’X, puis, plus récemment, à certains responsables des Pouvoirs publics.
Comme des décisions importantes pour l’avenir de l’École seront probablement prises dans un proche avenir, il nous est apparu opportun de préciser aujourd’hui les principaux éléments de notre analyse. Tel est le but du document dont voici le texte intégral.
Lorsque l’École polytechnique est créée en 1794, les hommes politiques qui envoyaient Lavoisier à l’échafaud prétendaient »la République n’a pas besoin de savants » Le COMITE de SALUT PUBLIC pense autrement et, pour satisfaire les besoins civils et militaires de la nouvelle république, il crée l’École Centrale des Travaux Publics. Par la suite l’École sera, de façon récurrente, admirée par beaucoup mais simultanément l’objet de critiques, de jalousies et donc d’interrogations : l’École polytechnique, pour quoi faire ?
Nous nous proposons de ne pas répondre directement à cette question, d’autant que les définitions actuelles, répétées de textes en textes, après tout, ne sont pas si sottes.
Nombre de responsables et d’anciens élèves souhaitent que l’École évolue de manière à “être un acteur mondial de premier plan dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. » Soit. On notera qu’à l’étranger on ne se pose pas ce type de questions : Harvard, Stanford, à quoi cela sert-il ? Ou si l’on se pose cette question, c’est, en fait, parce que l’on critique une institution, son fonctionnement, non sa raison d’être. Alors oui, posons-nous constamment la question : l’École polytechnique tutoie-t-elle constamment l’excellence ?
Le projet de Saclay
L’avenir de l’École doit, désormais, être pensé dans le cadre du grand projet du plateau de Saclay, d »inspiration jacobine. Projet qui soulève certaines interrogations :is big really beautifull ?
Depuis dix ans l’émergence des classements type Shanghai, bénéfique à certains égards, car elle a réveillé nombre de responsables assoupis, a aussi contribué à brouiller les pistes et, par exemple, à fausser complètement la vision que l’on a en France des universités américaines et de leur fonctionnement. Antoine Compagnon, l’un d’entre nous, s’est récemment exprimé sur ce point, dans l’article Lectures américaines, paru en 2010, dans la revue Le Débat et dont La Jaune et La Rouge a publié de larges extraits dans son numéro de juin-juillet 2011.
Pratique de l’excellence
La force des meilleures universités, américaines, suisses, allemandes, bientôt chinoises, repose non sur la taille, mais sur la pratique assidue de l’excellence.
Nous pensons que c’est à l’aune de ces considérations qu’il faut regarder les projets comme ParisTech, les PRES, et le Campus d’Orsay. Le discours officiel consiste à penser que le transfert de divers acteurs extérieurs, alléchés par les budgets annoncés, conduiront à une »scientific Valley » qui, le génie français aidant, concurrencera rapidement les prestigieuses institutions classées en tête du classement de Shanghai ! En France Les Politiques et les Aménageurs qui faisaient autrefois référence à la route 128, près de Boston et qui parlent aujourd’hui de la Silicon Valley , en général ne la connaissent pas et n’en comprennent pas réellement la genèse.
Stanford
Il faut bien savoir que personne, ni à Washington, ni à Sacramento, n’a jamais décidé la création de la Silicon Valley . A l’origine Mr Leland Stanford, millionnaire enrichi dans les chemins de fer, et sa femme Jane, pour honorer la mémoire de leur fils unique, décédé très jeune de la typhoïde, fondèrent dans les dernières années du 19e siècle, l’université de Stanford, sur une propriété de 8.000 acres au sud de San Francisco, sur le lieu dit Palo Alto. Ce terrain, par donation, est inaliénable depuis plus de 100 ans. L’Université ne pouvant le vendre, l’a très tôt loué à des entreprises débutantes.
Et comment la physique à Stanford s’est-elle hissée au plus haut niveau ? Grâce à l’affreux Mac Carthy qui, à la fin des années 40, avait tellement exaspéré Felix Bloch, un grand physicien de l’université d’Etat à Berkeley, que celui-ci, avec quelques uns de ses meilleurs étudiants, s’installa de l’autre côté de la Bay Area, à Stanford, université privée.
ParisTech
Dans le même ordre d’idées il ne nous semble pas que ParisTech puisse aller au-delà d’une mutualisation très limitée de certaines ressources, sans pouvoir toucher aux problèmes de fond mais en générant une confusion dommageable.
