Un itinéraire polytechnique : pour quoi ?

Dossier : Formations scientifiques : le paysage françaisMagazine N°667 Septembre 2011

Signa­taires de cet article, nous avons for­mé, depuis trois ans, un petit groupe de réflexion sur l’a­ve­nir de l’É­cole poly­tech­nique. Cette action infor­melle résulte de l’at­ten­tion pas­sion­née et dés­in­té­res­sée que nous por­tons à l’É­cole et repose sur les expé­riences diverses que nous pen­sons pos­sé­der dans le domaine de l’en­sei­gne­ment supé­rieur et de la recherche.

Signa­taires de cet article, nous avons for­mé, depuis trois ans, un petit groupe de réflexion sur l’a­ve­nir de l’É­cole poly­tech­nique. Cette action infor­melle résulte de l’at­ten­tion pas­sion­née et dés­in­té­res­sée que nous por­tons à l’É­cole et repose sur les expé­riences diverses que nous pen­sons pos­sé­der dans le domaine de l’en­sei­gne­ment supé­rieur et de la recherche.
Nous avons eu l’oc­ca­sion de faire part de nos pre­mières réflexions à Marion Guillou alors qu’elle venait de prendre les fonc­tions de Pré­si­dente du Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’X, puis, plus récem­ment, à cer­tains res­pon­sables des Pou­voirs publics.
Comme des déci­sions impor­tantes pour l’a­ve­nir de l’É­cole seront pro­ba­ble­ment prises dans un proche ave­nir, il nous est appa­ru oppor­tun de pré­ci­ser aujourd’­hui les prin­ci­paux élé­ments de notre ana­lyse. Tel est le but du docu­ment dont voi­ci le texte intégral.

Les auteurs

Mau­rice Ber­nard, ancien direc­teur du CNET, ancien direc­teur du Labo­ra­toire de recherche des musées de France, a diri­gé l’en­sei­gne­ment et la recherche à l’E­cole poly­tech­nique, de 1983 à 1990.
Antoine Com­pa­gnon est pro­fes­seur au Col­lège de France et pro­fes­seur à Columbia.
Clau­dine Her­mann, pre­mière femme à être nom­mée pro­fes­seur à l’E­cole poly­tech­nique, en 1992.
Jean-Claude Leh­mann, ancien direc­teur scien­ti­fique de Saint-Gobain, pré­side l’As­so­cia­tion des anciens élèves de l’E­cole nor­male supé­rieure (Ulm et Sèvres),
Jean-Claude Tole­da­no, ancien pro­fes­seur à l’E­cole poly­tech­nique, a été direc­teur géné­ral adjoint pour l’enseignement.

Lorsque l’É­cole poly­tech­nique est créée en 1794, les hommes poli­tiques qui envoyaient Lavoi­sier à l’é­cha­faud pré­ten­daient »la Répu­blique n’a pas besoin de savants » Le COMITE de SALUT PUBLIC pense autre­ment et, pour satis­faire les besoins civils et mili­taires de la nou­velle répu­blique, il crée l’É­cole Cen­trale des Tra­vaux Publics. Par la suite l’É­cole sera, de façon récur­rente, admi­rée par beau­coup mais simul­ta­né­ment l’ob­jet de cri­tiques, de jalou­sies et donc d’in­ter­ro­ga­tions : l’É­cole poly­tech­nique, pour quoi faire ?

Nous nous pro­po­sons de ne pas répondre direc­te­ment à cette ques­tion, d’au­tant que les défi­ni­tions actuelles, répé­tées de textes en textes, après tout, ne sont pas si sottes.

Nombre de res­pon­sables et d’an­ciens élèves sou­haitent que l’É­cole évo­lue de manière à “être un acteur mon­dial de pre­mier plan dans le domaine de l’en­sei­gne­ment supé­rieur et de la recherche. » Soit. On note­ra qu’à l’é­tran­ger on ne se pose pas ce type de ques­tions : Har­vard, Stan­ford, à quoi cela sert-il ? Ou si l’on se pose cette ques­tion, c’est, en fait, parce que l’on cri­tique une ins­ti­tu­tion, son fonc­tion­ne­ment, non sa rai­son d’être. Alors oui, posons-nous constam­ment la ques­tion : l’É­cole poly­tech­nique tutoie-t-elle constam­ment l’excellence ?

Le projet de Saclay

L’a­ve­nir de l’É­cole doit, désor­mais, être pen­sé dans le cadre du grand pro­jet du pla­teau de Saclay, d »ins­pi­ra­tion jaco­bine. Pro­jet qui sou­lève cer­taines inter­ro­ga­tions :is big real­ly beautifull ? 

Depuis dix ans l’é­mer­gence des clas­se­ments type Shan­ghai, béné­fique à cer­tains égards, car elle a réveillé nombre de res­pon­sables assou­pis, a aus­si contri­bué à brouiller les pistes et, par exemple, à faus­ser com­plè­te­ment la vision que l’on a en France des uni­ver­si­tés amé­ri­caines et de leur fonc­tion­ne­ment. Antoine Com­pa­gnon, l’un d’entre nous, s’est récem­ment expri­mé sur ce point, dans l’ar­ticle Lectures amé­ri­caines, paru en 2010, dans la revue Le Débat et dont La Jaune et La Rouge a publié de larges extraits dans son numé­ro de juin-juillet 2011.

Pratique de l’excellence

La force des meilleures uni­ver­si­tés, amé­ri­caines, suisses, alle­mandes, bien­tôt chi­noises, repose non sur la taille, mais sur la pra­tique assi­due de l’excellence.

Nous pen­sons que c’est à l’aune de ces consi­dé­ra­tions qu’il faut regar­der les pro­jets comme Paris­Tech, les PRES, et le Cam­pus d’Or­say. Le dis­cours offi­ciel consiste à pen­ser que le trans­fert de divers acteurs exté­rieurs, allé­chés par les bud­gets annon­cés, condui­ront à une »scien­ti­fic Val­ley » qui, le génie fran­çais aidant, concur­ren­ce­ra rapi­de­ment les pres­ti­gieuses ins­ti­tu­tions clas­sées en tête du clas­se­ment de Shan­ghai ! En France Les Poli­tiques et les Amé­na­geurs qui fai­saient autre­fois réfé­rence à la route 128, près de Bos­ton et qui parlent aujourd’­hui de la Sili­con Val­ley , en géné­ral ne la connaissent pas et n’en com­prennent pas réel­le­ment la genèse.

