Un jeune polytechnicien dans la haute technologie israélienne
Massada © ONIT
Je suis arrivé en Israël en 1992, à l’âge de 27 ans, après avoir terminé l’X en 1988, un mastère en Traitement de Signal à Télécom Paris et les études de l’ENGREF en 1990, suivis d’une expérience professionnelle dans la filiale française d’une société israélienne (BERCOM) et à Matra Défense.
En 1993, je rentre à Tadiran Télécom, premier constructeur télécom en Israël, en tant qu’ingénieur R&D sur un projet nommé « Wireless Local Loop » (WLL), de téléphonie sans fil pour abonnés fixes.
L’idée est astucieuse puisque l’une des applications est de déployer des réseaux téléphoniques sans fil, rapidement et à faible coût, dans des zones de population à faibles densités, défaillantes en moyen de communication, là où le déploiement d’un réseau téléphonique conventionnel est particulièrement long et fastidieux.
Très rapidement, des pays tels que la Chine, l’Inde ou le Chili deviennent demandeurs et ce projet deviendra un des projets phares de Tadiran, commercialisé dans le monde entier.
Tadiran, avec son logiciel « Tadiplan », est devenu aujourd’hui leader dans les logiciels d’aide au déploiement de réseaux WLL.
Ma première expérience professionnelle à Tadiran Télécom aura été très bénéfique, puisqu’elle m’aura permis de m’intégrer « en douceur » dans la société israélienne et de voir comment fonctionne une grosse structure israélienne.
En 1996, après trois ans de loyaux services, je décide de m’orienter vers des aspects plus « systèmes », et je signe avec Motorola Cellular Division Israel (MCDI), pour travailler sur le déploiement de l’un des deux réseaux cellulaires israéliens actuels « Péléphone ».
« Pélé » signifie « miracle » ou « merveille » mais il y a également le jeu de mots avec « Pé » qui signifie « bouche ».
En un an, Péléphone, réseau analogique et historiquement le plus ancien des deux réseaux, double son nombre d’abonnés (de 300 000 à 600 000), alors que Cellcom le rattrape.
Israël est aujourd’hui numéro 1 mondial pour la densité de ses abonnés au km2 (plus de 2 millions d’abonnés en juillet 1998 pour 5,9 millions d’habitants et une superficie de 22 000 km² !).
MCDI est d’ailleurs la base d’expérimentation numéro 1 au monde, pour Motorola Cellulaire USA, qui développe sans cesse de nouvelles technologies.
Le tout dernier cri, la technologie digitale CDMA de Motorola, considérée comme la plus fiable, est d’ailleurs en phase de mise en œuvre depuis mai dernier.
Un troisième opérateur en phase de déploiement, « Partner », qui sera GSM (le premier standard au monde actuellement), achèvera de bâtir la téléphonie cellulaire en Israël.
On estime qu’à l’aube de l’an 2000, plus de 50 % de la population israélienne sera équipée d’un portable. Mais il est connu que le fleuron de l’industrie high-tech israélienne reside généralement dans les petites structures, les fameuses start-up, miroirs de celles qui fleurissent dans la Silicon Valley.
Depuis toujours j’avais en admiration des sociétés telles que Checkpoint, Vocaltec, Aladdin et récemment Mirabilis (avec le fameux logiciel de communication sur le Net ICQ).
En juin 1997, on me propose un poste dans une société à taille beaucoup plus petite, la seule à opérer dans le domaine audio professionnel en Israël, j’ai nommé K.S. Waves ou Galim en hébreu.
Étant moi-même musicien amateur, j’avais toujours rêvé de travailler dans ce domaine, et on me proposait un poste de direction de recherche et développement pour les nouveaux produits.
Cette société a une histoire tout à fait particulière puisque la conception de ses produits, outre des connaissances en informatique et en traitement de signal, nécessite des dons divers tels que l’oreille et la créativité musicales, des connaissances en physique, en acoustique, en psychoacoustique…
L’originalité de K.S. Waves réside dans la diversité d’origine de sa main-d’œuvre : programmeurs surdoués bien sûr mais aussi danseurs ou musiciens professionnels, anciens techniciens du son dans des studios d’enregistrement, spécialistes mondialement connus dans le domaine du son.