Les constructions humaines, comme la Silicon Valley, ou le Génopole d’Evry, peuvent se développer grâce à des conditions et des circonstances favorables, elles ne peuvent pas être décidées par une autorité supérieure, n’en déplaise aux jacobins invétérés que sont tous les hommes politiques français, de droite comme de gauche. Un de nos interlocuteurs, éminent enseignant-chercheur à Palaiseau nous confiait désabusé » oui, on construit des bâtiments sur le campus, on y mettra des chercheurs qui y resteront trente ans ! « .
Grandeur
A la base de toute réussite humaine, l’idée d’excellence, de grandeur est toujours présente, sous une forme ou sous une autre : les pyramides des Pharaons, les cathédrales de l’Occident chrétien, le château de Versailles, la théorie des groupes, la Mécanique quantique, , certaines institutions, comme le Collège de France, etc. On observe aussi que, dans le cas de réussite, l’idée a été portée par un ou plusieurs personnages exceptionnels, s’appuyant sur un groupe légitime dans la cité.
Pistes d’évolution
Dans la présente note on ne reviendra pas sur les dysfonctionnements de l’École. Ils ont été identifiés et explicités dans de nombreux documents [1]. Nous voulons plutôt maintenant, tout en gardant bien présentes à l’esprit toutes les critiques avérées de l’existant, ouvrir un débat dans la communauté polytechnicienne et proposer quelques pistes d’évolutions qui pourraient esquisser les fondements d’une École polytechnique renouvelée, définir un nouvel itinéraire polytechnique. Pour cela on partira des points forts de l’existant qui sont, nous semble-t-il, au nombre de trois : les élèves, le corps enseignant, les laboratoires.
LES ÉLÈVES
Longtemps l’image de l’Ecole polytechnique dans l’imaginaire de la Nation, c’est à dire l’image latente présente dans l’esprit de tous, enfants, parents, enseignants, est restée extrêmement positive. Vers 1850, Flaubert, dans le Dictionnaire des idées reçues, la définit ainsi :
Ecole Polytechnique : rêve de toutes les mères
Près de deux siècles plus tard cette définition reste-t-elle aussi juste ? Aujourd’hui les mères ont-elles le loisir de rêver et de faire partager leurs rêves à leur entourage ? L’image de l’X et, plus généralement, l’image de l’itinéraire méritocratique national évoluent rapidement ; pour plusieurs raisons.
La première est que l’enseignement supérieur coûte de plus en plus cher, partout dans le monde, alors qu’en France en général son coût, aujourd’hui masqué, apparaît dérisoire, le coût réel va rapidement apparaître au grand jour. Le modèle d’écoles formant des élèves rémunérés (comme l” X, Normale – sup, ou l’ENA ) ne tiendra pas très longtemps. La concurrence entre grandes écoles et maintenant avec les universités va devenir de plus en plus dure. Un de nos interlocuteurs prédisait même que bientôt les enfants des dirigeants du CAC 40, après leur bac, iraient se former aux EU !.
Mode de sélection
En second lieu, l’enseignement supérieur français devra rapidement attirer des jeunes talentueux provenant des classes défavorisées, ce à quoi l’École polytechnique, malgré quelques initiatives opportunes, échoue de plus en plus, comme d’ailleurs la plupart des autres filières d’excellence du monde occidental. Pour montrer la route l’École devra résoudre un problème difficile : tout en conservant, au moins en partie, son concours d’admission traditionnel dont tout le monde reconnaît que la grande sélectivité a des mérites indéniables. Il faudra imaginer une méthode d’admission rigoureuse, mais plus ouverte et moins dépendante d’un programme précis. Cette évolution, l’École l’a déjà amorcée avec le recrutement des élèves étrangers et avec le concours entr’ouvert aux étudiants issus de l’université Cette évolution, l’École doit la poursuivre en étroite collaboration avec divers partenaires et non se la faire imposer par un environnement hostile. D’autant que cet enjeu rejoint aussi celui de tout l’enseignement français.
Ouverture
Enfin, si, comme nous le proposons plus bas, l’enseignement à l’École doit devenir beaucoup plus ouvert sur des savoirs moins étroitement liés aux maths et aux sciences physiques, il faudra trouver d’autres pierres de touche pour détecter les talents de l’avenir, dans les sciences de la vie, les sciences cognitives, les sciences humaines et sociales, etc. les pierres de touche de la sélection ne doivent plus être exclusivement fondées sur des savoirs étroitement associés aux mathématiques. En particulier le recrutement à partir d’une filière »chimie, biologie, sciences de la vie » qui s’impose depuis 20 ans n’a jamais encore pu être mis en oeuvre, tant sont pesants les conservatismes disciplinaires. Il devient urgent d’y remédier.