Stanford

Il faut bien savoir que per­sonne, ni à Washing­ton, ni à Sacra­men­to, n’a jamais déci­dé la créa­tion de la Sili­con Val­ley . A l’o­ri­gine Mr Leland Stan­ford, mil­lion­naire enri­chi dans les che­mins de fer, et sa femme Jane, pour hono­rer la mémoire de leur fils unique, décé­dé très jeune de la typhoïde, fon­dèrent dans les der­nières années du 19e siècle, l’u­ni­ver­si­té de Stan­ford, sur une pro­prié­té de 8.000 acres au sud de San Fran­cis­co, sur le lieu dit Palo Alto. Ce ter­rain, par dona­tion, est inalié­nable depuis plus de 100 ans. L’U­ni­ver­si­té ne pou­vant le vendre, l’a très tôt loué à des entre­prises débutantes.

Et com­ment la phy­sique à Stan­ford s’est-elle his­sée au plus haut niveau ? Grâce à l’af­freux Mac Car­thy qui, à la fin des années 40, avait tel­le­ment exas­pé­ré Felix Bloch, un grand phy­si­cien de l’u­ni­ver­si­té d’E­tat à Ber­ke­ley, que celui-ci, avec quelques uns de ses meilleurs étu­diants, s’ins­tal­la de l’autre côté de la Bay Area, à Stan­ford, uni­ver­si­té privée.

ParisTech

Dans le même ordre d’i­dées il ne nous semble pas que Paris­Tech puisse aller au-delà d’une mutua­li­sa­tion très limi­tée de cer­taines res­sources, sans pou­voir tou­cher aux pro­blèmes de fond mais en géné­rant une confu­sion dommageable.

Les construc­tions humaines, comme la Sili­con Val­ley, ou le Géno­pole d’E­vry, peuvent se déve­lop­per grâce à des condi­tions et des cir­cons­tances favo­rables, elles ne peuvent pas être déci­dées par une auto­ri­té supé­rieure, n’en déplaise aux jaco­bins invé­té­rés que sont tous les hommes poli­tiques fran­çais, de droite comme de gauche. Un de nos inter­lo­cu­teurs, émi­nent ensei­gnant-cher­cheur à Palai­seau nous confiait désa­bu­sé » oui, on construit des bâti­ments sur le cam­pus, on y met­tra des cher­cheurs qui y res­te­ront trente ans ! « .

Grandeur

A la base de toute réus­site humaine, l’i­dée d’ex­cel­lence, de gran­deur est tou­jours pré­sente, sous une forme ou sous une autre : les pyra­mides des Pha­raons, les cathé­drales de l’Oc­ci­dent chré­tien, le châ­teau de Ver­sailles, la théo­rie des groupes, la Méca­nique quan­tique, , cer­taines ins­ti­tu­tions, comme le Col­lège de France, etc. On observe aus­si que, dans le cas de réus­site, l’i­dée a été por­tée par un ou plu­sieurs per­son­nages excep­tion­nels, s’ap­puyant sur un groupe légi­time dans la cité.

Pistes d’évolution

Dans la pré­sente note on ne revien­dra pas sur les dys­fonc­tion­ne­ments de l’É­cole. Ils ont été iden­ti­fiés et expli­ci­tés dans de nom­breux docu­ments [1]. Nous vou­lons plu­tôt main­te­nant, tout en gar­dant bien pré­sentes à l’es­prit toutes les cri­tiques avé­rées de l’exis­tant, ouvrir un débat dans la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne et pro­po­ser quelques pistes d’é­vo­lu­tions qui pour­raient esquis­ser les fon­de­ments d’une École poly­tech­nique renou­ve­lée, défi­nir un nou­vel iti­né­raire poly­tech­nique. Pour cela on par­ti­ra des points forts de l’exis­tant qui sont, nous semble-t-il, au nombre de trois : les élèves, le corps ensei­gnant, les laboratoires.

LES ÉLÈVES

Long­temps l’i­mage de l’E­cole poly­tech­nique dans l’i­ma­gi­naire de la Nation, c’est à dire l’i­mage latente pré­sente dans l’es­prit de tous, enfants, parents, ensei­gnants, est res­tée extrê­me­ment posi­tive. Vers 1850, Flau­bert, dans le Dic­tion­naire des idées reçues, la défi­nit ainsi :

Ecole Poly­tech­nique : rêve de toutes les mères

Près de deux siècles plus tard cette défi­ni­tion reste-t-elle aus­si juste ? Aujourd’­hui les mères ont-elles le loi­sir de rêver et de faire par­ta­ger leurs rêves à leur entou­rage ? L’i­mage de l’X et, plus géné­ra­le­ment, l’i­mage de l’i­ti­né­raire méri­to­cra­tique natio­nal évo­luent rapi­de­ment ; pour plu­sieurs raisons.

La pre­mière est que l’en­sei­gne­ment supé­rieur coûte de plus en plus cher, par­tout dans le monde, alors qu’en France en géné­ral son coût, aujourd’­hui mas­qué, appa­raît déri­soire, le coût réel va rapi­de­ment appa­raître au grand jour. Le modèle d’é­coles for­mant des élèves rému­né­rés (comme l” X, Nor­male – sup, ou l’E­NA ) ne tien­dra pas très long­temps. La concur­rence entre grandes écoles et main­te­nant avec les uni­ver­si­tés va deve­nir de plus en plus dure. Un de nos inter­lo­cu­teurs pré­di­sait même que bien­tôt les enfants des diri­geants du CAC 40, après leur bac, iraient se for­mer aux EU !.

Mode de sélection

En second lieu, l’en­sei­gne­ment supé­rieur fran­çais devra rapi­de­ment atti­rer des jeunes talen­tueux pro­ve­nant des classes défa­vo­ri­sées, ce à quoi l’É­cole poly­tech­nique, mal­gré quelques ini­tia­tives oppor­tunes, échoue de plus en plus, comme d’ailleurs la plu­part des autres filières d’ex­cel­lence du monde occi­den­tal. Pour mon­trer la route l’É­cole devra résoudre un pro­blème dif­fi­cile : tout en conser­vant, au moins en par­tie, son concours d’ad­mis­sion tra­di­tion­nel dont tout le monde recon­naît que la grande sélec­ti­vi­té a des mérites indé­niables. Il fau­dra ima­gi­ner une méthode d’ad­mis­sion rigou­reuse, mais plus ouverte et moins dépen­dante d’un pro­gramme pré­cis. Cette évo­lu­tion, l’É­cole l’a déjà amor­cée avec le recru­te­ment des élèves étran­gers et avec le concours entr’ou­vert aux étu­diants issus de l’u­ni­ver­si­té Cette évo­lu­tion, l’É­cole doit la pour­suivre en étroite col­la­bo­ra­tion avec divers par­te­naires et non se la faire impo­ser par un envi­ron­ne­ment hos­tile. D’au­tant que cet enjeu rejoint aus­si celui de tout l’en­sei­gne­ment français.