Ce domaine, moins connu que celui des Télécoms traditionnelles, n’en est pas moins valorisant, et il connaît d’ailleurs un essor constant avec le développement d’Internet et des micro-ordinateurs multimédia et des différents appareils de reproduction du son.
C’est en 1993 dans le recoin d’un vieux taudis du quartier bohémien de Shenkin au sud de Tel-Aviv que commence l’histoire de K.S. Waves. Deux Israéliens, Gilad Keren et Meir Shashua (d’où les initiales K.S.) qui s’étaient connus aux USA, tous deux passionnés par le son et la technologie audio, bricolent ce qui va être un des logiciels pionniers dans le domaine des stations digitales audio.
Les nuits sont longues à Shenkin, mais un an plus tard le premier logiciel limiteur1 audio du marché, un dénommé L1 qui allait faire la réputation mondiale de la société, sort avec brio.
À partir de 1994, la société connaît une croissance sans précédent. Les « releases » de produits toujours plus innovants se succèdent à un rythme effréné. Un exemple : le dernier-né des plug-in « Max-Bass », un logiciel essentiellement destiné au marché des ordinateurs portables souvent équipés de haut-parleurs où les fréquences graves font défaut, et qui permet d’entendre ces fréquences même si elles sont physiquement absentes !
Aujourd’hui la société compte plus de 60 employés en incluant sa filiale américaine.
La coopération en R&D entre les universités locales et étrangères (IRCAM en France, par exemple) est courante.
Les produits de Waves sont commercialisés dans les 5 continents, y compris dans les pays arabes avoisinant Israël (Jordanie, Égypte…).
Des géants de l’informatique tels que Microsoft ou Motorola se sont personnellement intéressés à Waves.
À partir de 1998, le marché des « plug-in » étant en baisse, K.S.Waves s’efforce de se concentrer sur d’autres domaines tels que les produits audio pour l’électronique grand public, et la commercialisation de brevets.
Les domaines d’application sont nombreux : de la téléphonie sur Internet aux appareils d’aide à l’écoute pour les malentendants, en passant par les logiciels de jeux sur micro ou les effets spéciaux 3D pour chaînes hi-fi…
Je voudrais préciser pour terminer le sentiment que j’ai éprouvé en tant que polytechnicien dans le milieu professionnel en Israël. Là, le décalage avec la France se précise à tous les niveaux.
Ici, on travaille bien plus « à l’américaine », avec une hiérarchie informelle, une accentuation donnée à la valeur intrinsèque au détriment des diplômes, un encouragement majeur accordé à l’initiative et la créativité personnelles assorties à une dynamique de groupe hors du commun.
Mais c’est surtout par une application directe du précepte biblique naasse ve nishma, traduit par « fais et tu comprendras », que sont caractérisés ce dynamisme et ce sens de l’improvisation « à l’israélienne »… C’est là que j’ai dû remettre en question beaucoup de principes que ma formation polytechnicienne m’avait enseigné…
L’Israélien est en effet très prompt à inventer une solution pratique à un problème donné sans chercher à comprendre d’où elle vient, contrairement au Français qui va d’abord chercher à analyser les tenants et aboutissants du problème. Résultat, que j’ai observé plusieurs fois en pratique : les Israéliens mettent sur le marché des produits avant même que la concurrence n’ait le temps d’analyser le problème !
Malgré les différences, et différends qui séparent les deux pays, je pense que des ponts sont possibles.
J’aimerais m’occuper plus tard de développer des liens, que ce soit dans la coopération scientifique technique ou industrielle, et c’est là mon vœu le plus cher.
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1. Un limiteur, comme son nom l’indique, permet de limiter les maximums d’intensité d’un signal tout en maximisant le niveau audio RMS (puissance). C’est un outil indispensable pour le mastering, ou la post-production en numérique.