Il est donc très probable que le recrutement à l’École changera profondément dans un bref avenir. Le recrutement sur dossier, si étranger à la culture égalitaire nationale, se développera inévitablement. Par ailleurs on peut penser que l’École polytechnique pourrait, devrait, prendre la tête d’un important mouvement visant à attirer davantage de jeunes filles vers l’enseignement supérieur scientifique tout en luttant contre la désaffection en Occident des jeunes pour les études scientifiques.
LE CORPS ENSEIGNANT
L’École, à ses débuts, a eu comme professeurs les meilleurs savants de l’époque, Monge, Arago, Cauchy, Ampère, Poisson, Gay-Lussac, etc. L’excellence qui était restée à peu près la règle tout au long du XIXe siècle a subi une éclipse dans la première moitié du siècle passé, excepté en mathématiques où on relève encore un excellent Paul Levy.
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale le niveau s’est considérablement relevé et de grands scientifiques ont enseigné rue Descartes et à Palaiseau : Louis Leprince-Ringuet, Laurent Schwartz, Bernard Gregory, Louis Michel, Jacques-Louis Lions, etc.
Excellentes candidatures
Aujourd’hui encore, il faut se réjouir que toute ouverture de poste d’enseignant à l’X suscite d’excellentes candidatures, françaises, voire étrangères. Pourquoi ? Trois raisons principales :
- Le salaire associé, même s’il n’est guère compétitif avec les sommes offertes par certaines grandes universités étrangères, reste encore significatif dans le contexte national
- Les étudiants sont en moyenne excellents,
- Le titre de »professeur à l’École polytechnique » est recherché et constitue, pour une carrière hexagonale, un atout de poids.
Ces trois raisons fondent-elles la principale motivation des enseignants actuels de Polytechnique ? Candidate-t-on à l’École, avant tout pour faire carrière ? Assurément non, tout au moins pas tous. Cependant, ces vocations opportunistes malheureusement ne sont pas rares : elles doivent être dénoncées et bannies. Une culture essentielle doit conduire les professeurs à penser l’École avant leur carrière, le succès de celle-ci découlant de la réussite de celle-là.
Temps partiel
Très peu nombreux sont les enseignants plein temps, c’est-à-dire qui n’ont pas une autre activité d’enseignement ou de recherche en dehors de l’École. De sorte que, pour la très grande majorité des enseignants, leur charge à Palaiseau est seconde dans l’ensemble de leur activité professionnelle et, en particulier, leur activité de recherche est souvent extérieure à l’École. Pis encore, certains, quoiqu’occupant un emploi temps plein de l’École, n’y passent pas la moitié de leur temps. De là résulte que l’enseignement et la recherche, sur le campus de l’X, restent des activités disjointes, ce qui n’est pas de mise dans l’enseignement supérieur de notre temps.
Certes dans certains cas, rares et bien identifiés, il peut être bénéfique pour l’École qu’une personnalité extérieure apporte un certain concours à l’enseignement et à la recherche, mais le cumul, pratiqué à grande échelle, depuis longtemps, en France en général, et en particulier à l’X, doit être éradiqué, sans faiblesse.
Projet pédagogique
Il en résultera immédiatement que tout recrutement à l’École devra se faire dans le cadre d’un projet conçu à l’École, secrété par ses forces vives, et donc validé et porté par la direction.
Dans les années 30, Louis Leprince-Ringuet s’établit à l’École avec une ambition claire. Dans les années 60 Laurent Schwartz choisit d’enseigner les mathématiques à Polytechnique avec un objectif précis. Cette logique doit découler des statuts d’une école rénovée. Il est indispensable que la gouvernance future de l’École arrive à implanter cette culture, en dehors de laquelle il n’y a pas de perspective d’excellence.