Ouverture

Enfin, si, comme nous le pro­po­sons plus bas, l’en­sei­gne­ment à l’É­cole doit deve­nir beau­coup plus ouvert sur des savoirs moins étroi­te­ment liés aux maths et aux sciences phy­siques, il fau­dra trou­ver d’autres pierres de touche pour détec­ter les talents de l’a­ve­nir, dans les sciences de la vie, les sciences cog­ni­tives, les sciences humaines et sociales, etc. les pierres de touche de la sélec­tion ne doivent plus être exclu­si­ve­ment fon­dées sur des savoirs étroi­te­ment asso­ciés aux mathé­ma­tiques. En par­ti­cu­lier le recru­te­ment à par­tir d’une filière »chi­mie, bio­lo­gie, sciences de la vie » qui s’im­pose depuis 20 ans n’a jamais encore pu être mis en oeuvre, tant sont pesants les conser­va­tismes dis­ci­pli­naires. Il devient urgent d’y remédier.

Il est donc très pro­bable que le recru­te­ment à l’É­cole chan­ge­ra pro­fon­dé­ment dans un bref ave­nir. Le recru­te­ment sur dos­sier, si étran­ger à la culture éga­li­taire natio­nale, se déve­lop­pe­ra inévi­ta­ble­ment. Par ailleurs on peut pen­ser que l’É­cole poly­tech­nique pour­rait, devrait, prendre la tête d’un impor­tant mou­ve­ment visant à atti­rer davan­tage de jeunes filles vers l’en­sei­gne­ment supé­rieur scien­ti­fique tout en lut­tant contre la désaf­fec­tion en Occi­dent des jeunes pour les études scientifiques.

LE CORPS ENSEIGNANT

L’É­cole, à ses débuts, a eu comme pro­fes­seurs les meilleurs savants de l’é­poque, Monge, Ara­go, Cau­chy, Ampère, Pois­son, Gay-Lus­sac, etc. L’ex­cel­lence qui était res­tée à peu près la règle tout au long du XIXe siècle a subi une éclipse dans la pre­mière moi­tié du siècle pas­sé, excep­té en mathé­ma­tiques où on relève encore un excellent Paul Levy.

Depuis la fin de la deuxième guerre mon­diale le niveau s’est consi­dé­ra­ble­ment rele­vé et de grands scien­ti­fiques ont ensei­gné rue Des­cartes et à Palai­seau : Louis Leprince-Rin­guet, Laurent Schwartz, Ber­nard Gre­go­ry, Louis Michel, Jacques-Louis Lions, etc.

Excellentes candidatures

Aujourd’­hui encore, il faut se réjouir que toute ouver­ture de poste d’en­sei­gnant à l’X sus­cite d’ex­cel­lentes can­di­da­tures, fran­çaises, voire étran­gères. Pour­quoi ? Trois rai­sons principales :

  • Le salaire asso­cié, même s’il n’est guère com­pé­ti­tif avec les sommes offertes par cer­taines grandes uni­ver­si­tés étran­gères, reste encore signi­fi­ca­tif dans le contexte national
  • Les étu­diants sont en moyenne excellents,
  • Le titre de »pro­fes­seur à l’É­cole poly­tech­nique » est recher­ché et consti­tue, pour une car­rière hexa­go­nale, un atout de poids.

Ces trois rai­sons fondent-elles la prin­ci­pale moti­va­tion des ensei­gnants actuels de Poly­tech­nique ? Can­di­date-t-on à l’É­cole, avant tout pour faire car­rière ? Assu­ré­ment non, tout au moins pas tous. Cepen­dant, ces voca­tions oppor­tu­nistes mal­heu­reu­se­ment ne sont pas rares : elles doivent être dénon­cées et ban­nies. Une culture essen­tielle doit conduire les pro­fes­seurs à pen­ser l’É­cole avant leur car­rière, le suc­cès de celle-ci décou­lant de la réus­site de celle-là.

Temps partiel

Très peu nom­breux sont les ensei­gnants plein temps, c’est-à-dire qui n’ont pas une autre acti­vi­té d’en­sei­gne­ment ou de recherche en dehors de l’É­cole. De sorte que, pour la très grande majo­ri­té des ensei­gnants, leur charge à Palai­seau est seconde dans l’en­semble de leur acti­vi­té pro­fes­sion­nelle et, en par­ti­cu­lier, leur acti­vi­té de recherche est sou­vent exté­rieure à l’É­cole. Pis encore, cer­tains, quoi­qu’oc­cu­pant un emploi temps plein de l’É­cole, n’y passent pas la moi­tié de leur temps. De là résulte que l’en­sei­gne­ment et la recherche, sur le cam­pus de l’X, res­tent des acti­vi­tés dis­jointes, ce qui n’est pas de mise dans l’en­sei­gne­ment supé­rieur de notre temps.

Certes dans cer­tains cas, rares et bien iden­ti­fiés, il peut être béné­fique pour l’É­cole qu’une per­son­na­li­té exté­rieure apporte un cer­tain concours à l’en­sei­gne­ment et à la recherche, mais le cumul, pra­ti­qué à grande échelle, depuis long­temps, en France en géné­ral, et en par­ti­cu­lier à l’X, doit être éra­di­qué, sans faiblesse.

Projet pédagogique

Il en résul­te­ra immé­dia­te­ment que tout recru­te­ment à l’É­cole devra se faire dans le cadre d’un pro­jet conçu à l’É­cole, secré­té par ses forces vives, et donc vali­dé et por­té par la direction.