Pluridisciplinarité
Par ailleurs l’École doit prendre pied dans des disciplines nouvelles à introduire dans un champ d’admission des élèves élargi, comme nous l’avons dit, mais aussi présentes, comme nous allons le voir plus bas, dans les équipes de recherche implantées à Palaiseau. Le spectre des compétences requises du corps enseignant qui s’est déjà beaucoup élargi depuis sa création, devra s’élargir encore. D’autant plus que le cursus lié à un itinéraire polytechnique modernisé doit s’étendre sur 4 ans, et même plus pour ceux qui feront un doctorat. Il s’agit là d’achever une révolution que la réforme X‑2000, instituée par Pierre FAURRE, avait amorcée, sans pouvoir la mener à son terme.
Il faut ajouter qu’un tutorat très efficace devra devenir la règle, de sorte que l’intérêt des élèves pour leurs études soit très accru par rapport à la situation actuelle, et que soit plus efficace leur orientation professionnelle.
Nous pensons que l’École devra redéfinir son projet pédagogique et s’appuyer sur la culture qui est la sienne depuis toujours, pour former des diplômés réellement aptes à relever les défis pluridisciplinaires que pose le monde, toujours plus complexe, où nous vivons, Le défi sera de rendre compatible un approfondissement professionnel incontestable avec la capacité à franchir les frontières entre spécialités. L’X est probablement l’une des institutions au monde qui sont les mieux préparées à donner cette formation.
LA RECHERCHE
Aujourd’hui les laboratoires présents sur le site de Palaiseau relèvent, pour la plupart, partiellement de l’École elle-même, mais aussi simultanément d’institutions diverses, du CNRS presque toujours, dont relèvent tous les personnels des laboratoires, mais aussi d’institutions associées. C’est ainsi que le LMD (Laboratoire de métrologie dynamique) est un laboratoire commun à l’X et à l’ENS-ULM, que le LMS (Laboratoire de mécanique des solides) est commun aux Mines, aux Ponts et à l’X, etc. Ces couplages sont pour elle un atout, à condition d’être partie prenante de la stratégie de l’École.
Le rôle du CNRS est crucial pour les chercheurs qu’il évalue et dont il contrôle les carrières, pour les équipes auxquelles il attribue des moyens. C’est là une organisation illogique et perverse qui déresponsabilise la gouvernance de l’École dans sa politique de recherche. Comme la situation est identique dans toutes les universités françaises on peut penser que des textes règlementaires viendront prochainement prolonger la loi LRU de l’été 2007 et modifier cet état de chose.
Questions clés
Le problème principal reste de pouvoir répondre à deux questions précises :
- Comment situer les diverses équipes actuelles de Palaiseau dans la recherche mondiale ? Lesquelles sont réellement au premier niveau, lesquelles sont seulement honorables ? L’absence de l’X parmi les prix Nobel depuis plus de cent ans (à l’exception de Maurice Allais, 1988) et parmi les médailles Fields est inquiétante. On notera que l’École n’est l’objet d’aucune évaluation globale (enseignement et recherche), comme le sont Normale Sup, le Collège de France et bien d’autres. Une évaluation des départements enseignements recherche, évaluation approfondie, donc indépendante et internationale, doit être mise en route dans les meilleurs délais, de même qu’un comité international d’orientation stratégique devrait rapidement voir le jour.
- Quel type de recherche doit-on privilégier à Palaiseau ? Fondamentale, orientée, appliquée ou applicative ? Aux EU des institutions comme Caltech ou le MIT ont montré que le vrai choix est celui de l’excellence. La recherche fondamentale est indispensable au prestige scientifique qui est nécessaire pour asseoir le prestige international de l’institution et attirer les meilleurs professeurs pour qu’ils poursuivent sur le campus leur activité de recherche. La recherche applicative est essentielle si l’on continue, à juste titre, de voir l’X comme une école d’ingénieurs
Un document, intitulé Recommandations pour la recherche à l’X dans le cadre du futur campus Polytechnique, document produit par Jean-Claude LEHMANN et Arnold MIGUS, dans le cadre de la mission confiée récemment à Marion GUILLOU par le Premier Ministre, sur l’avenir de l’École, répond à ces deux questions essentielles. Il figure en annexe.
CONCLUSION
L’École devra veiller à assurer la cohérence de la formation polytechnicienne. Suivre un itinéraire polytechnique, c’est d’abord acquérir durant les premières années à Palaiseau, les outils nécessaires à la réelle pluridisciplinarité que requiert la complexité du monde d’aujourd’hui et que les élèves, dans leurs dernières années à Palaiseau, apprendrons à pratiquer. Aussi l’X doit-elle redéfinir ce socle commun de savoirs et de compétences qui, à sa naissance, en était la caractéristique originale.
Une autre révolution doit intervenir pour faire de l’Ecole, dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’acteur mondial que l’on souhaite : être présent dans la plupart des champs du savoir ; non seulement les domaines que sous-tendent les mathématiques, la physique, la chimie, l’informatique, mais aussi dans certains relevant des sciences du vivant, des sciences humaines et sociales. Tous les problèmes que rencontrera notre espèce seront de plus en plus des problèmes qui devront être abordés à partir de disciplines diverses. Telle était l’ambition de ceux qui l’ont conçue et fondée en 1794 dans l’esprit des Lumières, ambition plus nécessaire que jamais, dans un monde toujours plus complexe.
Statut militaire
Inévitablement, la question de la tutelle de l’École se posera. Il faut prendre en compte une tradition deux fois centenaire qui ne fut interrompue que quelques années, durant l’Occupation allemande, lors de la Deuxième Guerre mondiale. Ce rattachement au Ministère de la Défense présente plus d’avantages que d’inconvénients. Notamment il apporte aux élèves un environnement de qualité, dont un encadrement humain qui n’a pas d’équivalent dans les autres institutions d’enseignement supérieur françaises ou étrangères : il faut donc le conserver. Par ailleurs il serait de l’intérêt général que la Défense de la Nation retire beaucoup plus de l’École : recrutement de cadres du plus haut niveau et de compétences multiples et, surtout qu’elle développe des partenariats privilégiés avec certains laboratoires de l’École.
D’ailleurs nous recommandons que le Ministère de la Défense décide que la présence de chaque personnel travaillant sur le site de l’École résulte d’un contrat personnel. Un tel contrat définirait de manière précise les droits et obligations des personnels travaillant sur le site : avantages propres à un campus moderne, devoir de réserve, participation à la vie de l’École et à l’encadrement des élèves, contribuant ainsi à ce que, dans la formation des élèves en 4 ans, les laboratoires et les autres structures associées, jouent un rôle accru. De sorte qu’enfin à l’X l’enseignement et la recherche ne soient plus des domaines disjoints.
Nouvelle gouvernance
Ce qui précède montre que l’École devra à court terme ouvrir une série de chantiers et y mener des réformes approfondies qui ne peuvent s’envisager que si elle est dotée d’une gouvernance professionnelle, du meilleur niveau. Ce qui exige de pouvoir attirer à sa tête une personnalité exceptionnelle qui saura s’entourer d’une équipe professionnelle, pleinement légitime à l’intérieur comme à l’extérieur, et qu’il dispose des moyens matériels et humains nécessaires.
[1][ Parmi les très nombreux textes qui abordent la question des dysfonctionnements de l’École, on se bornera à citer :
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NOTE ANNEXE
Quelques recommandations pour la recherche à l’X dans le cadre du futur Campus Polytechnique et du Plateau de Saclay
Jean-Claude Lehmann et Arnold Migus, 17 février 2011
Modèles existants et changements en cours en France
Les grandes universités à travers le monde se voient attribuer un double rôle de production et de transmission des connaissances. Pour favoriser ce développement des connaissances, l’attribution des financements se fait à travers la compétition, le choix des projets financés reposant sur le mérite scientifique et non sur des arguments politiques ou économiques. Ceci n’exclut cependant pas de rechercher une pertinence d’ensemble de l’activité d’un établissement (ou d’un pays) au regard de ce que l’on attend de sa recherche.
La recherche participe à travers la renommée des travaux poursuivis au rayonnement international de l’établissement.
Cette recherche de haut niveau repose en premier lieu sur la capacité à attirer des enseignants de premier plan qui effectuent leurs travaux de recherche sur place et trouvent dans ces universités d’excellence les moyens dont ils ont besoin (locaux, installations et équipements de pointe, environnement stimulant…), y compris des financements suffisants, au départ assurés par l’Université.