Dans les années 30, Louis Leprince-Rin­guet s’é­ta­blit à l’É­cole avec une ambi­tion claire. Dans les années 60 Laurent Schwartz choi­sit d’en­sei­gner les mathé­ma­tiques à Poly­tech­nique avec un objec­tif pré­cis. Cette logique doit décou­ler des sta­tuts d’une école réno­vée. Il est indis­pen­sable que la gou­ver­nance future de l’É­cole arrive à implan­ter cette culture, en dehors de laquelle il n’y a pas de pers­pec­tive d’excellence.

Pluridisciplinarité

Par ailleurs l’É­cole doit prendre pied dans des dis­ci­plines nou­velles à intro­duire dans un champ d’ad­mis­sion des élèves élar­gi, comme nous l’a­vons dit, mais aus­si pré­sentes, comme nous allons le voir plus bas, dans les équipes de recherche implan­tées à Palai­seau. Le spectre des com­pé­tences requises du corps ensei­gnant qui s’est déjà beau­coup élar­gi depuis sa créa­tion, devra s’é­lar­gir encore. D’au­tant plus que le cur­sus lié à un iti­né­raire poly­tech­nique moder­ni­sé doit s’é­tendre sur 4 ans, et même plus pour ceux qui feront un doc­to­rat. Il s’a­git là d’a­che­ver une révo­lu­tion que la réforme X‑2000, ins­ti­tuée par Pierre FAURRE, avait amor­cée, sans pou­voir la mener à son terme.

Il faut ajou­ter qu’un tuto­rat très effi­cace devra deve­nir la règle, de sorte que l’in­té­rêt des élèves pour leurs études soit très accru par rap­port à la situa­tion actuelle, et que soit plus effi­cace leur orien­ta­tion professionnelle.

Nous pen­sons que l’É­cole devra redé­fi­nir son pro­jet péda­go­gique et s’ap­puyer sur la culture qui est la sienne depuis tou­jours, pour for­mer des diplô­més réel­le­ment aptes à rele­ver les défis plu­ri­dis­ci­pli­naires que pose le monde, tou­jours plus com­plexe, où nous vivons, Le défi sera de rendre com­pa­tible un appro­fon­dis­se­ment pro­fes­sion­nel incon­tes­table avec la capa­ci­té à fran­chir les fron­tières entre spé­cia­li­tés. L’X est pro­ba­ble­ment l’une des ins­ti­tu­tions au monde qui sont les mieux pré­pa­rées à don­ner cette formation.

LA RECHERCHE

Aujourd’­hui les labo­ra­toires pré­sents sur le site de Palai­seau relèvent, pour la plu­part, par­tiel­le­ment de l’É­cole elle-même, mais aus­si simul­ta­né­ment d’ins­ti­tu­tions diverses, du CNRS presque tou­jours, dont relèvent tous les per­son­nels des labo­ra­toires, mais aus­si d’ins­ti­tu­tions asso­ciées. C’est ain­si que le LMD (Labo­ra­toire de métro­lo­gie dyna­mique) est un labo­ra­toire com­mun à l’X et à l’ENS-ULM, que le LMS (Labo­ra­toire de méca­nique des solides) est com­mun aux Mines, aux Ponts et à l’X, etc. Ces cou­plages sont pour elle un atout, à condi­tion d’être par­tie pre­nante de la stra­té­gie de l’École.

Le rôle du CNRS est cru­cial pour les cher­cheurs qu’il éva­lue et dont il contrôle les car­rières, pour les équipes aux­quelles il attri­bue des moyens. C’est là une orga­ni­sa­tion illo­gique et per­verse qui déres­pon­sa­bi­lise la gou­ver­nance de l’É­cole dans sa poli­tique de recherche. Comme la situa­tion est iden­tique dans toutes les uni­ver­si­tés fran­çaises on peut pen­ser que des textes règle­men­taires vien­dront pro­chai­ne­ment pro­lon­ger la loi LRU de l’é­té 2007 et modi­fier cet état de chose.

Questions clés

Le pro­blème prin­ci­pal reste de pou­voir répondre à deux ques­tions précises :

  1. Com­ment situer les diverses équipes actuelles de Palai­seau dans la recherche mon­diale ? Les­quelles sont réel­le­ment au pre­mier niveau, les­quelles sont seule­ment hono­rables ? L’ab­sence de l’X par­mi les prix Nobel depuis plus de cent ans (à l’ex­cep­tion de Mau­rice Allais, 1988) et par­mi les médailles Fields est inquié­tante. On note­ra que l’É­cole n’est l’ob­jet d’au­cune éva­lua­tion glo­bale (ensei­gne­ment et recherche), comme le sont Nor­male Sup, le Col­lège de France et bien d’autres. Une éva­lua­tion des dépar­te­ments ensei­gne­ments recherche, éva­lua­tion appro­fon­die, donc indé­pen­dante et inter­na­tio­nale, doit être mise en route dans les meilleurs délais, de même qu’un comi­té inter­na­tio­nal d’o­rien­ta­tion stra­té­gique devrait rapi­de­ment voir le jour.
  2. Quel type de recherche doit-on pri­vi­lé­gier à Palai­seau ? Fon­da­men­tale, orien­tée, appli­quée ou appli­ca­tive ? Aux EU des ins­ti­tu­tions comme Cal­tech ou le MIT ont mon­tré que le vrai choix est celui de l’ex­cel­lence. La recherche fon­da­men­tale est indis­pen­sable au pres­tige scien­ti­fique qui est néces­saire pour asseoir le pres­tige inter­na­tio­nal de l’ins­ti­tu­tion et atti­rer les meilleurs pro­fes­seurs pour qu’ils pour­suivent sur le cam­pus leur acti­vi­té de recherche. La recherche appli­ca­tive est essen­tielle si l’on conti­nue, à juste titre, de voir l’X comme une école d’ingénieurs

Un docu­ment, inti­tu­lé Recom­man­da­tions pour la recherche à l’X dans le cadre du futur cam­pus Poly­tech­nique, docu­ment pro­duit par Jean-Claude LEHMANN et Arnold MIGUS, dans le cadre de la mis­sion confiée récem­ment à Marion GUILLOU par le Pre­mier Ministre, sur l’a­ve­nir de l’É­cole, répond à ces deux ques­tions essen­tielles. Il figure en annexe.

CONCLUSION

L’É­cole devra veiller à assu­rer la cohé­rence de la for­ma­tion poly­tech­ni­cienne. Suivre un iti­né­raire poly­tech­nique, c’est d’a­bord acqué­rir durant les pre­mières années à Palai­seau, les outils néces­saires à la réelle plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té que requiert la com­plexi­té du monde d’au­jourd’­hui et que les élèves, dans leurs der­nières années à Palai­seau, appren­drons à pra­ti­quer. Aus­si l’X doit-elle redé­fi­nir ce socle com­mun de savoirs et de com­pé­tences qui, à sa nais­sance, en était la carac­té­ris­tique originale.