Ce modèle, qui s’est révélé constructif, est à la base des grandes réformes que l’on voit en Europe, par exemple en Allemagne, en Angleterre ou désormais en France. Le Collège de France, les écoles d’ingénieurs comme l’X ou les organismes de recherche comme le CNRS ont initialement été créés pour contourner le conservatisme et les carences des universités. L’autonomie récente des universités est un processus qui vise à mettre les universités au centre du dispositif de la recherche et de l’enseignement supérieur. Il ne peut s’envisager que dans la durée. Les réorganisations qui en découlent créent de nouvelles opportunités. C’est le cas du Plateau de Saclay et de sa composante située au niveau du Campus Polytechnique (dénommé suivant les cas, Campus Palaiseau, ou Paris-Tech Sud).L’X ne peut se situer que dans ce contexte et par rapport à ce contexte. Il faut en outre souligner que mettre en place un ensemble d’activités de recherche propre à répondre à une politique d’établissement explicite est un processus qui ne peut s’envisager que dans la durée.
Spécificités de la recherche actuelle à l’X
En principe, les établissements calibrent leur recherche en fonction de la formation qu’elles veulent dispenser. L’Ecole n’a pas en fait su ou pu choisir de modèle entre celui de l’ENS, qui forme des jeunes destinés à effectuer de la recherche et donne une priorité absolue à la recherche fondamentale, et l’Ecole des Mines qui travaille principalement avec le monde de l’entreprise. La recherche de l’X, au demeurant reconnue comme bonne sinon très bonne au niveau international, a depuis l’installation sur le site de Palaiseau été de fait largement structurée par le CNRS qui y a reproduit ses schémas habituels : qualité en recherche fondamentale et valorisation des résultats quand cela est possible. L’éventail des disciplines est large y compris en sciences sociales et humaines, mais la structuration en est classique autour des disciplines traditionnelles.
Un autre constat s’impose : la recherche à l’X est coupée de l’enseignement et tout semble fait pour qu’étudiants et chercheurs ne se rencontrent pas. Contrairement aux USA par exemple, la présence des étudiants dans les laboratoires est extrêmement faible.
La recherche : un élément déterminant de la stratégie de l’École ?
Cette question n’est ni anodine ni déplacée. Elle conditionne en effet le rôle que l’on veut voir jouer à l’Ecole dans le futur.
Si l’X doit évoluer vers une école qui se contente de sélectionner les meilleurs élèves de leur génération pour faire de ses mieux classés des fonctionnaires concurrents aux diplômés de l’ENA, la dimension recherche est peut-être sans grande importance.
Si au contraire, l’Ecole doit former les élites de la nation de demain, c’est-à-dire :
- des jeunes qui, outre le défi, pour certains, de faire progresser les connaissances, ont le gout de l’entreprenariat et du développement technologique,
- des jeunes qui, que cela soit dans l’entreprise, l’administration, la défense ou la politique, sont capables d’appréhender eux-mêmes, en plus du contexte sociologique, juridique ou de marché, les arguments scientifiques et technologiques qui motivent et motiveront de plus en plus certaines des décisions les plus importantes,
alors la recherche de l’Ecole est primordiale et le travail en laboratoire doit apporter sa contribution à cette formation.
La recherche est indispensable pour l’Ecole et son modèle pédagogique particulier ; elle n’a pas uniquement vocation à attirer un corps enseignant de qualité mais doit participer directement à l’acquisition de compétences et à la formation des élèves pour aller vers un enseignement basé sur l’expérimentation, la réalisation et la recherche.
Le corps enseignant de l’École doit désormais assurer le lien entre recherche et enseignement sur le site
Ce qui assure en général le mieux le lien entre recherche et enseignement est la possibilité, pour un étudiant, de pouvoir rencontrer ses professeurs au sein même des laboratoires, et d’avoir ainsi un contact avec la recherche. Les professeurs, chercheurs dans l’établissement, se sentent alors totalement intégrés à sa stratégie (dont peut d’ailleurs dépendre leur propre salaire !). Or le corps professoral actuel de l’Ecole est pour une large part constitué d’enseignants brillants et compétents, mais extérieurs à l’établissement et pour qui la charge de maître de conférence ou de professeur à l’X constitue à la fois un complément de rémunération et un titre envié à faire apparaître sur un curriculum vitae : aujourd’hui, l’Ecole compte seulement 80 enseignants chercheurs sur 1600 présents sur le site de l’École.
On ne pourra faire l’économie d’une évolution, sinon d’une rupture sur ce point. Les enseignants doivent en effet être les porteurs de la stratégie de l’établissement, se sentir totalement impliqués par elle et chargés de l’enrichir et de la promouvoir. Concernant le lien entre formation et recherche, l’Ecole doit donc s’engager dans une stratégie à long terme de recrutement d’enseignants dont l’activité de recherche soit réalisée dans un laboratoire du site (X, Campus Polytechnique ou Plateau de Saclay), sans que ceci n’exclue évidemment d’attirer pour un enseignement spécifique une personnalité extérieure exceptionnelle.
La population d’enseignants permanents au sein de l’Ecole doit être développée, par exemple en externalisant plus les fonctions de soutien. Il est pour cela nécessaire de créer d’ores et déjà un flux d’entrées-sorties d’enseignants, par exemple par des postes contractuels transformés après quelques années en postes permanents pour les meilleurs.
Quels schémas pour une recherche spécifique à l’École ?
La recherche à l’X doit évoluer pour couvrir un spectre large, allant d’une excellente recherche fondamentale dans quelques disciplines jusqu’à une recherche à vocation clairement technologique (ce qui est tout à fait différent d’une simple valorisation des résultats de la recherche fondamentale).
Si la formation s’appuie naturellement sur les disciplines de base que sont les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie…, la réalité des technologies est totalement transversale à cette notion de disciplines : c’est l’énergie, l’environnement, la communication, la santé… La recherche doit refléter cette réalité, qui comprend d’ailleurs toujours une forte composante de sciences humaines.
La recherche doit attirer les industriels, futurs employeurs des élèves. La recherche peut aussi constituer un lieu de rencontre important entre industriels, chercheurs et élèves. Pour cela, il ne suffit pas d’attirer quelques industriels, mais il est nécessaire que des industriels du monde entier aient envie de venir voir ce qui s’y passe.
Les laboratoires de l’Ecole doivent devenir comme dans toutes les grandes universités internationales des lieux d’attraction pour les élèves, soit parce qu’ils sont intéressés par la recherche elle-même, soit parce qu’ils trouvent un plaisir particulier à les fréquenter et que cela stimule leur imagination et complète utilement les connaissances. L’X devrait se fixer comme objectif d’inventer ce que sera la recherche de demain, dans un monde où la place de la science et de la technologie est devenue un enjeu plus complexe et plus évolutif qu’au siècle dernier.
Ainsi, par exemple, certains laboratoires devraient se voir confier des objectifs explicitement technologiques sur des thèmes transversaux trouvant leur origine dans les grands enjeux actuels de société : énergie et environnement, sciences de la vie et bien être, nouvelles technologies soutenables (durables), information et communication, etc.
- Devraient également être développées des activités de démonstrateur, analogues à ce qui se fait au Media Lab du MIT, ou à ce que réalisent les constructeurs automobiles avec les concepts cars.
- Quand à la recherche fondamentale, elle ne devrait se maintenir que sur la base de critères absolus d’originalité et d’excellence, laissant à d’autres établissements le soin de la développer dans toutes les disciplines.
Une autre façon d’exprimer cet équilibre serait de considérer que la recherche à l’X devrait être à environ 80% de type intégrative et à 20% de type analytique.
Enfin, afin de maintenir souplesse, goût du risque et de l’innovation, on pourrait, au lieu de nouveaux laboratoires, construire un hôtel à projet qui devrait pouvoir accueillir des étudiants ou de jeunes chercheurs souhaitant tester une idée technologique originale et éventuellement la conduire jusqu’à la création d’une start-up.
Afin d’augmenter la fluidité des laboratoires et en faire venir de nouveaux en fermant des anciens, l’Ecole
- devrait revoir la structure en départements qui apparaît peut-être trop rigide par rapport à ce qui fait la dynamique de la recherche
- ne devrait retenir la structure en UMR que pour les rares laboratoires qui le justifient, autour de grands équipements par exemple, afin de passer à un modèle souple d’équipes concurrentes se partageant des équipements, collaborant entre eux ou non.
- devrait dépasser le critère d’excellence académique comme unique paramètre de recrutement des enseignants chercheurs et recruter à très bon niveau tout en structurant une stratégie de recherche orientée sur la technologie.
Cette stratégie pourrait soit rester propre à l’École Polytechnique soit plus naturellement être partagée avec les autres acteurs du Plateau et d’abord avec ceux du site du Campus Polytechnique. L’École n’ayant en effet qu’une taille relativement modeste et étant entourée de nombreux autres établissements sur le plateau et dans la vallée, doit, sans renoncer à sa stratégie propre, prendre en compte une vision plus globale de la recherche sur l’ensemble de ces sites.