Une autre révo­lu­tion doit inter­ve­nir pour faire de l’E­cole, dans le champ de l’en­sei­gne­ment supé­rieur et de la recherche, l’ac­teur mon­dial que l’on sou­haite : être pré­sent dans la plu­part des champs du savoir ; non seule­ment les domaines que sous-tendent les mathé­ma­tiques, la phy­sique, la chi­mie, l’in­for­ma­tique, mais aus­si dans cer­tains rele­vant des sciences du vivant, des sciences humaines et sociales. Tous les pro­blèmes que ren­con­tre­ra notre espèce seront de plus en plus des pro­blèmes qui devront être abor­dés à par­tir de dis­ci­plines diverses. Telle était l’am­bi­tion de ceux qui l’ont conçue et fon­dée en 1794 dans l’es­prit des Lumières, ambi­tion plus néces­saire que jamais, dans un monde tou­jours plus complexe.

Statut militaire

Inévi­ta­ble­ment, la ques­tion de la tutelle de l’É­cole se pose­ra. Il faut prendre en compte une tra­di­tion deux fois cen­te­naire qui ne fut inter­rom­pue que quelques années, durant l’Oc­cu­pa­tion alle­mande, lors de la Deuxième Guerre mon­diale. Ce rat­ta­che­ment au Minis­tère de la Défense pré­sente plus d’a­van­tages que d’in­con­vé­nients. Notam­ment il apporte aux élèves un envi­ron­ne­ment de qua­li­té, dont un enca­dre­ment humain qui n’a pas d’é­qui­valent dans les autres ins­ti­tu­tions d’en­sei­gne­ment supé­rieur fran­çaises ou étran­gères : il faut donc le conser­ver. Par ailleurs il serait de l’in­té­rêt géné­ral que la Défense de la Nation retire beau­coup plus de l’É­cole : recru­te­ment de cadres du plus haut niveau et de com­pé­tences mul­tiples et, sur­tout qu’elle déve­loppe des par­te­na­riats pri­vi­lé­giés avec cer­tains labo­ra­toires de l’École.

D’ailleurs nous recom­man­dons que le Minis­tère de la Défense décide que la pré­sence de chaque per­son­nel tra­vaillant sur le site de l’É­cole résulte d’un contrat per­son­nel. Un tel contrat défi­ni­rait de manière pré­cise les droits et obli­ga­tions des per­son­nels tra­vaillant sur le site : avan­tages propres à un cam­pus moderne, devoir de réserve, par­ti­ci­pa­tion à la vie de l’É­cole et à l’en­ca­dre­ment des élèves, contri­buant ain­si à ce que, dans la for­ma­tion des élèves en 4 ans, les labo­ra­toires et les autres struc­tures asso­ciées, jouent un rôle accru. De sorte qu’en­fin à l’X l’en­sei­gne­ment et la recherche ne soient plus des domaines disjoints.

Nouvelle gouvernance

Ce qui pré­cède montre que l’É­cole devra à court terme ouvrir une série de chan­tiers et y mener des réformes appro­fon­dies qui ne peuvent s’en­vi­sa­ger que si elle est dotée d’une gou­ver­nance pro­fes­sion­nelle, du meilleur niveau. Ce qui exige de pou­voir atti­rer à sa tête une per­son­na­li­té excep­tion­nelle qui sau­ra s’en­tou­rer d’une équipe pro­fes­sion­nelle, plei­ne­ment légi­time à l’in­té­rieur comme à l’ex­té­rieur, et qu’il dis­pose des moyens maté­riels et humains nécessaires.

[1][ Par­mi les très nom­breux textes qui abordent la ques­tion des dys­fonc­tion­ne­ments de l’É­cole, on se bor­ne­ra à citer :
  • Où va l’É­cole poly­tech­nique ? , rap­port de Mau­rice Ber­nard au Conseil d’Ad­mi­nis­tra­tion de l’X, octobre 1990
  • Pré­sen­ta­tion du Conseil scien­ti­fique de la Défense 1990–1992. Ce rap­port, il y a près de 20 ans, dénon­çait déjà la cou­pure entre ensei­gne­ment et recherche et le dés­in­té­rêt de la Défense pour la recherche dans les labo­ra­toires de Palaiseau.
  • Rap­port du conseil d’en­sei­gne­ment et de recherche, par J.C Leh­mann, décembre 2005
  • Sur l’é­vo­lu­tion de l’É­cole poly­tech­nique par Antoine Com­pa­gnon, Phi­lippe Kou­rils­ky, Jean Claude Leh­mann, Jean Claude Tolé­da­no, Mau­rice Ber­nard, avril 2009
  • Rap­port de Chris­tian Geron­deau , mars 2010
  • Rap­port du groupe Lureau, mis­sion­né par l’AX et la Fon­da­tion de l’X, juin 2010,
  • Com­plé­ment au rap­port de la mis­sion confiée à Marion Guillou( annexe ci-dessous)

NOTE ANNEXE

Quelques recommandations pour la recherche à l’X dans le cadre du futur Campus Polytechnique et du Plateau de Saclay

Jean-Claude Leh­mann et Arnold Migus, 17 février 2011

Modèles existants et changements en cours en France

Les grandes uni­ver­si­tés à tra­vers le monde se voient attri­buer un double rôle de pro­duc­tion et de trans­mis­sion des connais­sances. Pour favo­ri­ser ce déve­lop­pe­ment des connais­sances, l’at­tri­bu­tion des finan­ce­ments se fait à tra­vers la com­pé­ti­tion, le choix des pro­jets finan­cés repo­sant sur le mérite scien­ti­fique et non sur des argu­ments poli­tiques ou éco­no­miques. Ceci n’ex­clut cepen­dant pas de recher­cher une per­ti­nence d’en­semble de l’ac­ti­vi­té d’un éta­blis­se­ment (ou d’un pays) au regard de ce que l’on attend de sa recherche.

La recherche par­ti­cipe à tra­vers la renom­mée des tra­vaux pour­sui­vis au rayon­ne­ment inter­na­tio­nal de l’é­ta­blis­se­ment.