En conclusion, la dénomination de l’École doit être valorisée à l’égard des autres acteurs de recherche du campus. Concernant l’intégration de la dimension recherche dans la formation, il est demandé à l’École de mettre en place un jeu d’indicateurs à même de mesurer les contacts à augmenter entre l’étudiant et le milieu de la recherche. Concernant la stratégie de recherche, il sera nécessaire de définir un certain nombre de projets porteurs à même de fédérer les équipes de recherche autour de quelques thématiques fortes. Tout en restant attaché à l’implication forte des organismes de recherche, un élargissement aux acteurs compétents du campus sera recherché. L’École doit être force de proposition et intégrateur de projets de recherche grâce aux alliances nouées par le centre de recherche.
La recherche de l’École polytechnique, élément fédérateur du site
Si l’Ecole doit avoir sa propre stratégie de recherche, la recherche doit également être perçue comme un extraordinaire élément fédérateur entre les écoles, un ciment entre des établissements habitués à vivre de manière autonome. Par exemple, si on veut aller loin en matière de démonstrateur technologique, on est obligé de penser association entre partenaires complémentaires du site. En attirant beaucoup plus d’élèves et d’industriels dans les laboratoires, ce type de recherche permettra d’alimenter le budget de l’établissement et de ses partenaires tout en maintenant une très forte visibilité académique indispensable au niveau international.
Parce qu’il a actuellement le centre de recherche le plus structuré et le plus reconnu sur le plan académique, l’X a un devoir vis-à-vis de ses partenaires du site : il doit, sans être hégémonique, constituer le noyau de la recherche du Campus Polytechnique et un facilitateur de l’intégration des projets de recherche avec les acteurs qui l’entourent.
La recherche à l’instar de la formation doctorale doit être mutualisée entre tous les partenaires du site et acquérir un label Campus Polytechnique.
2 Commentaires
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Bravo !
Bravo aux auteurs de cet article, juste de bout en bout. Le rappel liminaire du mépris des sans-culottes pour les savants montre que la question de l’utilité politique du scientifique transcende l’histoire. Comment, aujourd’hui, rendre les savants « désirables » par le pouvoir ? Sans doute en le convainquant – si c’est possible – qu’il a mieux à faire qu’à vivre sur la bête en gérant le déclin de son pays, mais qu’il peut, comme la France révolutionnaire, conquérir de nouvelles positions à la mesure de l’éternelle jeunesse du génie français.
Merci aussi d’avoir, à la lumière de l’expérience US, rappelé que « big isn’t beautiful ». C’est un constat utile à l’heure où l’on s’apprête à compiler les boîtes à chaussures sur le plateau de Saclay, dont HEC, Renault et Danone donnent une triste préfiguration.
La question de l’abandon relatif de la dominante scientifique dans l’enseignement à l’X ayant été posée en termes crus (rapport Gérondeau), en écho à certaines réformes récentes du lycée qui ont fort justement ému la Conférence des grandes écoles, il me semble qu’une question cruciale est de savoir quoi enseigner, et comment, aux X. Qu’on inocule un peu ou beaucoup de bio, de H2S et de santé dans un enseignement dominé par les sciences ex du 19ème siècle est excellent. Mais le dénominateur commun de tout cela ne devrait-(il pas être l’initiation à la complexité (terme souligné à juste titre dans la note)? Dans cet ordre d’idée, un panel de probas, de théorie de l’informlation, de théorie des jeux, d’écologie et de linguistique (confirmée expérimentalement par une dernière année à l’étranger, si possible en Chine ou dans un univers linguistique complètement différent du nôtre) transformerait des taupins passés maîtres dans l’art du raisonnemrent déductif en experts de la complexité, sans pour autant les avoir seulement baladés au gré d’aimables vulgarisations. Cette question de la complexité, soulignée déjà par Marion Guillou, est au coeur du projet des corps de l’Etat. Nous serions intéressés à connaître la vision des auteurs sur ce point.
Michel Rostagnat, X 75, délégué général, Union des ingénieurs des ponbts, des eaux et des forêts
Réponse à Michel ROSTAGNAT qui souligne que nous n’avons guère p
Le mot COMPLEXITE, mot-valise s’il en fut, ne nous a guère inspirés. Mais, bien sûr, nous sommes tout à fait convaincus de la complexité du monde actuel et de celle des problèmes qu’il pose, ce qui devra être pris en compte dans le projet éducatif.