Cette recherche de haut niveau repose en pre­mier lieu sur la capa­ci­té à atti­rer des ensei­gnants de pre­mier plan qui effec­tuent leurs tra­vaux de recherche sur place et trouvent dans ces uni­ver­si­tés d’ex­cel­lence les moyens dont ils ont besoin (locaux, ins­tal­la­tions et équi­pe­ments de pointe, envi­ron­ne­ment sti­mu­lant…), y com­pris des finan­ce­ments suf­fi­sants, au départ assu­rés par l’Université.

Ce modèle, qui s’est révé­lé construc­tif, est à la base des grandes réformes que l’on voit en Europe, par exemple en Alle­magne, en Angle­terre ou désor­mais en France. Le Col­lège de France, les écoles d’in­gé­nieurs comme l’X ou les orga­nismes de recherche comme le CNRS ont ini­tia­le­ment été créés pour contour­ner le conser­va­tisme et les carences des uni­ver­si­tés. L’au­to­no­mie récente des uni­ver­si­tés est un pro­ces­sus qui vise à mettre les uni­ver­si­tés au centre du dis­po­si­tif de la recherche et de l’en­sei­gne­ment supé­rieur. Il ne peut s’en­vi­sa­ger que dans la durée. Les réor­ga­ni­sa­tions qui en découlent créent de nou­velles oppor­tu­ni­tés. C’est le cas du Pla­teau de Saclay et de sa com­po­sante située au niveau du Cam­pus Poly­tech­nique (dénom­mé sui­vant les cas, Cam­pus Palai­seau, ou Paris-Tech Sud).L’X ne peut se situer que dans ce contexte et par rap­port à ce contexte. Il faut en outre sou­li­gner que mettre en place un ensemble d’ac­ti­vi­tés de recherche propre à répondre à une poli­tique d’é­ta­blis­se­ment expli­cite est un pro­ces­sus qui ne peut s’en­vi­sa­ger que dans la durée.

Spécificités de la recherche actuelle à l’X

En prin­cipe, les éta­blis­se­ments calibrent leur recherche en fonc­tion de la for­ma­tion qu’elles veulent dis­pen­ser. L’E­cole n’a pas en fait su ou pu choi­sir de modèle entre celui de l’ENS, qui forme des jeunes des­ti­nés à effec­tuer de la recherche et donne une prio­ri­té abso­lue à la recherche fon­da­men­tale, et l’E­cole des Mines qui tra­vaille prin­ci­pa­le­ment avec le monde de l’en­tre­prise. La recherche de l’X, au demeu­rant recon­nue comme bonne sinon très bonne au niveau inter­na­tio­nal, a depuis l’ins­tal­la­tion sur le site de Palai­seau été de fait lar­ge­ment struc­tu­rée par le CNRS qui y a repro­duit ses sché­mas habi­tuels : qua­li­té en recherche fon­da­men­tale et valo­ri­sa­tion des résul­tats quand cela est pos­sible. L’é­ven­tail des dis­ci­plines est large y com­pris en sciences sociales et humaines, mais la struc­tu­ra­tion en est clas­sique autour des dis­ci­plines traditionnelles.

Un autre constat s’im­pose : la recherche à l’X est cou­pée de l’en­sei­gne­ment et tout semble fait pour qu’é­tu­diants et cher­cheurs ne se ren­contrent pas. Contrai­re­ment aux USA par exemple, la pré­sence des étu­diants dans les labo­ra­toires est extrê­me­ment faible.

La recherche : un élément déterminant de la stratégie de l’École ?

Cette ques­tion n’est ni ano­dine ni dépla­cée. Elle condi­tionne en effet le rôle que l’on veut voir jouer à l’E­cole dans le futur. 

Si l’X doit évo­luer vers une école qui se contente de sélec­tion­ner les meilleurs élèves de leur géné­ra­tion pour faire de ses mieux clas­sés des fonc­tion­naires concur­rents aux diplô­més de l’E­NA, la dimen­sion recherche est peut-être sans grande importance.

Si au contraire, l’E­cole doit for­mer les élites de la nation de demain, c’est-à-dire :

  • des jeunes qui, outre le défi, pour cer­tains, de faire pro­gres­ser les connais­sances, ont le gout de l’en­tre­pre­na­riat et du déve­lop­pe­ment technologique,
  • des jeunes qui, que cela soit dans l’en­tre­prise, l’ad­mi­nis­tra­tion, la défense ou la poli­tique, sont capables d’ap­pré­hen­der eux-mêmes, en plus du contexte socio­lo­gique, juri­dique ou de mar­ché, les argu­ments scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques qui motivent et moti­ve­ront de plus en plus cer­taines des déci­sions les plus importantes,

alors la recherche de l’E­cole est pri­mor­diale et le tra­vail en labo­ra­toire doit appor­ter sa contri­bu­tion à cette formation.

La recherche est indis­pen­sable pour l’E­cole et son modèle péda­go­gique par­ti­cu­lier ; elle n’a pas uni­que­ment voca­tion à atti­rer un corps ensei­gnant de qua­li­té mais doit par­ti­ci­per direc­te­ment à l’ac­qui­si­tion de com­pé­tences et à la for­ma­tion des élèves pour aller vers un ensei­gne­ment basé sur l’ex­pé­ri­men­ta­tion, la réa­li­sa­tion et la recherche. 

Le corps enseignant de l’École doit désormais assurer le lien entre recherche et enseignement sur le site

Ce qui assure en géné­ral le mieux le lien entre recherche et ensei­gne­ment est la pos­si­bi­li­té, pour un étu­diant, de pou­voir ren­con­trer ses pro­fes­seurs au sein même des labo­ra­toires, et d’a­voir ain­si un contact avec la recherche. Les pro­fes­seurs, cher­cheurs dans l’é­ta­blis­se­ment, se sentent alors tota­le­ment inté­grés à sa stra­té­gie (dont peut d’ailleurs dépendre leur propre salaire !). Or le corps pro­fes­so­ral actuel de l’E­cole est pour une large part consti­tué d’en­sei­gnants brillants et com­pé­tents, mais exté­rieurs à l’é­ta­blis­se­ment et pour qui la charge de maître de confé­rence ou de pro­fes­seur à l’X consti­tue à la fois un com­plé­ment de rému­né­ra­tion et un titre envié à faire appa­raître sur un cur­ri­cu­lum vitae : aujourd’­hui, l’E­cole compte seule­ment 80 ensei­gnants cher­cheurs sur 1600 pré­sents sur le site de l’École.

On ne pour­ra faire l’é­co­no­mie d’une évo­lu­tion, sinon d’une rup­ture sur ce point. Les ensei­gnants doivent en effet être les por­teurs de la stra­té­gie de l’é­ta­blis­se­ment, se sen­tir tota­le­ment impli­qués par elle et char­gés de l’en­ri­chir et de la pro­mou­voir. Concer­nant le lien entre for­ma­tion et recherche, l’E­cole doit donc s’en­ga­ger dans une stra­té­gie à long terme de recru­te­ment d’en­sei­gnants dont l’ac­ti­vi­té de recherche soit réa­li­sée dans un labo­ra­toire du site (X, Cam­pus Poly­tech­nique ou Pla­teau de Saclay), sans que ceci n’ex­clue évi­dem­ment d’at­ti­rer pour un ensei­gne­ment spé­ci­fique une per­son­na­li­té exté­rieure exceptionnelle.

La popu­la­tion d’en­sei­gnants per­ma­nents au sein de l’E­cole doit être déve­lop­pée, par exemple en exter­na­li­sant plus les fonc­tions de sou­tien. Il est pour cela néces­saire de créer d’ores et déjà un flux d’en­trées-sor­ties d’en­sei­gnants, par exemple par des postes contrac­tuels trans­for­més après quelques années en postes per­ma­nents pour les meilleurs.

Quels schémas pour une recherche spécifique à l’École ?

La recherche à l’X doit évo­luer pour cou­vrir un spectre large, allant d’une excel­lente recherche fon­da­men­tale dans quelques dis­ci­plines jus­qu’à une recherche à voca­tion clai­re­ment tech­no­lo­gique (ce qui est tout à fait dif­fé­rent d’une simple valo­ri­sa­tion des résul­tats de la recherche fondamentale).

Si la for­ma­tion s’ap­puie natu­rel­le­ment sur les dis­ci­plines de base que sont les mathé­ma­tiques, la phy­sique, la chi­mie, la bio­lo­gie…, la réa­li­té des tech­no­lo­gies est tota­le­ment trans­ver­sale à cette notion de dis­ci­plines : c’est l’éner­gie, l’en­vi­ron­ne­ment, la com­mu­ni­ca­tion, la san­té… La recherche doit reflé­ter cette réa­li­té, qui com­prend d’ailleurs tou­jours une forte com­po­sante de sciences humaines.

La recherche doit atti­rer les indus­triels, futurs employeurs des élèves. La recherche peut aus­si consti­tuer un lieu de ren­contre impor­tant entre indus­triels, cher­cheurs et élèves. Pour cela, il ne suf­fit pas d’at­ti­rer quelques indus­triels, mais il est néces­saire que des indus­triels du monde entier aient envie de venir voir ce qui s’y passe.

Les labo­ra­toires de l’E­cole doivent deve­nir comme dans toutes les grandes uni­ver­si­tés inter­na­tio­nales des lieux d’at­trac­tion pour les élèves, soit parce qu’ils sont inté­res­sés par la recherche elle-même, soit parce qu’ils trouvent un plai­sir par­ti­cu­lier à les fré­quen­ter et que cela sti­mule leur ima­gi­na­tion et com­plète uti­le­ment les connais­sances. L’X devrait se fixer comme objec­tif d’in­ven­ter ce que sera la recherche de demain, dans un monde où la place de la science et de la tech­no­lo­gie est deve­nue un enjeu plus com­plexe et plus évo­lu­tif qu’au siècle dernier.

Ain­si, par exemple, cer­tains labo­ra­toires devraient se voir confier des objec­tifs expli­ci­te­ment tech­no­lo­giques sur des thèmes trans­ver­saux trou­vant leur ori­gine dans les grands enjeux actuels de socié­té : éner­gie et envi­ron­ne­ment, sciences de la vie et bien être, nou­velles tech­no­lo­gies sou­te­nables (durables), infor­ma­tion et com­mu­ni­ca­tion, etc.

  • Devraient éga­le­ment être déve­lop­pées des acti­vi­tés de démons­tra­teur, ana­logues à ce qui se fait au Media Lab du MIT, ou à ce que réa­lisent les construc­teurs auto­mo­biles avec les concepts cars.
  • Quand à la recherche fon­da­men­tale, elle ne devrait se main­te­nir que sur la base de cri­tères abso­lus d’o­ri­gi­na­li­té et d’ex­cel­lence, lais­sant à d’autres éta­blis­se­ments le soin de la déve­lop­per dans toutes les disciplines.

Une autre façon d’ex­pri­mer cet équi­libre serait de consi­dé­rer que la recherche à l’X devrait être à envi­ron 80% de type inté­gra­tive et à 20% de type ana­ly­tique.

Enfin, afin de main­te­nir sou­plesse, goût du risque et de l’in­no­va­tion, on pour­rait, au lieu de nou­veaux labo­ra­toires, construire un hôtel à pro­jet qui devrait pou­voir accueillir des étu­diants ou de jeunes cher­cheurs sou­hai­tant tes­ter une idée tech­no­lo­gique ori­gi­nale et éven­tuel­le­ment la conduire jus­qu’à la créa­tion d’une start-up.

Afin d’aug­men­ter la flui­di­té des labo­ra­toires et en faire venir de nou­veaux en fer­mant des anciens, l’Ecole

  • devrait revoir la struc­ture en dépar­te­ments qui appa­raît peut-être trop rigide par rap­port à ce qui fait la dyna­mique de la recherche
  • ne devrait rete­nir la struc­ture en UMR que pour les rares labo­ra­toires qui le jus­ti­fient, autour de grands équi­pe­ments par exemple, afin de pas­ser à un modèle souple d’é­quipes concur­rentes se par­ta­geant des équi­pe­ments, col­la­bo­rant entre eux ou non.
  • devrait dépas­ser le cri­tère d’ex­cel­lence aca­dé­mique comme unique para­mètre de recru­te­ment des ensei­gnants cher­cheurs et recru­ter à très bon niveau tout en struc­tu­rant une stra­té­gie de recherche orien­tée sur la technologie.

Cette stra­té­gie pour­rait soit res­ter propre à l’É­cole Poly­tech­nique soit plus natu­rel­le­ment être par­ta­gée avec les autres acteurs du Pla­teau et d’a­bord avec ceux du site du Cam­pus Poly­tech­nique. L’É­cole n’ayant en effet qu’une taille rela­ti­ve­ment modeste et étant entou­rée de nom­breux autres éta­blis­se­ments sur le pla­teau et dans la val­lée, doit, sans renon­cer à sa stra­té­gie propre, prendre en compte une vision plus glo­bale de la recherche sur l’en­semble de ces sites.

En conclu­sion, la déno­mi­na­tion de l’École doit être valo­ri­sée à l’é­gard des autres acteurs de recherche du cam­pus. Concer­nant l’in­té­gra­tion de la dimen­sion recherche dans la for­ma­tion, il est deman­dé à l’École de mettre en place un jeu d’in­di­ca­teurs à même de mesu­rer les contacts à aug­men­ter entre l’é­tu­diant et le milieu de la recherche. Concer­nant la stra­té­gie de recherche, il sera néces­saire de défi­nir un cer­tain nombre de pro­jets por­teurs à même de fédé­rer les équipes de recherche autour de quelques thé­ma­tiques fortes. Tout en res­tant atta­ché à l’im­pli­ca­tion forte des orga­nismes de recherche, un élar­gis­se­ment aux acteurs com­pé­tents du cam­pus sera recher­ché. L’École doit être force de pro­po­si­tion et inté­gra­teur de pro­jets de recherche grâce aux alliances nouées par le centre de recherche.

La recherche de l’École polytechnique, élément fédérateur du site

Si l’E­cole doit avoir sa propre stra­té­gie de recherche, la recherche doit éga­le­ment être per­çue comme un extra­or­di­naire élé­ment fédé­ra­teur entre les écoles, un ciment entre des éta­blis­se­ments habi­tués à vivre de manière auto­nome. Par exemple, si on veut aller loin en matière de démons­tra­teur tech­no­lo­gique, on est obli­gé de pen­ser asso­cia­tion entre par­te­naires com­plé­men­taires du site. En atti­rant beau­coup plus d’é­lèves et d’in­dus­triels dans les labo­ra­toires, ce type de recherche per­met­tra d’a­li­men­ter le bud­get de l’é­ta­blis­se­ment et de ses par­te­naires tout en main­te­nant une très forte visi­bi­li­té aca­dé­mique indis­pen­sable au niveau international.

Parce qu’il a actuel­le­ment le centre de recherche le plus struc­tu­ré et le plus recon­nu sur le plan aca­dé­mique, l’X a un devoir vis-à-vis de ses par­te­naires du site : il doit, sans être hégé­mo­nique, consti­tuer le noyau de la recherche du Cam­pus Poly­tech­nique et un faci­li­ta­teur de l’in­té­gra­tion des pro­jets de recherche avec les acteurs qui l’entourent.

La recherche à l’ins­tar de la for­ma­tion doc­to­rale doit être mutua­li­sée entre tous les par­te­naires du site et acqué­rir un label Cam­pus Polytechnique. 

2 Commentaires

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Michel Ros­ta­gnatrépondre
1 septembre 2011 à 15 h 05 min

Bra­vo !
Bra­vo aux auteurs de cet article, juste de bout en bout. Le rap­pel limi­naire du mépris des sans-culottes pour les savants montre que la ques­tion de l’u­ti­li­té poli­tique du scien­ti­fique trans­cende l’his­toire. Com­ment, aujourd’­hui, rendre les savants « dési­rables » par le pou­voir ? Sans doute en le convain­quant – si c’est pos­sible – qu’il a mieux à faire qu’à vivre sur la bête en gérant le déclin de son pays, mais qu’il peut, comme la France révo­lu­tion­naire, conqué­rir de nou­velles posi­tions à la mesure de l’é­ter­nelle jeu­nesse du génie français.
Mer­ci aus­si d’a­voir, à la lumière de l’ex­pé­rience US, rap­pe­lé que « big isn’t beau­ti­ful ». C’est un constat utile à l’heure où l’on s’ap­prête à com­pi­ler les boîtes à chaus­sures sur le pla­teau de Saclay, dont HEC, Renault et Danone donnent une triste préfiguration.
La ques­tion de l’a­ban­don rela­tif de la domi­nante scien­ti­fique dans l’en­sei­gne­ment à l’X ayant été posée en termes crus (rap­port Géron­deau), en écho à cer­taines réformes récentes du lycée qui ont fort jus­te­ment ému la Confé­rence des grandes écoles, il me semble qu’une ques­tion cru­ciale est de savoir quoi ensei­gner, et com­ment, aux X. Qu’on ino­cule un peu ou beau­coup de bio, de H2S et de san­té dans un ensei­gne­ment domi­né par les sciences ex du 19ème siècle est excellent. Mais le déno­mi­na­teur com­mun de tout cela ne devrait-(il pas être l’i­ni­tia­tion à la com­plexi­té (terme sou­li­gné à juste titre dans la note)? Dans cet ordre d’i­dée, un panel de pro­bas, de théo­rie de l’in­form­la­tion, de théo­rie des jeux, d’é­co­lo­gie et de lin­guis­tique (confir­mée expé­ri­men­ta­le­ment par une der­nière année à l’é­tran­ger, si pos­sible en Chine ou dans un uni­vers lin­guis­tique com­plè­te­ment dif­fé­rent du nôtre) trans­for­me­rait des tau­pins pas­sés maîtres dans l’art du rai­son­nemrent déduc­tif en experts de la com­plexi­té, sans pour autant les avoir seule­ment bala­dés au gré d’ai­mables vul­ga­ri­sa­tions. Cette ques­tion de la com­plexi­té, sou­li­gnée déjà par Marion Guillou, est au coeur du pro­jet des corps de l’E­tat. Nous serions inté­res­sés à connaître la vision des auteurs sur ce point.
Michel Ros­ta­gnat, X 75, délé­gué géné­ral, Union des ingé­nieurs des ponbts, des eaux et des forêts

Mau­rice BERNARD (48)répondre
27 septembre 2011 à 6 h 53 min

Réponse à Michel ROSTAGNAT qui sou­ligne que nous n’a­vons guère p
Le mot COMPLEXITE, mot-valise s’il en fut, ne nous a guère ins­pi­rés. Mais, bien sûr, nous sommes tout à fait convain­cus de la com­plexi­té du monde actuel et de celle des pro­blèmes qu’il pose, ce qui devra être pris en compte dans le pro­jet éducatif. 

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